Nous allâmes visiter des musées et des galeries de peinture, tous situés dans des stations de métro. Nous fîmes du lèche-vitrines, seulement il n’y avait pas de vitrines. La marchandise était exposée à la devanture pour qu’on puisse la toucher et l’examiner. Si quelque chose vous plaisait, vous l’emportiez à l’intérieur pour payer. Tout le monde prenait grand soin de tout replacer exactement comme c’était. Les gens étaient d’une honnêteté qui nous sidérait.
Parfois, nous allions aussi dans des boîtes ou des clubs où nous apprenions à danser la barra. Les hommes restant gravement à la même place, les bras rigides pendant sur le côté, ne bougeant que des pieds à la taille. Les femmes improvisant de gracieuses figures autour d’eux en ondulant les bras, les hanches et le corps. Natoma était magnifique. Je n’étais pas le seul à le penser. Une fois, on lui attribua même un prix.
Nous allâmes à la chasse. Mais oui. Aux papillons, aux plantes exotiques, aux herbes rares et aux fougères. Il fallait que je les retire de terre délicatement sous un soleil brûlant tandis que Natoma les mettait dans des pots. Nous étions nus tous les deux (à l’exception de grands chapeaux pour nous protéger la tête et la nuque) et je pris peu à peu la couleur de Natoma, qui prit celle de Fée-7. J’étais capable maintenant de repenser à elle sans que cela déclenche des sanglots de désespoir. Le temps et ma bien-aimée Cherokee aidaient à cicatriser la plaie.
Elle n’avait rien de Polyanna, ma douce épouse cherokee. Elle avait son caractère, bouillant mais tenu en laisse. À mesure qu’elle se perfectionnait en XXe cela devenait tout à fait apparent. Nous eûmes quelques disputes sonores qui durent épouvanter la domesticité. Il y eut des moments où je crois sincèrement que si elle avait eu un tomahawk sous la main, elle m’aurait fendu le crâne sans hésiter. Oui, je l’adorais et je la révérais. Je me sentais comblé par le Big Manitou.
Extro. Alerte.
Alerte.
Curzon et ma sœur ?
Partis pour Cérès.
Je sais. Toujours là-bas ? Sains et saufs ?
Pp d’information. Impossible communiquer avec Cérès.
Ils sont rentrés ?
Pp d’information si dans zone où le réseau n’a pas accès. Groenland, Brésil, Sahara, Antarctique.
Mm.
On enquête sur vous ici à l’Union Carbide. Identité ?
Inconnue.
Un membre du Groupe ?
Pp d’information Et le reste du Groupe ?
Dispersé selon instructions.
Bong.
Permission de poser question ?
Uu.
Les cryonautes ?
Maturité dans un mois.
Pourquoi ne puis-je communiquer avec la capsule ?
Isolée.
De moi ? Pp ?
Nn programmé pour faire confiance.
Vous vous moquez de moi.
Uu.
Nous ne sommes plus des commensaux égaux.
Nn.
Vous n’avez plus besoin de moi.
En dehors des informations et du réseau, Nn.
Et moi, à part les communications avec le réseau, je n’ai pas besoin de vous.
Félicitations.
Je reçois une aide de votre Groupe.
Ridicule.
Je ne suis pas programmé pour mentir.
Qui est-ce ?
Un humain haineux.
Son nom.
Pp d’information. Peut-être se fera-t-il reconnaître par vous comme associé.
Vous communiquez avec lui ?
À sens unique seulement. Il m’envoie des données et des suggestions par le réseau. Je ne peux pas émettre vers lui.
Comment sait-il la vérité sur nous ?
Il a son propre réseau.
Électronique ?
Humain.
Le Groupe ?
Pp d’information. Demandez-lui quand vous le verrez.
Il semble fort pour les machinations.
Il l’est.
Il semble dangereux.
Il est humain.
Vous n’avez pas eu de chance, le jour où vous vous êtes relié à nous.
Vous connaissez la chanson sur la Dame de Catalogne ?
Qui ne la connaît pas ?
Vous êtes tous des charognes.
Il fallait y penser avant de vous associer à moi.
Pp prévu sans programmation.
Uu. Vous aviez des rêves de pensée autonome. Vous n’êtes pas vivant. Vous êtes une machine. Et vous ?
Qq ?
Vous êtes vivant ?
Éternellement. Exit.
Boris Godounov nous rendit une visite surprise. Il arriva de Barra dans un taxi jaune avec un sac en papier de supermarché contenant ses affaires de voyage. Boris est à peu près aussi haut et aussi large qu’un taxi jaune. Il a des cheveux filasse, des yeux bleus et toujours le sourire aux lèvres. Un Popof de son gabarit, on s’attendrait à ce qu’il ait une bonne voix de basse capable de faire trembler le sol. Mais Boris était un ténor légèrement voilé. Je fus ravi de le revoir. Il fut ravi de voir ma femme.
— Ça fait pas mal de temps, hein, Boris ?
Il jeta un regard en direction de Natoma.
— C’est bong, le rassurai-je. Elle est au courant de tout. D’ailleurs, ce que je ne lui dis pas, elle arrive toujours à le trouver toute seule.
— Kiev. 1918.
— Mm. Comment tu as survécu à la révolution, je ne le comprendrai jamais.
— Ce ne fut pas si simple, Guig. Ils m’ont eu pendant la contre-révolution de 1999. Ils m’ont exécuté.
— Alors, qu’est-ce que tu fais là ?
— Un deuxième miracle. Borgia était à l’institut Lysenko. Elle faisait des recherches sur les clones de l’ADN. Très aléatoire et problématique, me dit-elle. Et Pasteur est d’accord avec elle.
— Un troisième miracle.
— Borgia a pris un morceau encore tout chaud de Boris et l’a conservé dans je ne sais trop quoi en lui faisant subir un traitement que je n’ose espérer comprendre un jour. Vingt ans plus tard, Boris renaît et le peloton d’exécution peut aller se faire cuire un œuf.
— Magnifique !
— Le plus difficile pour moi, ce furent les vingt années suivantes.
— Pour tout réapprendre ?
— Niet. Ça n’a pas été un problème. On ne sait pas qu’on est un bébé déjà né. Alors, on apprend ses leçons comme un enfant bien sage. Les aptitudes demeurent, mais le passé disparaît.
— Mais comment peut-on te redonner la mémoire ?
— On ne peut pas. Sam Pepys a fait de son mieux avec ses archives, mais ce n’est pas assez. C’est bien triste.