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– Ce qu'elle est fragile, putain, ce qu'elle est belle. Moi, une femme pareille m'aimerait, jamais je la ferais sortir en chemise de nuit dans la rue pour me rechercher dans les bars.

– L'important, c'est que tu n'aies pas l'impression de raconter n'importe quoi.

– Tu me crois pas? Parce que tu m'as jamais vu avec une fille pareille. Je serais pas le même, Louise, c'est ça qu'il faut voir aussi.

– O.K., on peut pas savoir comment toi tu serais avec une fille pareille. Mais on sait comment est Saïd, et y a guère plus régulier.

– Moi, je pense que c'est malsain. Ce type, toutes les filles lui courent après, lui il y donne jamais un seul coup d'œil, il a un problème. Toi, forcément, t'es partisane, comme la plupart des filles d'ailleurs. Ce type-là, c'est l'idole, vous êtes toutes là à vous extasier… Ça me fait rigoler, moi.

– Qu'est-ce que tu ferais de mieux, toi, avec une fille pareille?

– Déjà je la décoincerais.

Il s'était brusquement emporté, sur ce mot-là, la clé de voûte de son raisonnement:

– Tu la vois, elle est toute recroquevillée, quel gâchis… Une fille avec un potentiel pareil, moi je commencerais par la décoincer.

– Tu la mettrais au tapin?

Au lieu de répondre il fixait l'entrée; suivant son regard je me suis retournée. Mireille venait d'arriver.

Ni chez elle ni désarçonnée. Elle a tout de suite trouvé le coin où s'accouder, la pose à adopter, sourire aimable mais pas trop engageant. Parfaite. S'était changée, portait un futal en cuir et un blouson en jean, et portait ça assez bien pour que Julien demande:

– Tu crois qu'elle a un appartement, elle?

J'ai profité de l'occasion pour frimer à bon compte en déclinant son CV:

– Ça se pourrait bien. Elle vient de Paris, elle était serveuse, maintenant elle bosse vers Bellecour. Elle s’appelle Mireille, elle a une voix qui va probablement t’impressionner. Et je suis partie la voir, lui demander ce qu'elle foutait là.

Mathieu a hurlé une première fois:

– Finissez vos verres! pour prévenir que c'était bientôt l'heure de vider les lieux.

Mireille m'a accueillie, sourire édenté:

– Je t'avais pas vue. Mais je me doutais bien que tu traînais ici, je rne suis renseignée…

– Tu voulais me voir?

– Oui. Je connais pas grand monde dans cette ville, et je me suis dit qu'on pourrait peut-être parler d'autres choses que de Stef et Lola…

Comme Mathieu passait à notre hauteur, rinçant des verres à toute allure avant de cavaler en rechercher d'autres vides et en profiter pour houspiller les consommateurs qui tramaient, je lui ai expliqué:

– Tu pourrais lui en mettre un, elle se dépêche?

Il a relevé la tête pour m'expliquer pour la centième fois de l'année que ça ne l'arrangeait pas de servir un verre à la fermeture parce que ensuite… Mais il a changé d'avis et d'expression en la voyant, parce qu'elle mettait tout le monde d'accord avec son sourire à trou noir, lui a mis un verre sans discuter, conseillant sobrement:

– Dépêche-toi, on ferme.

Et à la cantonade il a répété:

– Finissez vos verres, c'est l'heure!

J'ai chaudement félicité Mireille:

– C'est hyper rare de réussir ce coup-là, hyper rare…

Et elle m'a rendu la pareille:

– T'as l'air d'être bien vue dans ce bar, au moins tu viens pas tous les soirs pour rien.

Les gens sortaient, paresseusement. L'Arcade était presque vide, Mathieu avait éteint la musique. On allait sortir à notre tour, se répartir dans les voitures pour aller au Checking.

1H30

Sur le pas de la porte les indécis se concertaient, se demandaient comment finir la nuit.

Ils se sont écartés devant une grosse voiture noire qui a ralenti devant l'entrée.

Et se sont tous dispersés, rentrés chez eux sans plus attendre, lorsque en sont sortis quatre hommes et une femme. Trop rigides pour l'heure, trop synchro, ils étaient venus coller l'embrouille.

