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Je rentrais-sortais les mains de mes poches, peur panique et pas extirpable, à part tourner la tête de droite à gauche et marcher le plus vite possible.

Victor a fait monter les volets, je me suis glissée à l'intérieur.

Point culminant de l'effroi, quand j'ai réalisé qu'il n'y pouvait rien, qu'il était aussi loin que les autres et je n'avais pas envie de la chose avec lui, il ne pouvait rien pour moi, et ça ne servait à rien.

Ses mains se sont agacées le long de moi, en me sentant distante et agitée, il n'a pas enlevé ma robe, il n'a pas attendu que je démarre et que j'aie vraiment envie, il est venu dedans tout de suite, j'étais appuyée contre le canapé et tout le début j'étais ailleurs, parce que je n'y croyais pas, il ne pouvait rien pour moi, et ce sale truc dedans tournait de plus en plus fort, gagnait en vigueur et ne me laisserait plus tranquille.

Et puis c'était fini, à un instant précis que je n'ai pas senti venir, il avait chassé le truc, rentrait-sortait, furieusement, miraculeusement, cherchait le fond et me creusait, faisait la peau au sale truc, le faisait taire dedans, et me prenait, me ramenait à lui, et je n'entendais plus rien que moi qui respirais et du plaisir montant, mon corps bien soulagé, loin des yeux et des pierres, mon corps qui lui appartenait. Encore, et je ne savais pas quand ça avait basculé, mais il était vainqueur, en était venu à bout. Et serrée contre lui je voulais juste dormir, je me sentais apaisée, même pas irritée à l'idée de me relever bientôt, de rentrer chez moi à pied. La grande peur bien passée, les entrailles accordées. Moi tout entière reposée, soulagée. Infiniment reconnaissante. Il a demandé:

– Mireille m'a dit que ton frère partait demain, pourquoi tu me l'as pas dit?

– Pas pensé.

– Je vais pouvoir venir chez toi alors?

– T'es pas bien ici?

– Non, je suis pas bien, je vais devenir dingue. Je suis enfermé là tout le temps, t'imagines comment ça fait? Et j'ai aucune raison d'être avec Mireille, et pas envie de faire des efforts. Je veux être avec toi, tout le temps, au moins quand on baise j'ai l'impression de prendre l'air.

– Tu peux pas venir chez moi, réfléchis… Mireille, si tu pars d'ici, elle viendra tout de suite me voir, et je peux pas ne pas lui ouvrir. Et si elle se doute, elle va mettre un bordel incroyable. Et elle aura raison d'ailleurs.

– Faut que tu la retrouves, Louise, je vais devenir fou sinon.

Je n'ai même pas demandé de qui il parlait. J'ai trouvé ça marrant, qu'il choisisse ce soir-là pour en parler cash pour la première fois. Son instinct, putain de lui, qui lui donnait les bons conseils.

On l'a fait une deuxième fois, et il était sur moi, ses deux mains derrière ma nuque, me piochait tout doucement et je bougeais mon cul en même temps que lui, ses yeux rivés aux miens et je partais en arrière, je me gorgeais de lui et le truc montait, croissait dans l'air autour, je l'ai senti se tendre, et le truc dedans s'est répandu, généreusement, ça me faisait une grande détente, apaisement de fond.

Je me suis dégagée de lui juste après, tendu la main vers mon sac et lui ai donné la disquette, parce que ça ne servait à rien d'attendre plus longtemps, que je n’en n'avais même pas le droit.

J'ai répondu à toutes ses questions sur ma rencontre avec la Reine-Mère, rapporté tout ce qu'elle m'avait dit. Il a demandé:

– Pourquoi tu ne me l'as pas dit en arrivant?

– Parce que la Reine-Mère a toujours veillé sur moi, et que pour la première fois qu'elle me demande quelque chose, je lui crache à la gueule. Parce que j'ai peur que maintenant tu partes sans moi et j'imagine vaguement ce que ça va me faire.

Il a écarté ça d'un mouvement du menton:

– Arrête de divaguer, je vais pas te laisser derrière, ça va être vraiment bien une fois qu'on sera ailleurs et qu'on pourra être dehors ensemble, en plus on va avoir de la tune, il faudra un moment avant d'en venir à bout…

– Tu vas la vendre à qui?

