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Longue Lance émit un sifflement, et quand je regardai dans sa direction il me fit des signaux urgents. Je me dégageai de mes fans : finis les autographes, et courus vers lui. Il fit le signe Écoute. J’écoute, coûte. Puis j’entends. Le bourdonnement d’un hovercraft qui s’approche. C’est Hilly qui arrive de l’autre bout, me dis-je. Je prends Longue Lance aux épaules, et nous courons ensemble jusqu’à l’Avenida. Ça ne plaît pas tellement à l’Algonquin, mais je ne lui laisse pas le temps de discuter. Il sort quand même son poignard. Alors, je m’arrête.

Heureusement. Ce n’était pas Hilly, c’était Géronimo qui descendait d’un hover bourré de provisions. Longue Lance se confondit avec la paroi. Il ne voulait peut-être pas se frotter au fils et héritier du plus puissant sachem de l’Erié. Ce qui n’était pas le cas du fils et héritier du puissant Capo Rip. Je m’avance au grand jour devant l’hovercraft, une main sur mon brûleur, ce qui est ridicule, mais j’étais vraiment en colère. Devine s’immobilise, sidéré. Il ne me reconnaît pas, et de toute façon il n’attendait pas de visite.

— Ss, dis-je.

— Hh ? Hh ?

— Tu as une mine splendide, frère.

— Ça ne peut pas être Guig.

— Uu.

— Impossible.

— Sous le décor. Regarde bien.

— Guig ! Mais…

— Uu. Tu m’as raté, fils de pute.

— Mais…

— Tu as failli avoir Natoma à ma place.

— Nn.

— Uu.

— Mais je…

— Je sais, je sais. Tu as essayé de la faire descendre. Mais c’est moi qui suis descendu parce que son spanglais n’est pp assez bon. Elle t’envoie le bonjour. Papa et mama aussi.

— Et toi ?

— Je suis en train de me demander de quelle manière il est préférable que je te tue.

— Guig !

— Uu. Tu vas être liquidé.

— Pourquoi faut-il me tuer ?

— Et moi, pourquoi ?

— Tu as attaqué. L’Extro s’est défendu.

— Et Fée ? Elle a attaqué ?

Il garda le silence en hochant la tête.

— Tu savais qu’elle était folle de toi. Elle aurait fait n’importe quoi pour toi.

— Ce sale Extro, murmura-t-il.

— J’ai déjà entendu cette musique-là quelque part. Ce n’est pas moi, c’est l’autre.

— Tu ne comprends pas, Guig.

— Explique-moi.

— Tu as changé. Tu es dur.

— J’ai dit explique-moi.

— J’ai changé, moi aussi. J’ai perdu mon orgueil. Il m’est arrivé tant de choses. C’est un défi, je sais, et je crois que je ne suis pas à la hauteur. Trop de variables et d’inconnues.

— Uu. Tu as l’habitude de penser en droite ligne, et maintenant il te faut réfléchir par petits paquets.

— C’est très perceptif, ça, Guig.

— Tu as peut-être remisé ton orgueil, mais pas ton arrogance. Le fils du Grand Sachem.

— J’appellerais ça plutôt de l’ambition. Et pourquoi pas ? Quand j’étais gosse, mes idoles étaient Galilée, Newton, Einstein, tous les grands découvreurs. Aujourd’hui, c’est moi qui ai fait une découverte. Peux-tu me reprocher de me battre pour elle de toutes mes forces ? As-tu vu mes cryonautes ?

— Je t’ai vu au travail avec l’Extro. C’est ça, ta découverte ?

— Ça fait partie des petits paquets, comme tu dis. Tu as sûrement vu mes cryos. Je te connais, frère.

— Arrête ton charme, avec tes liens de famille. Uu, je les ai vus.

— Alors ?

— Tu veux que je sois franc avec toi ?

— Uu.

— Ils sont beaux. Ils sont fascinants. Ils s’attirent immédiatement l’affection. Ils inspirent instantanément l’horreur.

— Tu ne peux pas imaginer ce qu’ils représentent. Ils communiquent et pensent sur la longueur d’onde alpha. C’est pour cela qu’ils ne peuvent pas parler. Ce sont des élèves brillants. Dans quelques mois, ils auront atteint le niveau universitaire. Ils sont incroyablement doux. Pas une parcelle d’hostilité. Et ils possèdent aussi une qualité remarquable dont je n’avais jamais entendu parler avant – je ne crois pas que le concept même ait jamais existé. Ils sont dotés de valence électronique. Tu sais comment les gens réagissent au temps qu’il fait. Eux réagissent aux zones supérieures du spectre électromagnétique, au-dessus de la zone visuelle. Fais passer un courant dans un fil, et ils sont excités ou déprimés, selon le nombre d’ampères et de watts. Ils sont merveilleux, Guig. Pourquoi parles-tu d’horreur ?

— Parce qu’ils sont d’une autre planète.

— Nous sommes tous d’une autre planète, Guig. Partout et tout le monde.

— Bien parlé. Tu es un astromorphe.

— Alors ?

— Séquoia Edward, nous sommes le Groupe. Nous nous devons amour et loyauté. Uu ?

— Uu.

— Séquoia Edward, nous sommes l’humanité. Nous devons amour et loyauté à tous les hommes. Uu ?

— Uu.

— Edward Séquoia, que fais-tu de tous ceux que tu as tués ?

— Ah ! Tu me touches au cœur. J’ai honte, maintenant.

— Combien ?

— J’ai perdu le compte.

— C’était de l’amour et de la loyauté ?

— Envers le Groupe, oui. Je voulais que tout le monde fasse partie de nous, quel que soit le prix à payer. En outre, j’éprouve de l’amour et de la loyauté envers mes trois cryos. Je veux que tout le monde devienne comme eux.

— Même s’il faut tuer toute l’humanité ? Je suis biomorphe, moi.

— C’est ce fichu Extro, bougonna-t-il. C’est lui, le tueur.

— Tu ne peux pas l’envoyer promener ?

— Guig. Tu sais ce que c’est que la personnalité multiple.

— Uu.

— Je souffre d’un cas de personnalité multi-multiple. J’ai tout le réseau électronique dans ma tête. C’est pour cela que je me cache ici. C’est encore un phénomène remarquable qui mérite d’être étudié, mais pas avant que j’en aie terminé avec mes cryos. J’ai tout mon temps.

— Ainsi, tu es contrôlé par l’Extro :

— Uu. Nn.

— C’est toi qui le contrôles.

— Uu.Nn.

— Tu n’as pas l’esprit clair.

— Quel esprit ? J’en ai des milliers.

— Frère, je t’aime.

— Je t’aime aussi, frère.

— Mais je vais te tuer.

— Caïn et Abel ?

— Prends dans ta main une étoile filante.

— Avec un enfant va chercher la racine de mandragore, reprit-il au vol.

— Dis-moi où sont passées les années d’antan, continuai-je.

— Ou qui a fendu le sabot du Diable.

— Si tu as vu d’étranges choses.

— Tu as sauté un vers, Guig.

— Ça ne fait rien. Continue. Tu verras où je veux en venir.

— Contemplé d’invisibles spectacles.

— Voyagé dix mille jours et nuits.

— Jusqu’à ce que la vieillesse ait floconné ta tête de cheveux blancs.