— Pas de lapin aujourd’hui, dis-je. Revenez demain.
— Il n’aime pas les lapins, fit une voix à l’élocution soignée, que je connais bien. Il n’aime que les hommes.
Des doigts effilés entrouvrirent deux anneaux et l’on vit apparaître M’bantou, souriant, environné du python.
— Mon zoulou préféré, dis-je. Entre, McBee. Amène ton copain, à moins qu’il ne soit trop timide.
— Il n’est pas timide, Guig. Il est endormi. Il doit dormir encore une dizaine de jours, et puis il sera prêt pour ton Dr Devine. Bonjour, princesse. Tiens, le capitaine Nemo. Quelle joie d’être réunis.
Ils se toisèrent sans se soucier de dissimuler leur animosité. Que de rivalités ! J’étais heureux de voir que le Groupe ne me laissait pas tomber, mais il allait y avoir de la concurrence. M’bantou déploya le python. Il devait faire cinq ou six mètres de long. Il le drapa doucement autour d’un pilier de voûte. Le python continuait de dormir.
— Qu’est-ce que c’est que cette bosse au milieu ? voulut savoir Nemo.
— Le petit déjeuner, répondit poliment McBee sans entrer dans les détails.
— Est-ce qu’il aime le poisson ?
— Il préfère sans doute les éléphants, dit Parfum en Chanson. Il est assez gros pour ça.
— Son prochain repas sera le Dr Séquoia Devine. C’est-à-dire, avec ta permission, Guig, fit M’b d’une voix enjouée. Il mourra dans d’atroces souffrances, mais mes propres souffrances le seront encore plus quand il s’agira de sacrifier mon ami pour sauver le docteur. Cependant, che sarà sarà.
La porte d’entrée s’ouvrit toute grande dans une gerbe d’étincelles et notre ami Edison entra, portant sa boîte à outils.
— Je te l’ai dit, que ces serrures magnétiques ne valaient rien, Guig. Combien de puissance électrique ton sachem possède-t-il dans sa maison ? Princesse. Nemo. M’Bantou. Alors ?
— Aucune, répondis-je. Il vit dans un tipi, à la mode indienne. Merci d’être venu, Ed.
— Dans ce cas, il faut l’attirer ici. Tu as de la puissance ?
— Je peux cracher dix kilowatts.
— Largement suffisant. Tu es toujours un peu rétro, hein ?
— Conservateur, je suppose.
— Cuisine conservatrice ?
— Oui.
— Four conservateur ?
— Le vieux modèle sans ascenseur, oui.
— Parfait. C’est avec ça qu’on l’aura. (Edison ouvrit sa boîte à outils et en tira un diagramme.) Regarde-moi ça.
— Explique, Ed.
— On modifie les circuits. On le transforme en four à induction magnétique.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ça fond le métal. Rien d’autre. Les métaux conducteurs seulement. Tu saisis ?
— Jusqu’à présent.
— Tu mets ta main dedans, et tu ne sens rien. Mais si tu portes une bague au doigt, le métal fond et te brûle le doigt. L’induction.
— Pfff. Ça m’a l’air horrible.
— N’est-ce pas ? Tu mets l’Indien dans le four. On branche l’induction peu à peu, et la torture commence.
— Ses doigts se détachent ?
— Non. Son cerveau commence à brûler. Il est plombé, je suppose ?
— Non.
— Les plombages sont en platine. (Visiblement, Ed n’avait pas entendu ma réponse.) Le platine est conducteur. C.Q.F.D.
À ce moment-là, les trois autres, qui avaient écouté fascinés, éclatèrent de rire. Ils poussèrent des cris en se tenant les côtes tandis qu’Edison les foudroyait du regard. J’avais comme l’impression que ce rallye loyal et amical allait mal se terminer et que le meurtre de Séquoia n’était pas pour demain. Je me demandais comment ramener le calme lorsque Fée-7, bénie soit-elle, appela et demanda si elle pouvait projeter. Je l’invitai à le faire et elle apparut, vêtue d’une blouse blanche de laborantine, l’air sérieux comme tout.
