Выбрать главу

Rideau d'angoisse lourde, abattu d'un coup. Je n'avais jamais pensé à ça, qu'on n'était pas ensemble pour la vie. Et je n'ai rien dit parce qu'il n'y avait rien à dire.

Je sentais l'endroit où mon épaule touchait la sienne, et je n'avais rien à dire.

De tout ce qui s'est passé cet hiver-là, et je n'avais pas fini ma série, ça a dû être le shoot le plus radical de tous. Décrochage impalpable.

Je me suis levée pour prendre un verre, j'ai entendu Sonia débiter d'un ton tranchant:

– Tu parles pas de la Reine-Mère comme ça, elle t'a nourri trop longtemps, connard… Faut pas l'attendre, faut leur rentrer dedans, aucune raison pour que ça soit si facile que ça pour eux. Faut qu'on brûle tout ce qu'ils ont, on n'a pas besoin de la Reine-Mère pour balancer trois bidons d'essence dans leurs putains de boîtes pourries avec les filles dedans.

Me suis souvenue d'elle, qui préparait sa reconversion avec quelques jours d'avance… Bla-bla de défense, que j'avais confondu avec une détermination farouche. Sonia était la moins apte d'entre nous à admettre ce qui arrivait, accepter qu'il était déjà trop tard pour réagir.

Julien argumentait:

– On va pas se mettre en place dans les temps, on a toujours fait les choses ordonnées en haut lieu, on peut bien faire un ou deux morts chez eux, mais pas résister au sens propre.

Sonia cognait la table du poing, se penchait sur lui, haineuse et résolue:

– Que tu sois une putain de tapette, ça regarde que toi, mais moi je leur laisserai pas ça.

Et a claqué son pouce contre ses dents du haut. Elle faisait des adeptes, pas mal de snipers potentiels s'échauffant autour d'elle.

J'avais rempli mon verre de whisky à ras bord, comme ça je n'aurais pas à me relever toutes les cinq minutes. J'écoutais ce qui se racontait, ça ne me semblait plus si crucial. Je suis retournée m'asseoir à côté de Guillaume, vraiment près de lui. Lui non plus ne disait rien, gardait la tête penchée sur sa bière qu'il ne buvait toujours pas.

Mon verre était long à boire.

Guillaume s'est levé:

– Moi, je rentre, tu viens?

J'ai suivi son mouvement.

Ce truc aisé entre nous, cette évidence à force, je la sentais comme jamais, savoir que c'était fini. J'ai serré la main de tout le monde, et chacun m'a dit un truc particulier, mais j'étais soûle et assommée et je n'ai rien entendu, bredouillé quelques trucs. Julien a dit un truc que Guillaume a trouvé drôle, je l'attendais main sur la poignée. Je l'ai regardé de loin, renverser la tête et exploser de rire, comment sa bouche savait s'ouvrir, l'expression bien radieuse.

Arrivés dehors, Guillaume m'a demandé:

– Ça te fait chier que je parte?

Et j'ai répondu non, le plus naturellement du monde.

– Pourquoi voudrais-tu que ça me fasse chier?

MERCREDI 13 DECEMBRE

9 H 00

Je m'étais réveillée tôt, nuit sans rêve apparent. Je me passais la langue dans les crevasses des dents cariées.

J'attendais que Guillaume se réveille.

Il a été réveillé par les voisins, je les entendais du salon.

La fille sanglotait, beuglait littéralement, et quand elle réussissait à articuler quelque chose, elle suppliait:

– Je t'en supplie, ne pars pas, je t'en supplie.

On devait les entendre jusqu'au dernier étage.

Lui ne répondait rien, il claquait des portes de placards, faisait du mouvement. Elle s'énervait, changeait de voix sans perdre en volume:

– Mais qu'est-ce que je peux te dire pour que tu comprennes?

– T'as qu'à rien dire.

– Je veux pas que tu partes.

Beaucoup d'émotion, ça traversait les murs.

Entendu la porte de la chambre de Guillaume s’ouvrir, il est arrivé dans le salon, grand sourire, s'est assis sur la banquette:

– Tu crois qu'elle a été assez conne pour lui dire, ou bien c'est lui qui les a surpris?

