— C’est le dernier cri, tu sais, Guig. Et c’est ce qu’il y a de plus raisonnable, à notre époque.
— Dieu merci, le Grand Chef est trop faible pour réagir, dis-je.
Lorsque j’eus fini de fêter Natoma, elle se dirigea, l’air préoccupé, vers Fée et Séquoia. Je me tournai vers Valentine.
— Qu’est-ce que tu fais ici, Jimmy ? On peut dire que tu arrives à pic au moment où on a besoin de toi.
— Ben, j’étais sur une affaire à Vancouver quand j’ai reçu ton message.
Jimmy, comme vous le devinez d’après son surnom, est le roi des casseurs et des monte-en-l’air depuis des siècles. Comme la plupart de ses confrères, c’est un homme discret qui aime raser les murs, et lorsqu’il parle c’est toujours con sordino. C’est aussi un homme d’honneur. Il n’a jamais exercé ses talents sur rien qui ait appartenu au Groupe.
— Fée, Natoma, allez mettre le Grand Chef au lit. M’b, essaie de trouver Borgia et amène-la ici. Harry, Jimmy, il faut que j’éclaircisse un point. Qui vous a envoyé un message ?
— Toi.
— Comment ?
— Radex.
— Qu’est-ce qu’il disait ?
— Que tu avais besoin d’une aide spéciale.
— Pas d’autres détails ?
— Le mien disait que tu étais bouclé à l’intérieur de l’U-Con et que tu voulais en sortir, dit Harry.
— Le mien disait que tu étais à l’intérieur de l’U-Con et que tu voulais y entrer, dit Jimmy.
— Je vous suis très obligé et reconnaissant d’avoir accouru à mon aide, leur dis-je, mais je suis très perplexe. Je n’ai jamais envoyé de message.
Les deux professionnels m’ignorèrent.
— Qu’est-ce que c’est que ce casse ? demanda Jimmy à Harry.
— Écran vibrateur. Je n’en avais jamais vu comme ça.
— Linéaire ? Latté ? Louvre ?
— Non. Moiré.
— Hum ! C’est le nouveau modèle Mosler K-12-FK. Il est sorti il y a seulement quelques mois.
— Tu peux le débrider ?
— Bien sûr. Il faut tripoter le wattage et l’inductance. Cela demande une vingtaine de minutes. J’ai mes outils avec moi. Je vais te montrer.
— Comment peux-tu être si sûr de toi ? demandai-je.
Valentine prit un air peiné.
— Mon pauvre Guig. Tu ne feras jamais un bon cambrioleur. J’ai acheté un moiré le jour même où il est sorti sur le marché. Cela fait des semaines que je m’entraîne à découvrir ses points faibles. Je suis en train de contrer Mosler qui essaie par tous les moyens de rendre son modèle invulnérable. C’est pour cela que j’étais à Vancouver.
Ça c’est de la préparation. Ça c’est de la technique de professionnel. Mais qui a envoyé les messages aux monte-en-l’air du Groupe ? Ne dites rien. Je savais déjà, mais je n’étais pas encore prêt à regarder la vérité en face.
Un inconnu vêtu d’une blouse blanche se projeta dans la maison sans prévenir. Très impoli ça.
— No regret por intrusion, dit-il en spang. Emergency, man. Dr Devine aqui ?
— Qui êtes-vous ?
— Union Carbide.
— Explanar plombo.
— Estro maquina, man. Go crazy verdad.
— Maintenant ?
— Cómo, maintenant ? Hace diez hours. Completely deboulonado. We cherchar Devine partout. Por preguntar what happen. Peut-être pasar again ? Reparar ?
— Poder reparar. Pp maintenant. Lo previendrar. Esperar out. Exit.
Il lévita et exita en se rétrojetant.
Poulos murmura sur le ton de la conversation :
— Le Dr Devine a eu sa crise il y a exactement dix heures.
— Combien en sais-tu, le Grec ?
