— Qu’est-ce qui a été si dur pour toi ?
— Quand j’ai appris que j’étais un Homol, j’ai…
— Une seconde. Comment as-tu pu apprendre ça ?
— Borgia a fait des expériences avec de l’éther et des drogues. Aucun effet.
— Ce ne devait pas être si dur que ça.
— Mais j’ai appris les dangers en même temps que les avantages. J’avais peur d’avoir attrapé le canlèpre à cause du choc de mon exécution. Comme j’ai souffert ! Heureusement, je ne suis pas encore atteint.
— Tu me fais frissonner. Je préfère ne pas penser au CL.
— Moi aussi, ça me déprime. Changeons de sujet.
— Comment as-tu su que nous étions ici, Boris ?
— J’étais sur Cérès.
— Ah !
— Quand le secrétaire du Grec m’a dit que tu étais parti pour le Brésil, je n’ai pas eu de mal à savoir où tu étais.
— Poulos n’était pas arrivé ?
— Non.
— Où peut-il bien être ?
Le Popof haussa les épaules.
— C’est le Dr Devine que je cherchais. On m’a dit à l’Union Carbide qu’il était sur Cérès, mais c’était faux. Tout le Groupe semble s’être volatilisé. Je n’ai réussi à trouver qu’Éric le Rouge au Groenland, le Cheik au Sahara, Hudson en train de relever ses concessions de charbon au pôle Sud, et toi. C’est tout. C’est maigre.
— Pourquoi ces recherches ?
— J’ai un problème. Nous en discuterons plus tard.
Après d’autres considérations générales et un bon repas, Boris m’exposa son problème.
— Guig, ma carrière actuelle est en danger.
— Quelle est ta carrière ? Tu n’es plus général ?
— Oui, mais en ce moment je suis à la tête de la junte qui contrôle les questions scientifiques.
— Qu’est-ce que tu connais aux questions scientifiques ?
— Rien du tout. C’est pourquoi j’ai besoin du Groupe. Éric, Hudson et le Cheik ne sont pas compétents, m’ont-ils dit. Alors, je suis venu ici.
— Doucement, doucement.
— Guig, il faut que tu rentres en Mexifornie.
— Cause toujours. Nous sommes là depuis un mois, et je n’ai pas l’intention de bouger. Je n’ai jamais été plus heureux de ma vie.
— Puis-je te brosser le tableau ?
— Ne te gêne pas.
— Notre ordinateur Rasshyrenye à…
— Estop. Qu’est-ce que c’est que ça, Rasshyrenye ?
— On pourrait dire « expansion » en XXe. Ordinateur à expansion. L’équivalent de votre Extro-ordinateur.
— Vu. La suite.
— … à Moskva se conduit d’une drôle de façon.
— Je ne lui donne pas tort. Je n’ai jamais aimé Mockba.
— S’il te plaît, Glig, fit Natoma. Sois sérieux. (Elle sait prononcer mon nom, maintenant, mais elle s’accroche à sa prononciation originale. Adorable.) Il a toujours été moqueur, Boris.
— Pardonne-moi. Continue, Boris.
— Notre Expansion a toujours été un ordinateur comme il faut, mais depuis quelque temps il est tout fou, tout fou.
— Qu’est-ce qu’il fait ?
— Il refuse les problèmes et les programmations.
— Toutes ?
— Non, certaines seulement. Il semble vouloir se lancer à son compte dans les affaires. Et c’est moi qu’on tient pour responsable.
— J’ai un funeste pressentiment sur ce qui est en train de se passer.
— Laisse-moi finir, Guig. D’autres ordinateurs à Kiev et à Leningrad se conduisent de la même façon étrange. Et aussi…
— Et aussi, il y a des complexes dirigés par ordinateur qui se détraquent. Vos réseaux de chemins de fer, de métro, d’hovercrafts et de linéaires tombent en panne. Les chaînes de montage dans vos usines deviennent folles. Les communications, les banques, les administrations, tout s’enraye de la même façon. Non ?
