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Et sans s'occuper de moi, partant du principe que je ne savais pas de quoi il s'agissait, elle a dévissé la petite grille de la climatisation et y a glissé une enveloppe rigide blanche de forme carrée.

La salle de bains était plus grande que mon salon, on tenait à l'aise à deux dans la baignoire d'angle. Sonia avait du biz noir très tendre qu'on ne brûlait pas, qui se roulait entre le pouce et l'index en cordelette et se glissait dans le spliff. On a changé l'eau du bain une petite dizaine de fois, pour qu'elle reste bien chaude pendant qu'on discutait, elle balançait là-dedans des produits improbables qui sentaient gravement bon. On faisait sortir nos pieds, gigoter nos orteils, en parlant de choses et d'autres. Elle se tenait comme Tony Montana, les deux coudes appuyés derrière elle, bien écartés. Elle avait des seins de guerrière, c'était du moins l'idée que je m'en faisais, lourds et fermes à la fois, presque noirs au milieu.

Je lui posais des questions sur des sujets précis, et comment ça lui faisait quand elle sentait qu'elle avait envie, quand elle mouillait, et comment elle suçait. Elle prenait le temps d'y réfléchir, répondait très sérieusement, de son mieux. Des questions pour établir des comparaisons et apprendre des choses que je n'avais jamais posées à aucune fille, par peur de me faire démasquer, par manque d'intérêt pour le sujet. Elle a fini par se lever, s'étirer et déclarer:

– Tu te fous de moi, ça fait plus de deux heures qu'on parle que de ça alors que t'en parlais jamais, et tu veux me faire croire que tu marches toute seule à l'écart depuis qu'on te voit plus? T'as confiance en personne, toi…

Enjambé la baignoire, puis on a passé pas mal de temps sur le lit, en attendant qu'on sèche, elle était sur le ventre comme on se met au soleil, la tête tournée vers moi, reposant sur ses bras. Moi, sur le dos, je roulais de nouveaux spliffs, elle parlait d'elle et d'un garçon gentil, elle disait:

– Elle me plaît cette idée de petite maison avec lui… Mais j'y arriverai jamais. J'aimerais bien. Mais je suis pas comme ça, et je le rendrais toujours triste. Je fais pas de bien aux garçons, je sais pas faire.

Et comme il était déjà tard, on a fini par s'habiller, on allait chez Mathieu, ils avaient tous leurs papiers maintenant et ils faisaient une party d'au revoir.

Elle s'inquiétait:

– T'as jamais été toute seule, ça va te faire bizarre de te retrouver sans Guillaume…

22 H 00

Julien mettait des disques, l'assurance bonhomme de celui qui sait ce qui s'écoute à quel moment. Il était assez brillant pour ça.

Guillaume m'a attrapée par le bras, prodigue en réflexions comme celles que j'aimais bien. Mais je ne sentais plus rien, je le sentais vain et loin.

Décalage. Parce que tout le monde m'était familier, et me traitait comme telle. Mais je n'étais contente de voir personne. Je m'en foutais de tous ces gens. Je trouvais leur connivence fatiguée, presque simulée. Pas bien grave, juste désagréable. Et pas moyen de savoir si c'était mon regard qui déformait, ou bien le temps en passant qui bousillait tout ce qu'il touchait.

Je savais très bien qui je voulais voir, avec qui je devais être.

J'ai repéré Mathieu à l'écart, tout seul debout vers sa fenêtre, qui sirotait son verre en observant tout le monde. Je suis allée le voir, j'ai essayé d'être bon esprit:

– C'est cool, tout le monde est venu.

– Ouais! Je suis bien content de partir.

– Sans regrets?

– T'es folle, j'ai trop d'avenir.

Il faisait danser ses épaules, distraitement, comme il l'avait toujours fait. Je suis restée à côté de lui sans rien dire, à regarder les gens. J'étais parfaitement hors jeu.

