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— On dirait du Tchékhov, s’extasia Boris.

— Pour couronner le tout, j’ai peur de lui. Sincèrement. Il a déclaré la guerre à l’humanité. Cette guerre a déjà débuté, avec l’aide du réseau de machines électroniques. À preuve tes quatorze cents morts.

— À l’humanité ? Pourquoi ça ? Il veut la remplacer par des machines ?

— Non. Par des hermaphrodites. Sa vision d’une nouvelle race.

— Impossible !

— Il en a trois déjà, dit Natoma.

— Ils ne peuvent pas exister.

— Ils sont pourtant une réalité. Et à mesure qu’il tuera des hommes, il les remplacera par des hermaphrodites. Je pense que l’Extro a dû l’influencer. Les hommes se sont mis à haïr les machines depuis le vingtième siècle, mais il ne leur est jamais venu à l’idée que les machines pouvaient leur rendre la pareille. Tu comprends pourquoi je suis terrifié, Boris.

— C’est grave, mais ce n’est pas assez pour justifier une terreur panique. Il y a encore quelque chose que tu me caches. Qu’est-ce que c’est ? J’ai le droit de savoir.

Je laissai échapper un soupir de résignation.

— Mm. Tu as raison. Le Grec a découvert qu’il y a un Homol renégat qui travaille avec l’Extro. Peut-être avec Devine aussi, si ça se trouve.

— Je ne peux pas croire ça.

— Les arguments et les preuves du Grec ne peuvent pas être réfutés. Il y a un Homol qui a déclaré la guerre au Groupe.

— Qui est-ce ?

— Pp savoir. Tu as raison, Boris. La collaboration d’un Homol nouveau-né et d’un ordinateur à rallonges est une chose sérieuse, mais pas terrifiante. Ajoute à ça un Homol renégat, avec des siècles de savoir, d’expérience, de richesse, de haine, qui se retourne contre le Groupe, et c’est pour moi la panique. Je ne veux pas être mêlé au désastre qui va s’ensuivre. Si quelqu’un dans le Groupe aime jouer les héros, il n’a qu’à s’en charger. Moi, je survivrai bien si j’arrive à me planquer, et c’est ce que j’ai l’intention d’essayer de faire.

— Et ta charmante femme ?

— Qq ?

— Elle survivra aussi ?

— Espèce de salaud d’enfant de Cosaque ! Mais ma réponse tient quand même. Je ne me mesurerai pas aux trois, ni même à chacun d’eux séparément. Je ne suis pas du bois dont on fait les héros.

— Alors, je le ferai seule, dit Natoma d’une voix sinistre. Boris, conduis-moi en Mexifornie s’il te plaît. Si tu ne peux pas, j’irai toute seule.

— Natoma… commençai-je, furieux.

— Edward !

Elle m’interrompit de sa voix péremptoire de fille du plus puissant Sachem de la réserve du lac Erié.

Que pouvais-je faire ? Elle m’avait jeté un sortilège indien. Je me rendis.

— D’accord. J’irai. Je ne suis qu’un papoose à côté de toi.

Boris était radieux.

— Je vais interpréter maintenant le Chant d’amour persan de Rubinstein en l’honneur de ta délicieuse, ravissante et vaillante épouse.

— À condition qu’on trouve la salle de musique, ronchonnai-je en allant chercher mon plan du logis.

10

Puis vint la révélation épiphanique autant qu’inattendue de Hillel, le Juif, saturnin, séphardiquement noir et blanc, deux fois aussi rusé que le reste du monde réuni.

Quand Natoma et moi nous sortîmes des mains des douaniers du Corridor du Nord-Est (le Brésil n’a pas l’autorisation de se poser sur le territoire de la Mexifornie ; ne me demandez pas pourquoi), il était là à nous attendre au milieu d’un monde grouillant de porteurs mechos. Il agita la main en réponse à des signaux que je n’avais pas faits, se creusa un chemin dans la foule, prit nos bagages et nous poussa dans un pogo. Je voulus lui dire bonjour, mais il secoua la tête. En nous faisant asseoir, il murmura : « Pourboire. » Je pourbois. Il pousse un grognement déçu. Il disparaît. Il reparaît vêtu d’un uniforme de pogopilote et nous demande en un spanglais douteux où nous avons le culot de vouloir aller. Je lui dis où, et il commence à discuter pour demander un supplément de tarif. Je ne me suis jamais fait rouler comme ça de ma vie. Natoma est prête à l’étrangler.

