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Je ne m’étendrai pas là-dessus.

Bien entendu, Adam était psychotique. Au sens clinique du terme. Avec sa personnalité antisociale et tyrannique et, plus ou moins a contrario, son talent inné de leader, il en présentait tous les symptômes. Son univers mental consistait en un grenier encombré d’idéologies usées et de purs fantasmes, tous centrés sur Kuin ou l’idée qu’il s’en faisait. Adam n’avait jamais noué de liens affectifs, comme le font les humains de manière naturelle, avec sa famille ou des amis. Tout démontrait en lui une totale absence de conscience.

Dans ses moments de grande dépression, Ashlee se reprochait ce qu’Adam était devenu, alors que cela venait de sa chimie cérébrale et non de son éducation. Une analyse de son génome et quelques tests sanguins de base pratiqués dès sa petite enfance auraient permis de détecter le problème. On aurait peut-être même pu le soigner, jusqu’à un certain point. Mais Ash n’avait jamais eu les moyens de payer ce type d’intervention médicale haut de gamme.

Je ne peux pas et ne veux pas imaginer ce qu’Ashlee a enduré au cours de ces quelques heures face à Adam. À la fin, elle avait révélé l’emplacement du point d’arrivée au Wyoming et le fait que je m’y trouvais en compagnie de Hitch Paley et de Sue Chopra – et aussi le plus important : que nous espérions mettre un Chronolithe hors service.

On ne peut pas le reprocher à Ash.

Adam a donc disposé d’informations fiables sur la pierre de Kuin et sur nos efforts pour la détruire quarante-huit heures au moins avant que nous avertissions la presse.

Il s’est aussitôt mis en route vers l’ouest, non sans laisser derrière lui deux de ses séides pour empêcher tout coup de fil gênant de la part d’Ashlee. Il aurait pu tout aussi bien la tuer, mais il a choisi de la garder en réserve, peut-être comme otage.

Mais il y avait encore pire.

Le pire, c’était l’arrivée de Kaitlin à l’appartement, peu après le départ d’Adam ; Kait qui ignorait toujours ce qui était arrivé à Janice et comptait se joindre à Ashlee pour un repas tranquille et éventuellement une séance de cinéma en soirée.

On avait affiné les mesures statistiques des radiations ambiantes de faible niveau depuis Jérusalem et Portillo. L’équipe de Sue était capable d’établir un compte à rebours bien plus précis pour cette arrivée-là. Mais nous n’avions nul besoin du compte à rebours pour sentir que le Chronolithe arrivait.

Voilà quelle était la situation quand je suis sorti du bunker prendre une dernière bouffée d’air, une vingtaine de minutes avant l’heure prévue pour l’activation du cœur.

Il y avait eu d’autres coups de feu le long de la route au sud, ainsi que sporadiquement en divers points de notre enceinte grillagée. Jusqu’ici, les polices locale et d’État avaient réussi à contenir les kuinistes – il régnait au Wyoming un fort sentiment anti-kuiniste, surtout parmi les fonctionnaires et policiers, depuis l’assaut de l’hôtel d’État. Un soldat uniforce avait été blessé par un membre de la milice Oméga qui cherchait à franchir le grillage d’enceinte en véhicule tout-terrain et, plus tôt dans l’après-midi, quatre kuinistes armés d’affiliation inconnue avaient été abattus alors qu’ils tentaient de prendre d’assaut le poste de contrôle nord. Depuis, il ne s’était produit que gesticulations et arrestations éparses… même si la foule continuait à grossir.

Sue avait autorisé un groupe de journalistes à monter leurs appareils d’enregistrement loin derrière le bunker, et à l’est je voyais de ma position leur file de camions et de tripodes à peu près longue comme un terrain de football. Des reporters, il y en avait des douzaines, la plupart envoyés depuis Cheyenne, représentant tous les principaux réseaux d’informations et un nombre non négligeable des indépendants les plus estimés. Cette multitude semblait pourtant perdue dans le vaste paysage brun. Un deuxième contingent de journalistes indépendants avait installé son matériel sur le promontoire qui dominait le site, un peu plus près que Sue ne l’aurait souhaité, mais notre agent de liaison avec les médias qualifiait ces types de « très dévoués et très pressants » – autrement dit, têtus et stupides. Je voyais aussi leurs caméras, dressées en bataille au-dessus du rocher.