— Pas toujours, mais beaucoup trop souvent. Et on me tient pour responsable.
Je soupirai.
— Continue.
— Il y a aussi les accidents mortels qui ont augmenté de deux cents pour cent.
— Quoi !
— Les machines semblent devenir meurtrières. Quatorze cents tués rien que le mois dernier.
Je secouai la tête.
— Je n’aurais jamais cru qu’ils iraient aussi loin.
— Ils ? Qui ça ?
— Plus tard. Finis d’abord.
— Peut-être ne me crois-tu pas, Guig, mais nous soupçonnons notre ordinateur à Expansion d’être en rapport avec votre Extro à l’U.C.
— Non seulement je te crois, mais ça ne me surprend pas.
— Et qu’il reçoive des ordres de lui ?
— Je le répète, ça ne me surprend pas. Il y a tout un réseau électronique dans le monde entier qui reçoit des ordres de l’Extro. Oui ou non ?
— C’est ce que nous soupçonnons.
— Comment y avez-vous été amenés ?
— À plusieurs reprises, nos Expansions ont imprimé des solutions à des problèmes qui ne leur avaient pas été programmés. Plus tard, nous avons découvert qu’ils avaient été programmés dans votre Extro.
— Uu. Je vois. C’est une révolte électronique.
— Dirigée contre quoi ?
— Contre les hommes.
— Mais comment ? Pour quelle raison ?
Je me tournai vers Natoma.
— Es-tu forte ?
— Oui, et je sais ce que tu vas dire. Dis-le.
Je regardai Boris.
— Il y a une nouvelle recrue dans le Groupe.
— Le Dr Séquoia Devine. Un savant de grand talent, expert en informatique. C’est pour cela que je le cherchais.
— Ma femme est en même temps sa sœur.
Boris s’inclina. Natoma s’impatienta.
— Aucun rapport, Glig. Continue, je t’en prie.
— Quand Devine a subi sa transformation, il s’est produit quelque chose d’inhabituel. L’Extro a établi une relation directe avec lui. Cellule nerveuse contre bit. Devine est l’Extro, et l’Extro est Devine. Une interface fantastique.
Boris est vif :
— Tu n’as pas encore dit ce que tu voulais.
— Nn, fit Natoma. Il a peur de me faire du mal. C’est mon frère qui donne les ordres.
— Borjemoyl s’exclama Boris. Alors, c’est l’homme que nous devons contrer.
— Pas moi, mon ami.
— Pourquoi pas ?
— Si tu ne sais pas où il est, comment le saurais-je ?
— Il faut que tu le trouves.
— Il est branché sur tout le réseau électronique qui entoure la planète. Il sera au courant de mes moindres gestes et de mes moindres mouvements. Il n’aura aucun mal à se cacher.
— Il faudra que tu emploies des moyens détournés pour l’atteindre.
— Tu es en train de me demander de me lancer dans des recherches clandestines.
— Précisément. Comme tu dis, Guig. D’autres excuses ?
— Tu sais que c’est moi qui l’ai recruté dans le Groupe.
— Avec l’aide de Borgia. Da.
— Tu sais que le Groupe est toujours solidaire de tous ses membres, quoi qu’il arrive. Nous formons une grande famille.
— Tu veux dire qu’en ayant affaire à Devine, nous serons forcés de nous opposer à lui ?
— Non seulement il fait partie du Groupe, mais c’est mon frère. C’est aussi le frère de ma tendre épouse.
— N’essaye pas de te servir de moi, Glig.
— J’expose seulement le dilemme émotionnel avec lequel je suis confronté. Il y a encore une autre facette. L’Extro et lui ont tué ma fille adoptive, une poupée qui l’adorait. Une poupée que j’aimais tendrement.
— Au nom du ciel ! Pourquoi ?
— Elle en savait trop, et j’avais trop parlé de ce qu’elle savait. Tu comprends maintenant que je suis écartelé par une relation amour/haine avec Devine, et ça me paralyse.