Elle est entrée la première à L'Arcade, les trois hommes suivaient en silence, mains croisées dans le dos.

Exception faite de Mireille, qui débarquait dans le coin, nous la connaissions tous. Mme Cheung était l'ancienne propriétaire des salons de massage et des bars à putes les plus cotés de la ville. Initialement, c'était la femme d'un chirurgien marseillais et ensemble ils avaient ouvert des établissements somptueux. La Reine-Mère avait profité de ce qu'ils se séparaient en mauvais termes et pas d'accord sur la répartition des biens pour faire main basse sur tous leurs commerces.

Elle n'avait pas été exactement correcte dans cette opération, mais avait en revanche fait preuve d'une implacable efficacité.

Le mari chirurgien avait purement et simplement quitté la ville. Mme Cheung avait bien essayé de sauver quelques meubles. Mais aucune fille n'avait accepté de retravailler pour elle, parce que la Reine-Mère les avait sévèrement briefées, et les rumeurs, si infondées soient-elles, ont toujours la peau dure. De plus, les flics avaient choisi leur camp. Mme Cheung s'était retranchée sur d'autres commerces.

C'était une petite femme sèche, les cheveux noir de jais tirés en arrière, sourcils noirs bien dessinés. C'était une Madame, mais à cause de sa petite taille et de la délicatesse de ses traits elle ressemblait à un petit garçon vif et espiègle.

Elle n'avait jamais foutu les pieds au quartier.

C'était la seule du groupe à ne pas porter de lunettes noires. Silence pesant accueillant leur entrée.

Mathieu était au milieu de la salle, il montait les chaises sur les tables pour pouvoir balayer. Il s'est à peine interrompu, a secoué la tête et, comme s'il s'agissait de n'importe qui, a affirmé:

– On ferme, faut sortir.

Mme Cheung n'a pas bougé, mais ses copains se sont installés à la dernière table où il restait des chaises. Elle a rectifié:

– Tu fermes. Nous, on reste.

On était en groupe juste à côté de la porte, Mireille, Julien, Gino, Guillaume et moi, sur le point de sortir. On s'est tous rassis au comptoir, pas bien sûrs de la marche à suivre.

Saïd est revenu à ce moment-là, large sourire, en entrant s'est exclamé:

– Vous êtes pas encore partis? J'ai pas sommeil moi. Oh, Mathieu, je peux me faire un café?

Parce qu'après la fermeture nous restions fréquemment entre nous pour en boire quelques derniers.

Il était déjà passé derrière le bar quand il a remarqué que nous n'étions pas seulement entre nous.

Mathieu est allé prendre son balai, puis est venu en face de la femme, elle lui arrivait à peine au torse. Il s'est penché sur elle pour répéter, trop calmement:

– Je crois que vous allez sortir d'ici tout de suite, j'ai du ménage à faire.

Je l'ai trouvé très bien, définitivement viril.

Les quatre sbires n'étaient pas mal non plus, impassibles et figés dans de jolies positions autour de leur table. Ne bronchaient pas, regardaient on ne sait où, on ne sait quoi, derrière leurs lunettes noires.

Nous cinq côté comptoir étions plus fébriles mais parfaitement immobiles.

Mais ça faisait ce truc physique, quand on est dans un groupe qui s'oppose à un autre, et brusquement les gens sont vraiment proches, appartiennent au même corps. Le truc au ventre, qui réclame soulagement, envie que ça claque, que ça cogne, la peur grimpante qui se muait en hargne.

Sourire mielleux appelant la claque, Mme Cheung n'a pas bougé d'un pouce, a dit:

– Je veux voir la chef.

Mathieu a secoué la tête:

– T'es pas chez elle ici, t'es chez moi et tu sors.

En guise de réponse elle s'est fendue d'un éclat de rire tonitruant, en se penchant un peu en arrière. Les sbires y sont allés d'un vague rictus en guise de soutien.

Elle a interrompu son rire net, en plein élan. Ça m'a fait une grosse impression.

Je devais avoir une bonne gueule de cible, puisqu'elle s'est tournée vers moi et sur le ton du papotage aimable: