Выбрать главу

Mais un studieux silence l’inquiétait, lui faisant craindre qu’elles ne soient déjà parties… Jusqu’au moment où le maître lâcha enfin son troupeau pour la récréation.

Et il les vit, fraîches et gaies !

Elles criaient et se coursaient entre elles ; taquinaient les garçons, ou parlaient sagement par couples. Ce fut une telle bouffée de désir pour le Glaude qu’il chancela de plaisir et dut s’agripper des deux mains à la grille, avec l’air d’un qui pèse d’une barriquée de piquette dans la vessie.

Puis, tant il se savait coupable et prenait crainte qu’une des gamines ne le reconnaisse, il alla vite se cacher derrière un des tilleuls de la place d’où il continua à guetter celle qui lui plairait le mieux… et il reconnut qu’on avait mauvaise langue de prétendre qu’à Chicrolles les gens étaient de maigre santé. Là, les filles pétaient de vie et devaient être sacrément chaudes. Mais qu’importaient celles-ci puisqu’à Coulondelles il en aurait d’autres, autant qu’il voudrait maintenant que ces choses étaient faciles pour lui. Et le père Glaude de se sentir un violent appétit des sens.

Grâce à Dieu, il se retrouva face à face avec sa conscience et fut saisi par une telle honte de penser ça, que, brûlé à vif par ces malsainités qui ne venaient pas de lui, mais qui prenaient le pas sur lui, il n’alla plus par quatre chemins et entra à la mairie se renseigner auprès de l’employé du secrétariat.

Celui-ci, d’abord aimable, se posa sur le visage une bien vilaine grimace lorsque Glaude lui décrivit l’inconnu.

— Ce ne serait pas le Léon que vous cherchez, des fois ? dit-il enfin, d’une voix de dégoûté.

— J’vous le répète, recommença le Glaude, j’sais rien de son nom, sans ça j’serais pas là à vous demander après lui… Tout ce que j’peux vous aider, c’est qu’il a un gilet de velours crème avec des taches dessus.

L’employé n’eut plus de doutes, mais il regarda le Glaude avec suspicion.

— C’est bien le Léon ! Et qu’est-ce que vous lui voulez ?

— Lui rendre des sous qu’il m’a prêtés.

— Dans ce cas, rétorqua l’autre en voulant ébaucher un sourire qui ne fit point, vous voilà riche d’autant…

— Ah donc ! et pourquoi ? demanda le Glaude, pas du tout à l’aise devant ce méfiant.

— Parce que, trancha l’homme en se saisissant la gorge avec ses deux mains… parce que ce salopard s’est pendu hier après avoir violenté la Lucette Richard, et que c’est sans doute lui qui a étranglé la gamine des Landiers, le mois passé… Sûr qu’il en aurait sali d’autres si le remords ne lui avait pas mis la corde au cou…

Alors, comprenant que le besoin de ce misérable était à jamais croché dans son ventre, et, tout à la fois, qu’il n’avait plus de rival dans cette course au vice, le père Glaude, au regard soudain chaud de perversité, se laissa tomber sur une chaise, et devant l’employé sidéré, se mit à sangloter-rire de sa nouvelle puissance.

Celui qui s’y frotta

(Divertissement sur une métamorphose)

Ce gros chat noir, hirsute comme une barbe de vagabond, qui grognemitait sous la table, Croxanvic l’avait tout bonnement trouvé, miaulant à fendre l’âme au carrefour de la Croix Neuve, à l’aube d’une nuit à grosse lune.

Il aurait dû s’en méfier, sachant que, là, on était constamment obligé de renouveler la présence du Christ par des croix qu’on replantait les unes après les autres et que d’invisibles vandales s’acharnaient à détruire, fussent-elles en pierre ou en fonte. Mais, pour savoir la vérité, mieux valait chercher les coupables du côté de Satan plutôt que parmi la jeunesse du pays, assez respectueuse des choses de la religion.

Ce chat perdu, l’homme ne l’avait pas recueilli par bonté de cœur, non, mais parce qu’enfin à domicile, il allait pouvoir dominer un être vivant.