— Seulement ce que la jeune fille t’a murmuré à l’oreille. J’ai l’ouïe très fine.
— Il faut croire que Devine agit sur l’Extro autant que ce dernier agit sur lui.
— Je pense que ta conclusion est correcte.
— C’est l’Extro qui a envoyé les messages à Harry et à Valentine.
— Bien sûr. Par l’intermédiaire du réseau électronique.
— Tu crois qu’il nous écoute en ce moment ?
— Probablement. Peut-être pas seulement les mots, mais les pensées aussi.
— Nous sommes plombés ?
— D’une nouvelle façon, oui. Tant que le Dr Devine reste conscient et en possession de sa raison. Cependant, il n’est pas le seul à aider l’ordinateur.
— Quoi ?
— Il y a une vendetta au sein du Groupe.
— Pour l’amour de Dieu, Poulos. Qui ? Quoi ? Comment ?
— Je ne sais pas. J’imagine qu’il s’agit d’un autre membre du Groupe.
— Tu sais ce que tu dis ?
— Non, mais je suppose quand même. Un Homol renégat.
— Impossible !
— Rien ne l’est.
— Un Homol se retournant contre les siens ?
— Un ou une. Oui. Je ne vois pas ce qu’il y aurait d’étonnant. Les querelles internes ne manquent pas dans l’histoire du Groupe. Ce n’est pas la première fois.
— Qu’est-ce qui t’a amené à cette conclusion ?
— Les faux messages à Valentine et Houdini.
— C’est l’Extro qui les a émis.
— Exact, mais comment était-il au courant de leur existence et de leurs talents ? Comment a-t-il su où les joindre ?
— Il pouvait très bien… Non. Tu as raison. Alors, c’est le Grand Chef qui a parlé.
— Sur la foi de quelles informations ? Il ne fait partie du Groupe que depuis moins d’une semaine. Il a fait la connaissance ou entendu parler d’une demi-douzaine de membres au maximum. Certainement pas de Valentine ou de Harry Houdini. I ! est matériellement impossible qu’il ait eu les renseignements nécessaires pour tuyauter l’Extro.
— Mon Dieu ! Tu dois avoir raison. Ce doit être l’un de nous. Mais qu’est-ce qui te fait croire qu’il agit contre nous ?
— Parce qu’il s’est allié à l’Extro, qui a prouvé qu’il nous était hostile.
— Misère de Dios ! Un renégat parmi nous !
— Un ennemi puissant, fort de nombreuses années d’expérience. À la mesure de n’importe lequel d’entre nous.
— Tu n’as aucune idée de son identité ?
— Absolument aucune.
— Et ses motivations ?
— La haine, pour une raison ou une autre.
— Envers tout le monde, ou seulement certains ?
— Impossible à dire.
— Comment communique-t-il avec l’Extro ?
— Rien de plus simple. Tu prends n’importe quel téléphone et tu parles. Le réseau transmettra le message à l’Extro, du moment que le central est conscient.
— Cela pourrait être un désastre pour le Groupe, Poulos. J’en suis tout retourné.
— Tu as tort, Guig. C’est un défi tout à fait fascinant qui nous est lancé. Le premier depuis de nombreuses années.
— D’accord. Mais qu’est-ce qu’il faut faire ?
— En route pour Cérès. Pas pour s’enfuir, mais, simplement pour mettre en sécurité Devine et sa capsule. Ensuite, on retourne au combat.
Harry et Jimmy ne nous écoutaient même pas. Ils étaient absorbés dans une intense conversation technique à base de watts, d’ampères, de mégahertz, de fréquences et d’inductances. Il fut un temps que j’ai connu où les truands parlaient de nitroglycérine et de forets en diamant. Le progrès, que voulez-vous. Quand nous eûmes fini, Poulos et moi, ils s’interrompirent et nous regardèrent.
— Quand ? demanda doucement Jimmy.
— Dès que le Peau-Rouge sera en état. C’est lui qu’il faudra faire entrer.