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— Elle s’est donc rendue à une réunion dont elle n’est pas revenue.

— Non, et dix autres non plus, la plupart plus vieux qu’elle. Apparemment, cela faisait des semaines qu’ils jouaient avec l’idée de partir en pèlerinage, ce qu’ils appellent un hadj. »

J’ai fermé les yeux.

« Mais la police dit qu’ils n’ont probablement pas quitté la ville, s’est-elle empressée d’ajouter. Qu’ils squattent sans doute un immeuble vide avec une bande d’autres soi-disant radicaux qui font de grands discours et volent de quoi se nourrir dans les magasins. J’espère que c’est vrai, mais déjà comme ça…

— Tu l’as cherchée, toi ?

— La police le déconseille.

— Et Whit ?

Whit dit que nous devons coopérer avec la police. Cela vaut aussi pour toi, Scott.

— Tu as le nom de quelqu’un de la police avec qui je pourrais discuter ? »

Elle a sorti son carnet d’adresses, a copié un nom et un numéro de téléphone sur une serviette en papier, mais à contrecœur, en me jetant de longs regards amers.

« Et aussi le nom du club copperhead de Whit », ai-je ajouté.

Là, elle a renâclé. « Je refuse que tu causes des ennuis.

— Je ne suis pas venu pour cela.

— Arrête tes conneries. Tu es arrivé en ville avec tout ce… cette indignation morale…

— Ma fille a disparu. Je suis là pour ça. Qu’est-ce que cela a d’effrayant ? »

Elle s’est tue un instant.

Puis elle a dit : « Kait est partie depuis moins d’une semaine. Elle pourrait rentrer demain. Il faut que j’y croie. Que je croie que la police fait de son mieux. Mais j’ai bien vu ton regard. Et il ne me plaît pas du tout.

— Quel regard ?

— Celui de quelqu’un qui s’apprête à porter le deuil.

— Janice…»

Elle a frappé la table du plat de la main. « Non, Scott. Désolée. Je te suis reconnaissante pour tout ce que tu as fait pour Kait. J’ai conscience de tout le mal que tu t’es donné. Mais je ne peux pas te dire à quelles associations appartient Whit. C’est sa vie privée. Nous en avons discuté avec la police et cela n’ira pas plus loin, du moins pour l’instant. Alors ne me regarde pas avec ces… avec ces foutus yeux d’enterrement. »

J’en ai été blessé, mais je ne l’ai pas reproché à Janice, même quand elle s’est levée pour regagner la rue décolorée par le soleil. Je savais ce qu’elle ressentait. Kaitlin était en danger, et Janice se demandait quand elle n’avait pas agi au mieux, où elle avait foiré et comment les choses avaient pu si vite tourner si mal.

Je me posais les mêmes questions depuis dix ans. Mais pour Janice, c’était tout nouveau.

Après le repas, je me suis rendu en voiture à Clarion Pharmaceuticals, un grand complexe industriel à la limite des faubourgs et des champs de blé, où j’ai annoncé au garde posté à l’entrée que je venais rendre visite à M. Delahunt. Le garde a glissé une carte sous mon essuie-glace avant gauche et m’a rappelé de me munir d’un laissez-passer de visiteur à la réception. Mais la sécurité à Clarion n’était pas très stricte. Je me suis garé et j’ai profité d’une porte ouverte près des aires de chargement pour monter en ascenseur à l’étage indiqué par le répertoire comme celui du bureau de Whit.

Je suis passé devant sa secrétaire comme si j’étais de la maison, j’ai traversé un labyrinthe de salles sans porte dans lesquelles des hommes et des femmes en costumes irréprochables tenaient des conférences téléphoniques, jusqu’à tomber sur Whitman Delahunt lui-même, qui se servait à une fontaine d’eau de source filtrée et réfrigérée dans un couloir étroit. Il a écarquillé les yeux en me voyant.

Whit était toujours aussi impeccable. Les tempes un peu plus grises et la taille un peu moins fine, mais cela lui allait bien. Ses lèvres esquissaient même un sourire, qui a disparu quand il m’a aperçu. Il a jeté sa tasse en papier dans la poubelle. « Scott ! Mon Dieu. Tu aurais pu appeler.

— J’ai pensé qu’il serait bon qu’on ait une petite discussion en tête à tête.

— Bien sûr, et je ne veux pas avoir l’air sans cœur, je sais ce par quoi tu passes, mais le moment n’est pas très bien choisi en ce qui me concerne.

— Je préférerais ne pas attendre.

— Scott, sois raisonnable. Peut-être ce soir…

— Je ne pense pas me montrer déraisonnable. Cela fait cinq jours que ma fille se trouve Dieu sait où, peut-être bien à dormir dans la rue. Alors Whit, désolé que cela interfère avec ton travail et tout, mais il faut vraiment qu’on parle. »

Il a hésité, puis a pris un air important. « Je ne voudrais pas avoir à appeler la sécurité.

— Pendant que tu y réfléchis, parle-moi un peu de ce club copperhead auquel tu as adhéré. »

Il a ouvert de grands yeux. « Attention à ce que tu dis.

— Ou alors on peut en discuter en privé.

— Merde, Scotty ! D’accord. Mon Dieu ! Suis-moi. »

Il m’a emmené à la cafétéria des cadres. Le service étant terminé pour la journée, il n’y avait rien sur les présentoirs chauffe-plats ni personne dans la salle. Nous nous sommes assis à une table en bois laqué comme deux personnes civilisées.

Whit a desserré sa cravate. « Janice m’avait prévenu que cela risquait d’arriver. Que tu pourrais bien débarquer pour compliquer la situation. Tu devrais vraiment parler à la police, Scott, parce que crois-moi, j’ai bien l’intention de leur dire ce que tu fabriques.

— Tu as mentionné un club copperhead.

— Moi, non, c’est toi, et vas-tu arrêter d’utiliser ce mot obscène ? Ça n’a rien à voir. C’est un comité de citoyens, pour l’amour du Ciel. OK, il nous arrive de parler de désarmement, mais on discute aussi de protection civile. Nous ne sommes que de simples pratiquants. Ne nous juge pas en fonction des éléments extrémistes dont les actualités ont parlé.

— Comment suis-je censé appeler votre groupe, dans ce cas ?

Nous sommes…» Il a eu le tact de prendre un air embarrassé. « Nous sommes le Comité pour la Paix dans l’Honneur des Twin Cities. Tu dois bien comprendre toute l’importance de l’enjeu, Scott. Les gamins n’ont pas tort : la montée en puissance de la sphère militaire fausse l’économie, et personne ne peut prouver que les fusils et les bombes seraient utiles contre Kuin. À supposer qu’il soit une menace pour les États-Unis, ce qui reste tout autant à prouver. Nous récusons la croyance générale selon laquelle…

— Épargne-moi votre propagande, Whit. Quel genre de gens y a-t-il dans ce comité ?

— Des gens importants.

— Combien ? »

Il a rougi à nouveau. « Une trentaine.

— Et tu as initié Kait au mouvement auxiliaire pour les enfants ?

— Loin de là. Les jeunes prennent ces problèmes bien plus à cœur que nous. Que notre génération, je veux dire. Ils ne les considèrent pas d’un œil cynique. Kaitlin en est l’illustration parfaite. Elle rentrait de ces groupes de jeunes en parlant de ce qu’un leader comme Kuin pourrait accomplir si on arrêtait de s’opposer à lui à tout bout de champ. Comme si on pouvait s’opposer à un homme qui contrôle le temps ! Au lieu de trouver un moyen de faire de l’avenir un endroit fonctionnel.