— Mais, Guig, c’est toi qui as donné à Séquoia la vie éternelle.
— Oui, en le tuant une première fois. Maintenant, je vais lui reprendre ce que je lui ai donné en le tuant une deuxième fois. C’est ce qu’on appelle un présent indien. (J’agitai un doigt en direction de Natoma.) Et je m’en fiche si cela doit détruire mon mariage.
Natoma se tourna vers le Youp en se tordant les mains de désespoir.
— Hilly. Fais quelque chose.
— Je ne peux pas, ma jolie. Il a fait démarrer le processus dont nous avons parlé sur la Lande, et maintenant nous ne pouvons plus le contrôler. Tu ne vois pas ? Gottenu ! Je n’aurais jamais cru que les choses en arriveraient là. Il me fait peur, je t’assure.
— Qu’est-ce que tu as mis dans la seringue que tu as utilisée pour me sortir de là ? demandai-je.
— Tu n’es plus dans le coup. On ne fait plus d’injections, aujourd’hui. On se sert d’œstrogènes.
— C’était quoi ?
— Mettons les choses au point, fit Hillel sans hausser la voix. Tu essaies tes nouveaux muscles, c’est d’accord. Mais ne crois pas que tu vas jouer au petit malin avec moi. Ça ne prend pas. Comment je t’ai sorti de ton délire, c’est mes oignons. Je t’ai dit d’oublier tout ça. Je n’ai pas barre sur toi, mais par Dieu, tu n’as pas barre sur moi non plus. Ou bien nous discutons en égaux, ou bien tu fous le camp d’ici. Tu peux rentrer à la nage, si tu veux.
Il avait raison. J’inclinai la tête.
— Bong. Est-ce que tu as retrouvé Géronimo ?
— Uu. Avec ton aide.
— La mienne ? Imposs. Je ne l’ai même pas approché. Où est-il ?
— Environ quatre cents mètres au-dessous de nous.
— Quoi ? Dans le lac ?
— Sous le lac.
— Explique.
— Le réseau a essayé de t’empêcher d’entrer à Tchicago, et moi à G.M. Quel rapport peut-il y avoir entre les deux ? Cela m’a fourni la troisième possibilité que je cherchais. G.M. était dans le temps une cité qu’on appelait Détroit. Il y a des centaines et des centaines de kilomètres de mines de sel épuisées en dessous de Détroit, qui s’étendent jusqu’à Tchi. Je me trouvais à un bout, et toi à l’autre. Le Dr Devine et ses créatures doivent être quelque part au milieu. Peut-être juste au-dessous de nous.
— Comment a-t-il pu faire entrer la capsule dans les puits de mine ?
— Ce ne sont pas des puits de mine. Ce sont des galeries de la dimension d’un boulevard.
— Pourquoi tous ces besoins en sel ?
— Ils utilisaient un procédé d’extraction. Énergie contre sodium.
— Ah ! Le Grand Chef utilise sans doute les lignes électriques originales pour alimenter sa fichue capsule.
— C’est possible.
— D’égal à égal, Hilly. Commençons par le commencement. Uu ?
— Uu.
— Il faut localiser Devine. Je voudrais voir à quoi ressemblent ses phénomènes.
— Entendu.
— On le liquide plus tard. La ferme, Nato. N’importe quel coup demande une préparation.
— Tu parles de nouveau comme Capo Rip.
— Que je me souvienne de lui ou pas, il doit y avoir encore une partie de lui en moi.
— Ça se voit.
— On travaille ensemble, ou séparément ?
— Je propose séparément.
— Bong. J’aurai besoin d’aide. Qui suggères-tu ? Quelqu’un du Groupe ?
— Nn. Un des guerriers de ta femme.
— Ils sont disponibles ?
— Ils sont à bord. L’ennui, c’est qu’ils ne parlent pas les mêmes langages que nous.
— Je ferai l’interprète, proposa Natoma.
— Non, fit vigoureusement le Juif. Tu es morte, et tu le resteras à bord de ce schooner.
