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Cette fois-ci, ce ne fut plus aussi précipité, non. Tendre, serein, partagé. Ce n’était pas de l’amour. Comment cela aurait-il pu en être, entre deux étrangers qui ne parlaient même pas la même langue ? Mais nous étions des étrangers qui par magie avaient été amenés à s’engager l’un à l’autre, et c’était quelque chose qui ne m’était pas arrivé depuis deux siècles. Uu, je m’étais engagé. Je comprenais soudain que c’était de l’amour pour de vrai. Exit : Scènes d’amour passionnel. Welcome : engagement passionné.

C’était l’aura de bout en bout. J’ignore combien de temps cela dura, mais dans ces moments-là des pensées de toutes les couleurs vous fulgurent, sans y être invitées, à travers la tête. Je me souvenais d’un mec qui avait l’habitude de se chronométrer. Un champion. Je faisais le rapprochement entre l’aura passionnelle et l’aura épileptique. Est-ce une façon de faire l’amour avec l’univers ? Alors, nous avons de la chance. Je pensai, pensai, pensai, jusqu’à ce que je me retrouve au delà de toute pensée.

Foutues vierges. Elle voulait tout recommencer depuis le début. Comment expliquer, quand on ne parle pas le cherokee, que les batteries ont besoin d’être rechargées ? Nous commençâmes alors une conversation par signes, entrecoupée de rires et de plaisanteries. Au début, j’avais pris Natoma pour une fille sérieuse et déterminée, sans beaucoup de sens de l’humour. Je m’apercevais maintenant que la vie traditionnelle de la réserve l’avait compartimentalisée. Elle n’avait pas l’habitude de laisser voir toutes ses facettes à la fois. Mais elle apprenait vite. On ne se frotte pas à Curzon le fou sans qu’une partie de sa loufoquerie déteigne sur vous.

Soudain Natoma porta un doigt à ses lèvres pour m’intimer le silence et – la prudence. Je silence et prudence. Elle va sur la pointe des pieds jusqu’aux rabats du tipi et les écarte brusquement comme pour surprendre un espion. Mais ce n’était qu’un loup gris, posté là sans doute par M’bantou pour être le gardien de notre intimité. Elle revint vers moi, bulbullant et riant, et alla ouvrir la malle en cuir de Cordoue qui contenait sa dot. Quand elle souleva le couvercle, on eût dit qu’elle s’attendait à ce que tout explose. Elle me fit signe de venir voir. Je vis. C’était exactement ce à quoi je m’étais attendu. Bazar et compagnie tissé à la main. Elle ôta le bazar et je faillis m’étrangler. Dans une série d’écrins en velours était niché un service de table du XVIIIe siècle au complet en porcelaine royale de Sèvres pour douze personnes. Rien de comparable n’avait existé depuis des siècles et quatorze virgule neuf cent sept pour cent de la fortune du monde ne suffiraient pas à l’acheter aujourd’hui. Il y avait soixante-douze pièces. Comment un tel service était tombé entre les mains de la famille Devine, c’était un mystère qui devrait attendre une autre fois pour être éclairci. Natoma vit la tête que je faisais, éclata de rire, prit une assiette entre ses mains, la lança en l’air et la rattrapa. Je manquai de m’évanouir. Séquoia n’avait pas tort. Je m’étais marié au-dessus de ma classe.

Il fallait que je lui explique qu’elle était pour moi un trésor plus précieux que sa somptueuse dot. Je refermai le couvercle de la malle, l’assis dessus au bord, mis ses jambes et ses bras autour de moi et le lui expliquai si gentiment qu’elle se mit à pleurer et à sourire en même temps que chaque petit halètement tandis que ses mains agrippaient mon dos. Moi aussi je pleurais et je riais. Nos visages mouillés étaient pressés l’un contre l’autre. Jicé avait raison. Pendant deux cents ans, je n’avais vécu que pour un plaisir mécanique. Aujourd’hui, j’étais amoureux pour la première fois, semblait-il, et cela me faisait aimer et comprendre ce foutu monde de cinglés où je vivais.