– Pas d'idée.

– Il le prend pas bien… Moi, je vais faire du café. Il s'est relevé aussitôt, a ajouté:

– Ce que je suis content de pas être à leur place.

Secoué la tête en se tapant sur le ventre avec le plat de la main, a insisté en s'éloignant:

– C'est des réveils comme ça qui te font comprendre comme c'est bien d'être célibataire.

La fille a vociféré:

– Tu ne peux pas me laisser, tu ne peux pas partir.

Puis gémissement sonore:

– Je t'en supplie.

En laissant traîner la finale, longtemps, gorge serrée par la douleur. Mélodieuse et convaincante.

J'entendais ça, rivée au siège, j'ai porté ma main à ma propre gorge, pliée dedans, concassée.

De la cuisine Guillaume a protesté à travers la cloison:

– Balance-la sous l'eau froide, faut la calmer maintenant.

Ça a jeté un froid à côté, plus un bruit pendant un moment.

Guillaume est revenu les deux bols à la main, enjoué:

– Je suis de son côté à lui, moi, solidarité masculine… T'es dans son camp à elle, toi?

Je me suis gratté la joue, je ne savais pas quoi dire, il est allé monter le volume de la chaîne:

– On va écouter Bob parce que, eux, ils vont finir par nous fatiguer à la longue.

Il est revenu s'asseoir à côté de moi, je me suis penchée pour saisir mon bol. Tu ne peux pas me laisser.

En attendant que son café refroidisse, Guillaume a attrapé sa guitare, fait sonner les harmoniques en regardant le mur.

Je t'en supplie.

Chacun de ses gestes, par cœur, besoin.

Je t'en supplie.

L'idée de me réveiller seule, d'être seule dans cet endroit, coup d'œil circulaire, les choses qu'il allait emmener, qui allaient manquer.

Je t'en supplie.

Bien qu'il ait monté le son, on a entendu la porte à côté claquer, cri simultané.

Guillaume a reposé sa guitare, soupiré:

– On a pas des vies faciles…

Et il s'est mis à énumérer toutes les choses qu'il avait à faire, pour pouvoir partir au plus tôt et ce qu'ils comptaient faire là-bas. J'écoutais en regardant les stores, je posais des questions de temps à autre. Il a fini par redemander:

– T'es sûre que ça te fait pas chier de rester toute seule, toi?

– Je suis pas une gamine, ça va le faire.

13 H 00

J'ai téléphoné au bar où travaillait Mireille pour lui demander si elle finissait bien comme d'habitude, et prévenir que je passerais la chercher.

Mais le patron m'a répondu qu'elle était malade, qu'elle ne travaillait pas.

J'ai appelé chez elle et comme ça sonnait occupé, je suis partie à pied pour la rejoindre.

Chez Mireille, les volets étaient baissés, j'ai frappé à la porte-fenêtre, à présent je me demandais quand même ce qu'elle avait foutu la veille, qui elle devait attendre.

Les volets se sont soulevés, doucement, lorsqu'ils me sont arrivés à hauteur des cuisses, je me suis penchée pour me glisser à l'intérieur, parce que ça prenait un temps fou d'attendre qu'ils soient relevés.

Je me suis redressée de l'autre côté, mais ne me suis pas retrouvée face à Mireille. Mouvement de recul, l'anxiété m'actionnait les muscles bien plus vite que les informations ne se transféraient à mon cerveau.

Mon haut-le-corps a fait sourire l'homme qui se tenait face à moi:

– Pas lieu d'avoir peur, on ne se connaît pas encore assez pour que je sois violent.

Les volets se rabaissaient, il avait d'excellentes notions de nonchalance railleuse lorsqu'il parlait:

– Tu es Louise, je suppose?

– Je passais voir Mireille, mais je peux très bien…

– L'attendre ici, elle revient tout de suite, juste une course en bas. Enchanté, je suis Victor.

Déclic des volets revenus au sol, main tendue. Le premier truc en tête quand je l'ai vu ça a été: «Pas mal», puis: «Je comprends mieux», quand il a dit son nom. Pris sa main dans la mienne, paume chaude, j'ai précisé: