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Quant aux gosses, ils composèrent tout de suite un refrain, peut-être pas méchant, mais qui ne dut pas plaire à l’homme aux rats, bien qu’il feignît de se montrer indifférent.

T’aurais pas vu Decatsisou ? Celui qui attrape les souris et les rats T’aurais pas vu ce Volesous ? Celui qui attrape les nigauds et les bêtas.

Et d’en gaver sans répit tous les échos du village.

Des amusements de gamin bien sûr, mais, moi, à leur place, vu les connaissances et l’âge de l’homme aux rats, je me serais montré un peu plus respectueux.

Pour ma part, faute à ma ceinture de flanelle que je n’avais pas mise un matin, le froid s’était glissé en coliques dans mon ventre. Mais, bien que je garde toujours un flacon d’eau de Lourdes dans l’armoire et que je connaisse la prière à saint Haudrin, lorsque le Guérit-tout est venu à la maison, je l’ai bien accueilli, lui demandant même conseil : à ma place lequel des rats il achèterait ?

— Un à quat’sous, mon gars… l’ventre c’est moyen mal.

Je lui ai donc acheté un rat à quatre sous ainsi que deux autres à deux sous pour ma femme et mon fils qui toussaient un peu. À vrai dire, je voulais avant tout faire plaisir à ce vieux et à son chien qui tout en me suivant attentivement du regard, me haletait à langue pendante une façon de sourire.

Après son départ, chaque acheteur de rat se trouva rapidement guéri, alors que presque tous ceux qui l’avaient repoussé traînèrent longtemps leur petit, moyen ou grand mal respectif. Coïncidence ou magie ? Allez voir ! Toujours est-il que beaucoup de ces derniers crurent avoir été maudits.

Aussi lorsqu’en février il repassa par chez nous, encore en plein froid, son chien vissé à ses talons, fut-il mal accueilli, lui et ses rats par ceux qui se prétendaient ses « victimes ». On vit cette fois combien les gens étaient méchants et désiraient le rester. Ils auraient pu faire profit de l’expérience passée en se décidant enfin à acheter un des rats guérisseurs pour se remettre d’aplomb, comme ceux qui avaient agi de confiance. Mais, non, et certains même décidèrent de se venger sur… le chien du vieux, parce que la Justice ne punit pas pour ça, et qu’il n’est jamais bon de s’en prendre directement à ce ce genre d’homme.

On n’a jamais su qui lui jeta cet os farci d’une viande hachée, mêlée de poison violent. Il le happa avec un grognement de liesse, l’emportant dans une course folle, hors du village pour se cacher et croquer l’aubaine à lui tout seul, malgré les appels de son maître.

Jusqu’à sa mort, qui demanda une bonne heure et le fit hurler à vous écorcher le cœur, çà et là, partout où il croyait fuir sa douleur, tombant, se roulant et repartant avec elle qui lui fondait aux tripes, aucun de ses assassins ne se donna la peine d’aller l’achever d’une volée de chevrotines. Sans doute la crainte de se trahir ou, tout simplement, l’indifférence qui suit les mauvais coups réussis.

Quant au guérisseur de froidures, il avait d’abord appelé son chien, jusqu’à plus souffle, mais, en entendant ses plaintes, comprenant tout, il s’était débarrassé de son manche à rats et, croyant encore en ses jambes, avait couru à son secours, comme s’il le pouvait ! Seulement, faute de muscles, il n’alla pas loin et se retrouva à genoux dans la rue. Alors d’aucuns, tout proches de lui, l’entendirent gargouiller par la gorge et le nez les difficiles pleurs d’impuissance des veillards.

Pour ma part, quand j’ai appris la suite, je me suis maudit pour ne pas l’avoir su à temps. Je le lui aurais creusé pour rien ce trou qu’il désirait, et, surtout, je lui aurais laissé ses rats. Mais on ne peut pas se partager en deux ; ce jour-là, une vente m’avait retenu à la ville et, lorsque je suis revenu le lendemain, il était déjà trop tard pour tout.

C’est que le vieux ratier dénicha enfin son compagnon sous le taillis où il s’était enfoncé pour crever, pupilles dilatées, échine hérissée par la torture et mâchoires vertes d’une coulée de bave empoisonnée, crocs tendus menaçants vers la mort.

Le vieux ne voulut pas le laisser là, offert aux bêtes de la nuit, à plume ou à poil, qui sont goulues et rapaces de leurs frères malchanceux. Il fallait l’enterrer. Mais, ne pouvant creuser une tombe sans pioche ni muscles, il alla demander aux plus proches qu’on lui fasse un trou dans un bout de terre communal afin de ne gêner personne.

Ceux à qui il quémanda, en premier, l’envoyèrent au cantonnier-fossoyeur qui raclait encore ses poumons par la soi-disant faute aux rats. On le voit, c’était mal tomber. Celui-ci voulut bien creuser au bord du chemin des bois, malgré la dureté de la terre ; seulement, en échange, il exigea d’être payé en rats : pas un, mais tous.

Là, le vieux eut un regain de force. Il ne voulait pas se séparer de ses rats qui étaient aussi sa santé à lui.

— Tiens, dit-il, j’vais t’donner autant d’argent que j’ai d’rats pendus…

— Non, répliqua le Perce-cimetière, c’est toutes tes crevures qu’je veux ou j’troue pas…

— J’t’en donne le double que ça vaut…

— Non, c’est tes rats qu’je veux…

Le vieux parut plus accablé qu’avant, mais pas pour longtemps. Il aimait mieux son chien que ses rats et le préférait, même mort, à sa propre vie.

Lorsque le fossoyeur les eut tous sur une large pelle, il s’empressa d’aller les jeter dans le feu pour s’exorciser autant de son dégoût que de la maligne action de l’homme.

Son chien enfin enterré et gardé des autres bêtes, le vieux eut un merci pour le fossoyeur qui le laissa là, en plein front de bise. Alors il se coucha sur la terre bossue de mottes et se mit à parler tout seul.

Personne ne pensa à lui prêter un coin de grange pour la nuit et le froid n’en fit qu’une croquette.

Lorsque, tout de même, on se décida à aller voir ce qu’il était devenu, on ne trouva qu’une boule d’homme replié, raide à se casser en morceaux.

Mais, de toute façon, son cercle de vie s’était rompu avant qu’il ne meure puisqu’il n’avait plus ni rats pour le sauver du froid, ni chien pour en attraper d’autres.

Les deux plumes

La conversation, paresseuse dans ce mess d’officiers, après avoir longtemps traîné, s’anima et acheva trop vite la soirée.

Le commandant parla de ce sens inné et primitif que possèdent les paysans, favorisés de perceptions intuitives qui les avertissent de tous les événements graves. Et, comme toujours avec ce genre d’histoire, chacun témoigna de cas étranges.

— Mais, trancha à son tour un capitaine au scepticisme bourru, vous nous parlez là de gens frustes et superstitieux qui, le plus souvent, sur de simples coïncidences, s’abandonnent à l’accablement de l’Intersigne, retrouvant et gonflant a posteriori dix raisons possibles d’avoir pressenti le drame !… Croyez-moi, s’il leur fallait vous donner une preuve formelle et vérifiable, ils seraient bien embarrassés…

— Peut-être, peut-être… sembla approuver le commandant, mais je puis vous affirmer que dans le même genre de prescience, certains emploient des procédés empiriques qui relèvent de la plus évidente magie et provoquent des prodiges que l’on croit réservés aux seuls contes de fées, mais qui sont ici facilement contrôlables. Si vous le voulez bien, je vais vous raconter ce que j’ai constaté par moi-même, en 1917, dans une ferme du Perche. Et, tout d’abord, comment je fus lié à cette affaire…