— Du calme, lui dis-je. C’est la coutume dans le Corridor.

Hilly me passa un billet. Il y avait écrit : Prudence. On nous surveille. Vous contacterai prochainement. Je passai le billet à Natoma, dont les yeux s’agrandirent mais qui hocha la tête en silence.

En trois sauts nous arrivâmes à l’hôtel. Ce sacré Hillel recommença à discuter pour le pourboire. Le portier vint à notre secours et nous escorta pour passer les barrières de sécurité. Nous étions suivis par les hurlements indignés du Youp. Il tenait son rôle à merveille. La fureur chronique, c’est la mode qui fait rage actuellement dans le Corridor.

Nous demandâmes une suite avec eau courante froide et chaude. Extravagance qui effaça aussitôt l’hostilité narquoise du réceptionniste. Le Corridor souffre d’un perpétue ! manque d’eau. La plupart du temps, il faut l’acheter au marché noir. Inutile de dire que ça vous coûte les yeux de la tête. Dans le Corridor, vous ne demandez pas à une fille de venir chez vous admirer vos gravures chinoises, vous l’invitez à monter prendre une douche.

Nous prîmes donc une douche, ce qui me donna l’impression d’être un petit vieux délicieusement cochon. Pendant que nous étions en train de nous sécher, le garçon de l’étage arriva chargé de deux fourreaux à carabine en cuir.

— Ce sont les fusils que vous avez demandés, monsieur, me dit-il dans son euro d’hôtel affecté. Canons superposés, calibre 410. Modèle spécial pour Médême. Une boîte de cartouches dans chaque fourreau.

J’allais déclarer que c’était une erreur lorsque je m’aperçus que c’était le Juif. Je ne dis rien.

— Demain matin à l’aube sur la Lande. 5 h 30 précises, poursuivit suavement Hillel. Le club a accepté de lâcher vingt poulets. Très attentionné de leur part. Si je puis me permettre une suggestion, monsieur Curzon, un geste généreux serait de circonstance.

— Des poulets ! m’exclamai-je. Pas de coqs de bruyère, ni faisans, ni perdrix ?

— Impossible, monsieur. Ces espèces ont disparu dans le Corridor. On pourrait les importer d’Australasie, mais cela prendrait des semaines. Toutefois, les poulets ont été élevés spécialement pour qu’ils sachent faire preuve de ruse et de vivacité. Je suis sûr que Médême et Mossieu passeront une bonne journée.

Un officier de sécurité de tir s’approcha de nous sur la Lande tandis que nous attendions l’arrivée de l’aube et des oiseaux. Il portait un gilet de protection rouge et je crus qu’il allait nous demander de lui montrer nos permis. Mais je vis que c’était encore Hillel.

« Gottenu ! » grogna-t-il en s’asseyant sur le béton. L’appellation « La Lande » n’était qu’une façon de parler. Il s’agissait d’un vieil aérodrome datant de plusieurs siècles. Il y avait des kilomètres carrés de béton qui appartenaient maintenant au club de tir.

— Il a fallu que je vienne jusqu’ici à pied, poursuivit-il en reprenant son souffle. Asseyez-vous près de moi, madame Curzon ; autrement, si Guig nous présente, il faudra que je me lève, et je ne sais pas si j’y arriverai.

— À pied ! m’étonnai-je. Pourquoi ?

— Pour ne pas prendre de risque. Le réseau Extro est très efficace. C’est pourquoi nous nous rencontrons ici, où ils ne peuvent pas nous atteindre. Bonjour, madame Curzon. On m’appelle Hillel le Juif.

— Qu’est-ce que c’est, Juif ? demanda Natoma avec curiosité.