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Nous voilà donc rebondissant sur les parois d’une bulle. Roulant comme des gosses dans une meule de foin. Des gosses dégoûtés. Vive les cellules d’antan, avec leurs serrures et leurs barreaux. Au moins, un héros incompris a sa chance. Une pute au cœur d’or vous apporte une scie à métaux dans un gâteau au chocolat. Un gardien fier de sa montre vous la fait admirer et vous lui saisissez le poignet comme dans un étau. « Ô Douleur ! » s’écrie-t-il, et il vous lâche les clés.

Je pensais que Fée-7 allait en profiter pour exercer des violences sur le Peau-Rouge, mais elle se contenta de le réconforter et de lui murmurer des choses en écoutant ses grognements. Elle écoutait autre chose aussi, et je pris mentalement note de lui demander ce que c’était quand tout serait terminé. Pour le moment, je me faisais du souci pour Natoma qui devait s’en faire pour moi, mais j’avais toute confiance dans mon Zoulou habituel. Il était capable de rassurer n’importe qui au monde.

J’ai presque honte d’avouer que je n’étais pas si mal que ça dans ma bulle. C’était un peu le retour à la matrice. On flotte, pas de soucis, pas de conflits, peut-être même que j’allais me transformer en hermaphrodite sauveur. Peu de chances de ce côté-là. J’étais suspendu mais pas congelé. J’ôte mon chapeau aux criminologistes qui ont inventé le concept. Vous voulez garder les perpétrateurs au bloc ? Euphorisez-les, et adieu montres et gâteaux au chocolat. Adieu héros aussi.

J’ignore combien de temps passa. L’estomac n’est plus une horloge à notre époque. Tout le monde grignote quand il en a envie. Poulos se trouvait en haut (ou en bas) de la bulle. Il souriait, perdu dans ses pensées intimes, en fredonnant une chanson à boire. Je crois que je dus m’assoupir, mais le sommeil n’est plus une horloge à notre époque pour les mêmes raisons. Nous vivons vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le vieux tempo 2/4 a laissé la place au 4/4.

Malheureusement, la bulle n’était qu’imparfaitement isolée, car « Vidocq-69 » était enfermé avec nous. Peut-être exprès. Voici un entrechat typique : « Vidocq soixante-neuf de la Centrale Valjean. K.C.B. Leucémie Lavalier, qui est devenue une étoile dans Le Nécrophile agile, est maintenant en possession d’une précieuse escarboucle naine-rouge. RJ-3, attention. Elle est armée. À vous. » « Vidocq soixante-neuf à Valjean. JR – 5. C’est vous, 9 – XY ? » « Code 6. » Et les vidocqs s’en vont dans leur pogo pour kidnapper l’étoile naine tandis que Leucémie charge un canon et que son fils malingre subit une opération d’urgence à l’A & P réalisée par le gentil Marcus Brutus, docteur en phrénologie, qui travaille le soir au noir comme aide dirlo au shopping center voisin. Et youpie !

Je ne sais pas combien de temps plus tard je détachai la cruche qui enveloppait Séquoia pour avoir une petite conversation avec elle.

— Qu’est-ce qui se passe avec Devine, Fée ?

— Rien, Guig. Rien du tout.

— Fée.

— Nn.

— Il a changé, tu le sais aussi bien que moi. Pourquoi ?

— Sais pas.

— Il est toujours ton Jules ?

— Uu.

— Le même Jules ?

— Quelquefois.

— Et le reste du temps ?

Elle secoua la tête, lentement, avec réticence.

— Alors. Qu’est-ce qui se passe ?

— Pourquoi en saurais-je plus que toi ?

— Tes oreilles, Fée. Tu perçois des choses que personne d’autre ne peut entendre. Tu étais en train d’écouter tout à l’heure. Qu’as-tu entendu ?

— Il n’a pas de plombage.

— Et tu ne me réponds pas.

— Je l’aime, Guig.

— Et ensuite ?

— Ne sois pas jaloux.