– Demande pas ça, t'en as rien à foutre. Mais c'est de la bombe ce truc, t'imagines même pas… La vieille, elle s'est pas rendu compte de ce qu'elle avait entre les pattes… Te bile pas pour elle, de toute façon elle fait sous elle, elle est plus dedans, je t'assure, ça sera pas de ta faute s'il lui arrive malheur, surtout t'en fais pas…

Et ça m'a fait rire. Je voyais très bien ce que ça avait de sordide, ce qu'on était en train de faire. Je l'oubliais sans effort, à peine la main posée sur lui tout allait bien et je rigolais.

Mais j'ai quand même retrouvé mes réflexes, quand il a questionné sur Sonia et la troisième disquette, j'ai répondu:

– Je sais pas où on peut la trouver, elle habite n'importe où cette fille, elle ne passe jamais deux nuits au même endroit.

– Tu crois que tu peux mettre la main dessus?

– Je vais faire de mon mieux, mais Sonia m'aime pas trop, elle se méfie de moi, je sais pas pourquoi. En tout cas, je ferai de mon mieux.

Victor était contrarié à cause de ce point de détail. Mais jubilait quand même furieusement, parce qu'il avait vu plus juste encore que prévu, en venant vers moi. Parce qu'il touchait au but.

Pendant qu'il roulait un dernier spliff, j'ai fouillé dans les affaires de Mireille pour lui emprunter un blouson parce qu'il caillait à fond dehors. Et je suis passée par la salle de bains pour me coiffer, je faisais toujours attention à ne pas laisser des cheveux à moi sur sa brosse. Je ne me dépêchais pas, puisqu'on était tous les deux habillés, même si elle débarquait tout aurait l'air normal. Et j'ai souri en me regardant dans la glace, à part mes yeux, parce que ça leur donnait le même éclat qu'aux siens. Agrandis, éclaircis, scintillants. Il y avait des épingles à elle qui traînaient sur le bord de l'évier, machinalement je me suis fait un chignon, j'ai trouvé que ça m'allait bien, un air assez distingué, le cou long et fin.

On a fumé le spliff, Victor était rudement content. Moi pareil, parce qu'il ne parlait que de comment ça allait être dès qu'on aurait la troisième disquette. Et c'étaient de chouettes histoires, des promesses égayantes. J'avais du mal à croire que tout ce bonheur allait me tomber dessus comme ça, ajouté au bien qu'il m'avait déjà fait. Mais je me faisais à l'idée, je perdais de la méfiance.

2 H 00

Nuit noire, escaliers de la rue Diderot, Saïd et Macéo montaient quand je m'y suis engagée. J'ai souri en arrivant à leur hauteur, demandé:

– Qu'est-ce que tu fous dehors à cette heure-ci?

– Je dors plus.

– T'as qu'à rester chez toi et lire.

Il avait l'air fatigué pourtant, et le sourire âpre. Il évitait de me regarder, comme s'il avait honte d'être surpris en flagrant délit d'insomnie, j'ai proposé:

– J'ai pas sommeil non plus, j'ai pas envie de rentrer. On fait un tour ensemble?

Les premiers pas ont été silencieux, empreints d'une gêne légère, mais petit à petit on s'est lancés dans une véritable visite du quartier, escalier par escalier, palier par palier…

– Je me souviens de cette cave, on avait déchargé tout un camion de lessive là-dedans, on était encore minots, je sais pas ce qu'on croyait, qu'on allait la refourguer ou je sais pas quoi… Tout un camion de lessive, c'était la cave du grand Moustaf, tu te souviens de lui?

– Je vois pas, non…

– Beau gosse, grand, avec une moustache, il attrapait la femme du boucher, un jour il a failli se faire lyncher devant tout le monde.

– Bien sûr que je me souviens, il buvait plein de vin lui, et ça lui mettait la folie…

Et on s'est mis à sillonner les pentes, pris d'une fureur nostalgique, en montrant toutes les fenêtres:

– Tu te rappelles au cinquième la fille qui habitait?