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– On m'a beaucoup parlé de vous.

Grimace satisfaite, enjouée:

– En mal, j'espère…

– C'est plus complexe que ça. Mireille rentre bientôt?

Elle arrive, assieds-toi, elle sera contente de te voir. Elle m'a parlé de toi hier, rien de complexe, que du dithyrambique. Je préparais un café, tu en veux?

Calme, la voix coulait comme une mélodie, engourdissante. Je me suis assise en pensant que je ferais mieux de déguerpir:

– Elle est partie où?

Incommodée, lieu clos avec un garçon inconnu. De surcroît, un lieu clos mal éclairé. Captive et contrariée, petite asphyxie, tenace. Ça ne m'était pourtant jamais arrivé, que quiconque se jette sur moi sans signe préalable, mais je restais sur mes gardes, assise tout au bord de la banquette, mains crispées de chaque côté, toute prête à la détente. Et je ne pensais qu'à ça, attentive et tendue. Ce que ça avait d'improbable ne m'apaisait en rien, c'était mon sentiment habituel en pareille occasion. Il m'était tout à fait familier, et tout à fait désagréable. J'attendais Mireille avec une impatience fébrile.

Mais je lui ai été reconnaissante de rester à distance respectueuse pour me tendre ma tasse de café, puis de prendre place dans le fauteuil le plus éloigné de moi, de ne pas trop me regarder et de ne me parler que de Mireille:

– Elle m'a dit qu'elle t'en avait raconté de bien bonnes sur mon compte, j'espère que tu me donneras l'occasion de te donner ma version des faits…

– Je ne m'occupe pas de ça, ça ne me regarde pas.

Et Mireille est arrivée. Si elle n'a pas eu l'air très contente de me voir, elle a au moins été très surprise de me trouver là.

Victor s'est déployé, l'a accueillie comme ça se fait dans les couples fraîchement constitués ou dans ceux chez qui ça va mal, avec une ardeur un peu appuyée. Il a déplié les journaux qu'elle avait rapportés pour lui, très satisfait, nous a laissées en tête à tête:

– Je vais prendre un bain. Louise, tu vas manger avec nous?

J'ai accepté de rester, parce que je ne voyais pas où j'irais et que je n'avais pas envie de rentrer chez moi. Quand j'étais partie, la voisine pleurnichait, seule, cassait des choses, puis larmoyait, geignait.

Mireille avait acheté de quoi manger comme des rois, et du whisky de marque. Elle a sorti de quoi faire un spliff, avant même de ranger ses courses.

Ça prenait dix minutes, et j'étais de nouveau bien chez elle, avec elle.

Il est resté presque une heure dans la salle de bains, Parce qu'il lisait tout ce qu'elle avait rapporté. Elle était radieuse, je pouvais bien en penser ce que je voulais, ça mettait un coup de brillance aux filles, quand les garçons s'occupaient d'elles.

Elle a eu le temps de me prévenir, à voix basse, très sérieuse:

– Il ne faut le dire à personne.

Et de me faire jurer, à maintes reprises, de tenir ma langue. Avant de conclure:

– De toute façon, je te fais confiance, je t'avais décrite à Victor et je lui avais dit de t'ouvrir si tu passais en mon absence. Parce que je sais que je peux compter sur toi.

JEUDI 14 DÉCEMBRE

11 H 45

Il faisait beau ce matin-là.

La veille, j'étais restée toute la journée chez Mireille. Comme un jour de vacances. Victor était un fou furieux de la parole, il pouvait captiver des heures durant. C'était un garçon doux et drôle, difficile de faire le lien entre sa réputation et lui.

Rendait Mireille toute chose, et il n'arrêtait pas de tourner autour d'elle, sans la toucher, faisait sans cesse attention à elle. Les heures s'étaient enfilées d'une traite, jusqu'à la nuit tombée, et j'étais rentrée chez moi en titubant.

En chemin, j'avais repensé à l'avertissement de la Reine-Mère, qui ne voulait pas que je parle à Victor, qui me demandait de la prévenir si je le croisais. Ça m'avait fait sourire, ce n'était jamais qu'un garçon, pas de quoi en faire un mythe.