— Ça ira, fis-je. Elle m’a enseigné le langage des signes pendant que je lui apprenais le XXe. Je me débrouillerai pour communiquer. Qui est le meilleur pisteur ?
— Longue Lance, répondit Natoma. Mais il n’est pas aussi fort au tomahawk que Tête de Flèche.
— Je t’ai dit qu’il n’y aura pas de massacre pour l’instant. Ce n’est qu’une expédition de reconnaissance. Tais-toi, Nato, et fais ce que te dit Hilly. Tu es morte. Nous discuterons de ton frère quand je serai de retour. Il y aura beaucoup à dire. Qui est-ce qui voulait le faire rôtir à petit feu l’autre jour ?
— Mais je…
— Plus tard. Est-ce que le réseau croit que je suis mort moi aussi, Hilly ?
— Probablement. Tu as disparu de la circulation après l’explosion.
— Et ce Capo ?
— Je me suis souvent demandé, Guig, si ton génie potentiel ne se manifestait pas plus facilement au niveau subconscient que conscient. Maintenant, je sais la réponse. Quand ton moi souterrain a pris les rênes en main, il n’aurait pas pu choisir une meilleure couverture. Of course, le réseau connaît l’existence de Capo Rip. Rien ne peut lui échapper. Mais il est peu probable qu’il ait pu faire ta liaison avec le gentil Edward Curzon.
— Gentil, c’est fini.
— Peut-être. On verra bien.
Soudain, j’eus comme une faiblesse et je dus m’asseoir. Mon visage avait dû virer au verdâtre, car Hilly me demanda en souriant :
— Tu as le mal de mer ?
— Plus grave que ça. Je viens de penser à une des conséquences possibles de l’explosion qui m’a fait devenir Capo Rip.
— Oui. Le C.L. Je regrette, Guig, mais c’est le suspense. Souviens-toi qu’on ne peut pas faire autrement.
— Je ne comprends rien à ce que vous dites, fit Natoma avec impatience. Qu’est-ce que c’est que le C.L. ? Pourquoi Guig est-il bouleversé ?
— Il t’expliquera ça une autre fois, Natoma. Pour l’instant, il a besoin d’un peu de distraction, et il se trouve que j’ai sous la main un objet fascinant. (Il ouvrit un coffre-fort et en sortit l’étrange dague que j’avais trouvée dans les ruines de la maison.) Est-ce que tu avais une raison particulière de porter ça dans ta botte quand tu étais Capo Rip ?
— Je ne me souviens de rien là-dessus pour l’instant. Pourquoi cette question ?
— Je connais ton motif au départ. Natoma me l’a dit. Mais sais-tu quelle est la valeur de cet objet ?
— Nn.
— Plusieurs milliers. C’est une pièce d’antiquité très rare. Probablement âgée de plusieurs siècles.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un katar. Une ancienne dague hindoue.
— Hindoue !
— Oui. Une fois de plus, ton aide nous a été inappréciable. Tu as identifié le mystérieux renégat. Il a laissé tomber cette dague quand il a détruit ta maison.
— Le Rajah ? Pas possible.
— Le Rajah. C’est le seul membre du Groupe d’origine hindoue.
— C’est hors de question. Il doit y avoir une autre explication. C’est un malfrat qui l’a perdue.
— Un malfrat qui se promènerait avec une pièce de musée ? C’est le Rajah qui l’a laissé tomber.
— On l’a volée dans un musée.
— Essaye la poignée. La seule main spanglaise qui pourrait la tenir serait celle d’un enfant. L’aristocratie hindoue a toujours eu les os petits. Le Rajah est le renégat.
— Ce prince magnifique, exquis ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
— J’espère avoir l’immense plaisir de le lui demander moi-même… si je suis encore vivant pour le faire. Alors, quand est-ce qu’on commence la chasse au Rajah ?
— Bong. Nato, fais venir Longue Lance. Je veux que nous soyons tous les deux couverts de peintures de guerre avant de nous mettre en chasse. Ça nous donnera un avantage.
— Gottenu ! Tu n’as pas l’intention de pister Devine à pied sur des centaines de kilomètres de galeries de mine ?
— Que suggères-tu ?