Mireille a réussi une entrée brillante, très égérique. Comme à son habitude elle a fait monter la tension d'un cran, agacé l'atmosphère. Elle était tout de suite entourée, virevoltante, Scarlett dégénérée, qui tournerait à la drogue dure. Ses yeux avaient un éclat que j'identifiais assez bien à présent: l'éclat glorieux de celle qui vient de s'en prendre un fameux coup.

Elle m'a gratifiée d'un tonitruant bonjour, parce que j'étais dans son secret, son monde intime, la seule à savoir que Victor était chez elle. Nous avons échangé quelques mots, parlé de n'importe quoi sauf de lui, et nous ne pensions qu'à ça. Je regardais sa bouche pendant qu'elle débitait, je connaissais bien la langue qui s'y était fourrée. Est-ce qu'elle aussi aimait qu'il la divine par-derrière, est-ce qu'elle léchait ses doigts avec avidité? Est-ce qu'ils faisaient ça pareil tous les deux, comment se tordait-elle quand il l'extravaguait?

Quelques personnes s'étaient mises à danser, il faisait suffisamment raide pour ça.

L'alcool aidant, la soirée prenait de la gueule, le mouvement se créait.

Sans moi, qui pourtant faisais quelques efforts, peine perdue. Je ne savais ni comment me tenir, ni quoi dire à qui, ni même à quel moment rire de quoi. Aucun groove dans la repartie.

J'ai attendu que Mireille aille folâtrer plus loin, puis je me suis isolée dans la salle de bains avec le téléphone. J'avais déjà vu des filles faire ça, bouillir en silence, puis ne plus y tenir et se foutre dans un coin, combiné à l'oreille, pour appeler leur bonhomme. Et ça m'avait toujours semblé décidément grotesque.

– Je te réveille?

– Non… Tu passes?

– Maintenant?

– Si t'appelles, c'est que t'as envie de passer, sinon à l'heure qu'il est tu serais en train de rigoler avec tes copains. Je t'attends?

– Ouais, mais si Mireille…

– Arrête de discuter, Louise. Je deviens fou à force d'être enfermé ici. On va faire des trucs, en général ça me fait du bien.

Je trouvais ça bien, qu'il me parle toujours comme il le fallait.

J'ai vérifié que Mireille était en plein numéro, elle retrouvait tout le monde et un tas de choses à leur dire, quelques renseignements à prendre aussi.

Et je suis sortie sans rien dire.

En descendant les escaliers j'entendais les bruits s'éloigner, cette soirée m'avait massacré l'humeur. Il ne s'était rien passé, sauf que j'avais basculé dedans.

23 H 55

J'étais triste, comme remplie de pierres, des pierres bien anguleuses qui me brasseraient sévère.

Je m'étais trop vite imaginé que de le faire avec Victor m'avait dénouée une fois pour toutes, que j'étais à l'abri de tout ça.

Maintenant que la Reine-Mère m'avait dit qu'elle m'avait fait surveiller, ça me tournait dans la tête. Et je les sentais, les yeux, le poids d'un regard désapprobateur, menaçant et mordant, qui me suivait bien partout. Je sentais les trous noirs des allées qui me voulaient du mal et les fenêtres allumées, penchées sur moi, me vriller le crâne. Et c'était autour de moi, étreinte maléfique, un murmure sourd alentour, chuintement haineux, ça m'attendait tapi dans l'ombre. Je retrouvais de bonnes vieilles connaissances, amplifiées, victorieuses, tordeuses de gorge, qui tendaient leurs toiles au creux du ventre, et viciaient l'air, doucement, et c'était dans ma bouche aussi, sale goût.

Et au lieu d'avoir pris des forces pendant les quelles jours d'accalmie précédents, je me sentais dedans plus pitoyable que jamais, comme incapable de supporter ça davantage, frayeur stupide roulant à toute vitesse, prenant de l'ampleur d'un bumper à l’autre, impitoyable et enclenchée.

Il n'y avait que cinq minutes à faire de chez Mathieu à chez Mireille, et je pressais le pas, mais je sentais l'œil derrière moi et dessus, maléfique, qui me surveillait, et quoi que je fasse, impitoyable, m'attendait, puisque, quoi que je fasse, il finirait par me grignoter tout entière.