6

Vers 7 heures du matin il y eut un crépitement de toux devant le tipi qui nous réveilla. Nous nous retrouvâmes si emmêlés que cela nous fit rire. Elle me tenait par une prise de tête verrouillée et une jambe sur ma hanche. Aucun risque que je m’éclipse. J’avais une main sur un bol de crème et l’autre sur la galerie d’art. Probablement pour m’assurer qu’ils étaient bien réels. Nous hurlâmes à l’unisson. Le Chef en cherokee et M’b en XXe nous répondirent :

— On vous attend pour la cérémonie finale, Guig. Ensuite, tout le monde rentre chez soi. Est-ce qu’on peut venir avec le nécessaire ?

Ils entrèrent avec de l’eau chaude, des serviettes, divers articles de toilette et du linge propre. Quand on nous eut baignés et habillés, les deux hommes revinrent avec de nouvelles instructions.

— On tourne lentement dans le sens contraire à celui des aiguilles d’une montre, Guig à la droite de Natoma. Le frère derrière le marié. Le second derrière la mariée. Digne et solennel. Pas de tour de con. Je sais que je peux compter sur toi, Guig.

— O.K.

— J’aimerais pouvoir en dire autant de ma sœur. On ne peut jamais prévoir ce qu’elle va faire.

Nous commençâmes la procession. Digne et solennelle. C’est alors que Natoma, je suppose, ne put contenir sa fierté. Elle leva bien haut ses deux poings fermés et cogna les phalanges quatre fois l’une contre l’autre. On ne pouvait pas se méprendre sur le sens du message. Une clameur d’approbation s’éleva. J’entendis derrière moi Séquoia grogner quelque chose comme Oi gevalt, ou plus probablement l’équivalent en cherokee. Elle continua à parader et fanfaronner. Il y eut quelques réactions amusantes. Des épouses se mirent à dénigrer leur mari, ce qui n’était pas juste car ils n’étaient pas nouveaux mariés. De jeunes braves me firent signe qu’ils pouvaient doubler mon score n’importe quelle nuit. De vieilles femmes s’élancèrent pour me donner entre les jambes une poignée de main congratulatoire. Natoma les écarta d’une tape. Propriété privée.

Il nous fallut deux heures avant de pouvoir rompre le cercle et prendre congé de la famille. M’bantou me faisait un commentaire détaillé sur l’organisation tribale.

— Tu fais partie du clan, maintenant, par voie directe et collatérale, Guig. Tu ne dois offenser personne, ou tu risques de déclencher les pires vendettas. Je t’expliquerai les degrés de préséance totémique.

Afin d’être bien sûr de n’offenser personne, je regagnai le tipi et m’écroulai. Séquoia et M’bantou étaient en train de s’enlever leurs peintures cérémonielles.

— Je ne me plains pas, leur dis-je. Je remercie simplement le ciel d’être orphelin.

— Ah ! mais il y a un autre clan, Guig. Le Groupe. Il faut qu’ils fassent la connaissance de ta charmante femme.

— Maintenant ?

— Hélas, oui. Autrement, il risque d’y avoir des susceptibilités froissées. Je vais les chercher ?

— Attends. Nous allons chez… chez le Grand Chef.

Séquoia me regarda d’un drôle d’air. Je haussai les épaules.

— Tu m’as fait cadeau de ton tipi. Je te fais présent de ma maison. Enlève-moi seulement ces foutus loups d’ici.

— Mais…

— Il n’y a pas à discuter, Dr Devine, dit M’bantou. C’est l’équivalent de notre coutume africaine d’échanger son nom entre amis.

Le Grand Chef éberlué secoua la tête. Trop d’anthropologie, c’est trop.

— Mais Natoma ne peut pas partir, dit Séquoia Curzon Devine, frère de celle-ci.

— Pourquoi pas ? demanda Edward Devine Curzon son mari.

— La coutume. Sa place est dans la maison. Elle ne doit jamais plus la quitter.