Croxanvic tâtait de dix métiers sans parvenir à vivre d’aucun, et pourtant il se montrait orgueilleux comme s’il était maître en chacun d’eux. Il traînait un équivoque laisser-aller de guenilleux, doublé d’un troublant regard de fouine insatisfaite, et la mobilité de ses yeux, sautant d’un coin à l’autre, lui valait la sourde réputation de mâcheur de mauditions.

Ce blason lui convenant, il laissait dire et, même, faisait en sorte qu’on dise encore plus. Aussi, ce chat lui fut-il double aubaine. Maintenant on pouvait dire et médire comme jamais, d’autant que, l’appelant Belzébuth, il frappait à tout bout de champ sur les trois syllabes et en cloutait les oreilles de ses voisins, à les meurtrir du diable.

Le chat, lui, semblait trouver à son goût la demeure de Croxanvic où le lit, la table et la cheminée se tenaient à l’étroit, misère en vrac. Sans doute parce que tout y était aussi noir et fripé que son pelage et, à y regarder de près, que son âme.

Il suivait chaque geste de son nouveau maître qui, se croyant le plus fort, ne se gênait pas pour lui égrener de rudes coups de pied lorsqu’il allongeait les jambes sous la table, aux heures de soupe, quatre fois par jour. Soupe aigre faite de pain, de lait et de navets macérés, qu’il croyait rajeunir en y rajoutant sans cesse du frais.

Il mangeait jusqu’à ne laisser qu’une ou deux cuillerées de cette rancœur qu’il jetait ensuite à même le sol, pour Belzébuth. Au chat de reconnaître la soupe de la terre. Là-dessus, pour le faire digérer, il lui administrait un dessert de coups de trique qui, chaque fois, lui mettait du sang au museau.

Alors fulgurait dans les pupilles soufre, une brève et indicible haine féline qui laissait Croxanvic tout amusé de voir son matou continuer à lisser à belle langue rouge le souvenir de son repas.

Ce chat humilié aurait pu fuir un tel tortionnaire, mais restait voulument à portée de douleurs et se prêtait à cette vie. À vrai dire, l’un l’autre s’épiant, ils cherchaient à se mesurer dans une lutte où l’homme se croyait seigneur de droit, fort de la longueur de ses jambes, alors que l’animal était puissant d’une inquiétante passivité.

Et, l’un ronronnemitant, l’autre grongnant, chacun voulant deviner ce que l’autre pensait, ou ce qu’il allait faire, ils en étaient arrivés à ne plus vivre que l’un pour l’autre. Mieux, se confondant, l’un commençait déjà à grognemiter et l’autre à ronronnegrogner.

* * *

Et voilà qu’un beau jour Croxanvic huma une fugace et acide senteur. Oh… à peine, juste un dé à coudre d’une odeur inconnue mais terriblement appétissante.

Il renifla d’où elle venait et vit. Alors une force le poussa vers ce recoin où il retomba à genoux… manquant de justesse une alerte souris qui se coula et disparut dans le bas du mur, troué à cet endroit. De dépit, Croxanvic se mit à gratter autour de l’orifice et le fit si ardemment qu’il s’écailla les bouts d’ongle qui lui restaient. Là-dessus, dépité, il s’allongea commodément à plat ventre et attendit le retour de l’animal, car il avait bigrement envie de le… goûter.

Sous la table, Belzébuth ne perdait aucun des gestes de l’homme et, au lieu de prendre ombrage, comme tout autre chat l’eût fait devant pareil comportement, il grognemitait avec allégresse.

* * *

Peu de temps après, Croxanvic fut réveillé dans son lit par un appel muet et irrésistible qui venait du dehors.

Tout d’abord il se crut rendu à la petite aurore, à ce moment où les choses passent du noir au gris avant de retrouver leur vraie couleur. Mais, à la mollesse du silence, il reconnut que ce n’était encore que la mi-nuit.

Pourtant, il avait la nette impression que le jour touillait déjà le nocturne. En réalité l’homme avait l’aube dans l’œil ; maintenant il voyait clair dans les ténèbres !