— Ma petite Fée chérie, je t’aime, et je désire que tu sois heureuse. Tu es devenue une grande dame. Je suis fier de toi. Tu es ma fille… mon seul enfant. Tu n’ignores pas, je pense, que ceux du Groupe ne peuvent pas avoir de descendance. C’est l’un des prix qu’il y a à payer.

— Oh ! Oh !…

Son visage se disloqua, au bord des larmes.

— Oui. Je comprends. Il faudra que tu reconsidères les choses.

— Mais je…

— Non, l’interrompis-je fermement. Pas maintenant. Sois une grande dame. Concentre-toi sur Séquoia. Que lui est-il arrivé ?

Au bout d’un long moment, elle chuchota :

— Il ne faut pas faire de bruit, Guig.

— Uu. Pp ?

— Nous n’avons rien à craindre maintenant, parce qu’il est endormi.

— Rien à craindre de quoi ?

— Écoute-moi bien. Quand Lucy Borgia l’a tué dans le complexe de l’Extro-ordinateur…

— Je m’en souviens. Douloureusement.

— Tout son cerveau, chacune de ses cellules nerveuses, était déconnecté. Isolé. Coupé de l’extérieur.

— Mais quand les synapses se sont reformées, il est revenu à la vie.

Elle hocha gravement la tête.

— Combien de cellules le cerveau possède-t-il, Guig ?

— Je n’en sais rien. Cent milliards, peut-être ?

— Et combien de bits possède un Extro-ordinateur ?

— Même réponse. Je n’en sais rien. Mais je pense que ces trucs à rallonges doivent en posséder des milliers de milliards.

Elle hocha de nouveau la tête.

— Oui. Eh bien, quand il est mort, que chaque cellule nerveuse s’est trouvée isolée, les bits sont venus en prendre possession. Chaque cellule du cerveau du Chef est squattée par un bit de l’Extro. Le Chef est l’Extro, et l’Extro est le Chef. C’est ça, l’autre volonté que nous entendons s’exprimer par la bouche du Chef.

— Attends, attends, Fée. Un peu moins vite. Ce n’est pas commode à saisir.

— Et toutes les autres machines électroniques peuvent parler à l’Extro par l’intermédiaire du Chef et recevoir ses ordres. C’est pour ça qu’il faut faire attention. Il y en a tout un réseau, lis transmettent continuellement ce qu’ils savent de nous. Peut-être même nos pensées.

— À l’Extro ?

— Uu.

— Par l’intermédiaire du Grand Chef ?

— Uu. Il joue le rôle d’un pupitre central.

— Tu en es sûre ?

— Nn. Il faut que tu comprennes, Guig. Je suis continuellement bombardée par toutes sortes d’émissions. Je reçois tout le spectre du haut jusqu’en bas. Certaines bandes arrivent fortes et claires, d’autres vagues et déformées. Ce qui se passe pour le Chef, je n’arrive à le capter que par fragments dissociés. Je ne peux être sûre de rien.

— Je vois. Tu es infiniment précieuse, comme toujours, Fée. Merci.

— Si je suis si précieuse, pourquoi ne m’as-tu pas aidée contre les gardes ? On aurait pu les avoir.

— Peut-être. Je t’expliquerai une autre fois, dans un autre lieu. Sans Dd. Maintenant, va prendre soin de Séquoia, ma chérie. J’ai besoin de réfléchir un peu à tout ça.

C’est à ce moment-là que je me suis fait les réflexions que j’ai rapportées plus haut sur le démon qui possède Devine. Mais j’avais tort. Tort d’exprimer cela en termes de passion. Il n’y a pas de passion chez un ordinateur. Il n’y a que de la logique froide, mais seulement en cas de programmation précise. La question qui se posait, cependant, était celle-ci : Si Fée avait raison, et si l’Extro avait réellement pris possession de Devine, sans compter toutes les machines électroniques du monde, quel allait être le résultat de ce commensalisme, ou collaboration, ou symbiose, ou plus probablement de ce parasitisme ? Qui se nourrissait de l’autre ? C’était là une question à laquelle je ne pouvais pas répondre pour l’instant.