La plupart de nos opérateurs et de nos ouvriers avaient déjà quitté le site. Les scientifiques et ingénieurs civils restants s’entassaient dans le bunker ou observaient les événements de derrière la ligne des journalistes.

Suspendu dans sa structure d’acier au-dessus de sa dalle de béton, le cœur tau ressemblait à un gros œuf noir. Non loin de là s’élevait un plumet de poussière produit par la dernière camionnette de notre convoi, dans laquelle Hitch Paley grimpait le chemin depuis la route afin de se garer près du bunker. Tous nos véhicules avaient été adaptés pour supporter sans dommages la vague de froid consécutive à l’arrivée.

Il y avait aussi un frisson tau manifeste, une fraîcheur prémonitoire dans l’atmosphère. Dans l’atmosphère et dans tout, la terre et la chair, le sang et les os. Nous n’avions pour le moment perdu qu’une fraction de degré. Le choc thermique commençait à peine à bander ses muscles, mais on le sentait déjà sous forme d’un léger picotement sur la peau.

J’ai sorti mon téléphone pour tenter une nouvelle fois de joindre Ashlee. Ma tentative n’a pas rencontré plus de succès que toutes les autres depuis presque une semaine. Soit le système me répondait par un message d’échec global, soit (comme pour cet appel-là) je n’obtenais qu’un écran vierge et un murmure audio dénaturé. J’ai rangé mon téléphone.

J’ai été surpris de voir Sue Chopra ouvrir la porte d’acier du bunker et sortir derrière moi. Le visage blême, agitée de tremblements, elle a mis la main en visière pour protéger ses yeux du soleil.

« Tu ne devrais pas être en bas ? ai-je demandé.

— Le mécanisme est enclenché, maintenant. Ça tourne tout seul. »

Elle a trébuché sur une racine d’épineux et je l’ai retenue par le bras. Il était froid.

« Scotty, a-t-elle dit comme si elle venait de me reconnaître.

— Respire profondément. Comment te sens-tu ?

— Fatiguée, c’est tout. Et j’ai l’estomac vide. » Elle a secoué la tête, perplexe. « Je n’arrête pas de me demander… est-ce que quelque chose m’a fait venir ici ? Ou suis-je venue de moi-même ? La turbulence tau a cela de bizarre qu’elle nous donne un destin. Mais un destin sans dieu. Sans personne qui commande.

— Ou alors Kuin. »

Elle a froncé les sourcils. « Oh non, Scotty. Ne dis pas ça.

— On le saura sous peu. Comment ça se passe, en bas ?

— Comme je t’ai dit. Ça roule tout seul. De bons chiffres bien solides. Tu as raison, il faut que j’y retourne… si tu venais avec moi ?

— Pourquoi ?

— Parce que, en fait, il y a pas mal de rayonnements ionisants, par ici. On te fait une radio des poumons toutes les vingt minutes. » Puis elle a souri. « Mais surtout parce que ta présence me rassure. »

Ce motif me suffisait, et j’allais l’accompagner quand nous avons senti une explosion au loin. Les coups de feu ont repris, bien plus proches qu’ils n’auraient dû l’être.

D’instinct, Sue s’est laissée tomber à genoux. Je suis resté debout comme un idiot. La fusillade a commencé en un pop pop saccadé mais s’est aussitôt accélérée en rafales quasi ininterrompues. Le grillage d’enceinte (ainsi qu’un grand portail) se trouvait à quelques mètres dans notre dos. J’ai jeté un coup d’œil dans cette direction et y ai vu des troupes uniforces se mettre à couvert en levant leurs armes, mais je n’ai pas tout de suite repéré l’origine des coups de feu.