— Il veut que tu viennes tout de suite au JPL, dit-elle sans respirer en XXe. Oh ! pardon, la compagnie. Je ne savais pas qu’il y avait du monde. Je vous dérange ?
Toujours en XXe.
— Ça va, Fée. Ce sont des amis. Justement, nous discutions du Chef. Qu’est-ce qui se passe ?
— Il y a un éléphant dans la cave. Vous le saviez ?
— Oui, oui, nous le savons.
— Et un serpent là-haut.
— Nous le savons. Il y a aussi une pieuvre dans le salon. Que me veut le Dr Devine ?
Elle s’anima de nouveau.
— L’événement du siècle. La cryocapsule expérimentale va se poser dans une heure. Trois cryonautes sont restés en orbite pendant trois mois, et maintenant ils rentrent. Toutes les huiles de l’U-Con seront là. Il veut que tu sois là aussi.
— Moi ? Je ne suis pas une huile. Je ne possède même pas une action de l’U-Con.
— Il t’aime. Je ne sais pas pourquoi. Personne ne sait.
— Écoute, demande-lui si je peux amener quatre de mes amis.
Fée hocha gravement la tête et rétrojeta. Les autres protestèrent qu’ils n’étaient que faiblement intéressés par l’événement du siècle. Ils en avaient trop vu au fil du temps et ils étaient blasés. Ils commencèrent à radoter tous en même temps. La révolte des Boxers. Franklin et son cerf-volant. Les mutinés du Bounty. J’essayai de m’interposer.
— Vous ne comprenez pas, leur dis-je. Je me fiche complètement de ces types congelés qui vont atterrir, mais c’est une occasion unique de faire la connaissance du mec que nous voulons assassiner. Vous ne voulez pas évaluer votre future victime ?
Fée reparut.
— C’est O.K., Guig. Il dit plus on est de fous plus on rit. Tu peux amener l’éléphant si tu veux. Je vous attends devant le portail pour vous faire passer.
Elle disparut.
Nous grimpâmes sur le toit (sans l’éléphant) pour prendre l’hélico. Ils étaient tous en train de faire des commentaires.
— Qui est-ce ?
— Sam dit qu’elle est avec lui depuis trois ans.
— Une de chez toi, M’bantou ?
— Hélas, je ne pense pas. Elle est trop claire. Peut-être un mélange de Maori et d’Aztèque, avec pas mal de sang whitie en plus. C’est le coup de pinceau aryen qui explique la délicatesse des os.
— Guig a toujours manifesté un penchant pour l’exotisme.
— Il a été rétro toute sa vie.
— Elle est jolie.
— Aussi nubile qu’un jeune dauphin.
— Je me demande à combien s’élève son score.
— Sam doit savoir.
Je me faisais aussi des commentaires à moi-même : Comment diable Fée-7 savait-elle que mes amis comprenaient le XXe ? J’avais le sentiment désagréable qu’il existait des tas de choses que j’ignorais sur Fée. J’avais comme l’intuition que cette culbute cherokee risquait fort de se terminer du mauvais côté. J’avais aussi envie d’aller à l’hôpital pour demander à Jicé de vider les lieux.
3
Nous fûmes agressés par quelques citoyens du 3e âge en nous rendant de l’hélico au portail, mais il n’en résulta pas grand mal. Ils utilisaient des revolvers de papa. Il y eut quand même un incident comique. Nous les avions mis en fuite lorsque je regardai autour de moi et vis Nemo à califourchon sur un de ces malheureux, prostré. Il était en train de gifler le gringo à la volée avec son propre pistolet tout en psalmodiant : « Ce n’est pas… la voie… de la survivance… il faut… transplanter… transplanter… »
Nous l’arrachâmes du pauvre vieux gringo et nous allâmes rejoindre Fée au portail. Elle paraissait très impressionnée par le numéro de Nemo. Elle avait déjà assisté à des agressions de ce genre, mais c’était la première fois qu’elle en voyait une servir de prétexte à une leçon de morale. Elle nous conduisit jusqu’au site de l’atterrissage, et ce fut à mon tour d’être impressionné.