La voisine a fait savoir qu'elle était réveillée. Hurlait, apparemment laissée seule. Cognait, comme si elle cherchait à casser les murs. Se plaignait comme si on lui arrachait les ongles un par un, elle criait de douleur en répétant: «Je ne veux pas, je ne veux pas.» Litanie monocorde, entrecoupée de choses qu'on fracasse en les lançant au sol.

Le téléphone a sonné, Victor qui demandait:

– Je veux vraiment éviter de sortir en plein jour… Mireille a dû t'expliquer, enfin, au moins t'en parler… Je suis désolé de te déranger, mais elle m'a pas laissé de clopes ce matin, je suis fou, j'ai pas fumé depuis que je suis levé. Tu voudrais pas passer m'en apporter?

Sa voix allait bien au téléphone, gagnait en graves:

– Tu peux même pas aller jusqu'au bureau de tabac?

– Je vis comme un rat, je sors jamais. Ça va passer, j'attends un peu… Mais en plus là où elle habite, ça m'arrange pas trop de faire un tour. T'as autre chose à faire?

– Ça m'emmerde un peu.

– Tu peux pas juste passer en glisser une sous les volets? Je deviens fou quand je fume pas… Et Mireille ne rentre pas avant 3 heures cet après-midi. Putain, j'ai l'impression d'être un handicapé, ça me pèse de te demander ça… Mais je peux appeler personne d'autre.

Et je l'avais trouvé vraiment cool la veille, à croire qu'il faisait attention lui aussi à ne pas m'approcher à moins d'un mètre. Et n'avait d'yeux que pour Mireille. Cordial avec moi, vraiment. Tout sauf ambigu, à aucun moment.

L'argument des clopes, je ne pouvais que comprendre.

J'ai donc exceptionnellement dérogé au «Ne pas se retrouver dans un lieu clos seule avec un garçon».

J'ai dit:

– O.K., je passe dans moins d'un quart d'heure. Mais je ne m'arrêterai pas, je te glisse un paquet sous les volets et je me trisse, j'ai plein de choses à faire.

12 H 30

J'ai frappé aux volets devant chez Mireille, ils se sont soulevés presque aussitôt. Je me suis accroupie, ai fait glisser le paquet en disant:

– Je m'arrête pas, je suis trop en retard sur mon planning.

– T'étais déjà pressée hier, rentre, je roule fissa un tamien de remerciement.

Accroupi lui aussi, touchant et persuasif:

– Rentre, j'en ai marre d'être tout seul dans ma grotte.

On s'est relevés en même temps, volet grand ouvert:

– Qu'est-ce que j'ai qui t'inquiète à ce point?

– Rien du tout, mais je croyais que tu devais éviter de te montrer en plein jour dans ce quartier?

– Bien sûr, je risque ma peau en ce moment… Tu rentres? Cinq minutes…

Il avait de l'allure, avec les mains qui bougeaient bien, et je suis entrée parce que je ne trouvais aucune bonne raison pour refuser.

Juste une pointe d'appréhension, quand les volets se sont refermés derrière moi.

Personne t'a jamais sauté dessus, c'est juste qu'il en a marre d'être toujours seul, et que la journée d'hier s'est tellement bien passée, il ne voit pas pourquoi tu ne prends pas le temps de discuter tranquille et fumer un spliff avec lui, respire un peu, laisse-toi tranquille des fois, fais confiance, ça changera… Les gens ne pensent pas qu'à ça, c'est toi qui ne penses qu'à ça.

Je m'argumentais la tête, en boucle, pour chasser le nœud naissant.

Je l'ai suivi jusqu'au fond de l'appartement, au coin cuisine, sans bien écouter ce qu'il disait parce que c'était trop pour moi, loin de la sortie et volets clos. Je faisais un effort énorme avec lui, parce que je lui étais reconnaissante de me changer les idées, de parler d'autres choses que de ses emmerdes, authentiquement distrayant en une saison qui manquait cruellement de légèreté.

Je ne me suis approchée trop près qu'une seule fois.