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Il était habitué à l’atmosphère de méthane de Titan. Il ne se plaisait pas dans l’air de la fusée. Natoma avec lui faisait preuve de génie. Elle résolut le problème en lui soufflant de temps en temps de l’insecticide dans les narines. Je ne sais pas comment elle faisait, mais elle savait vraiment s’y prendre avec lui. Sans doute son expérience des guerriers du lac Erié. Le fait est qu’il ne posait pas plus de problèmes qu’un enfant un peu difficile, mais il était doté d’une telle force brutale qu’il fallait quand même faire très attention à lui.

Lorsque nous commençâmes notre approche de la Terre, Natoma donna un cocktail d’adieu en l’honneur des officiers de pont. Elle finit à cette occasion les provisions de notre panier, et se paya même le luxe d’en réchauffer quelques-unes. Vous pensez si c’était un luxe, sur un bâtiment où le moindre allume-gaz était proscrit. Comment fit-elle ? Elle alluma le feu à la manière de ses ancêtres, en faisant tourner une baguette avec une cordelette fixée à un archet jusqu’à ce qu’une étincelle se produise. Des copeaux de plastique servaient d’étoupe, et le carburant était constitué par de gros morceaux de plastique. Le tout contenu dans un récipient en aluminium. Pas bête, la Nato.

Les officiers furent enchantés. Ils avaient tellement apprécié l’attention que deux d’entre eux proposèrent, et tous approuvèrent, de nous aider à sortir du spatioport sans problème par rapport au passeport que mon frère « demeuré » avait bêtement égaré sur Titan. (Et surtout, sans donner l’éveil à l’Extro et à son réseau dont, naturellement, ils n’avaient jamais entendu parler.) Ainsi, nous pourrions rentrer chez nous librement.

Mais quand nous nous posâmes, nous découvrîmes que nous avions un astro-stoppeur avec nous.

14

À mon âge, on apprend à accepter l’inconnaissable avec grâce. Vous pourriez me demander, dans ce cas, pourquoi tant de difficulté à accepter le Rajah, et tant de facilité à accepter l’auto-stoppeur de l’espace ? Facile. Le Rajah était la réponse à un fait précis, une explication que je n’étais pas encore en mesure d’assumer parce qu’il manquait un élément fondamental. Le vaisseau-stoppeur, lui, avait surgi d’un espace-lieu incognoscible. Ni explications ni motivations n’étaient applicables. C’était un fait que l’on ne pouvait ni nier ni insérer dans l’édifice cosmique. Il fallait l’accepter en tant que Ding an sich, chose en soi.

Impossible de dire quel était son habitat originel. Uranus, Neptune, ou Pluton, que l’on n’avait pas encore visité, encore bien moins exploré en ce qui concernait la faune et la flore indigènes ? La ceinture d’astéroïdes ? Peut-être était-ce le réfugié du halo d’un million de comètes qui gravitaient dans tous les sens et autour du soleil ? Pourquoi pas, également, le produit de quelque contre-univers, expulsé dans notre système par un minuscule Trou Blanc ?

Métabolisme ? Pp d’information. Mon hypothèse, beaucoup plus tard : pourrait se nourrir du spectre électromagnétique, ce qui signifierait que dans l’espace il flotte sur une mer de nourriture. Mode de locomotion ? Pp d’information. Peut-être qu’il se laisse pousser par les vents stellaires dans le vide spatial, ce qui expliquerait qu’il ait dû s’accrocher au cargo en vol : il ne pouvait pas affronter sans aide les vents solaires. Moyen de reproduction ? Pp d’information, point final. Raison d’être ? Aucune créature vivante ne peut répondre à ça. Description ?

Disons que quand nous avons débarqué du cargo, il était là, accroché à la coque, à la grande incrédulité des officiers et des techniciens à terre. Il me rappelait un peu le myxomycète, ce champignon des lieux humides que j’avais étudié à Trinity College. S’il y avait quelque chose de vrai dans cette analogie, la réponse à la question Reproduction était toute trouvée : par formation de spores. C’était une espèce de plaque géante de cytoplasme, de la taille d’une descente de lit, translucide, laissant apercevoir des milliers de noyaux à l’intérieur, tous reliés par un lacis démentiel de je ne sais pas trop quoi. Et les noyaux s’allumaient et s’éteignaient comme si la chose vous faisait des clins d’œil.

Naturellement, j’insistai pour l’emporter avec moi, au grand désarroi de Natoma, que la chose emplissait de dégoût. Mais Hic-Hæc-Hoc semblait être tombé amoureux de Clin-clin. Je le lui glissai donc sur les épaules comme une cape. Clin-clin accomplit quelques mouvements de reptation sur les bords pour être parfaitement à l’aise, et fit un clin d’œil à Hic. Je veux être damné si celui-ci ne lui répondit pas de la même façon. Sacré Hic-Hæc-Hoc. J’étais heureux qu’il ait enfin trouvé un ami. Au bout d’un moment, Clin-clin nous démontra qu’il pouvait être autonome. Il décolla de l’épaule de Hic, en agitant ses ailes comme une chauve-souris, et partit en exploration. Puis il revint se percher sur son ami et ils eurent une longue conversation.

Nous nous étions posés juste en dehors de Mexas City, à qui le chargement de compost était destiné, et nous primes un transit pour nous rendre en ville où nous comptions monter dans le premier linéaire en partance vers le nord. Le transit s’écrasa. Natoma bondit pour me protéger de son corps. J’étais vexé, mais elle lâcha : « Le C.L. », et la question fut réglée. Nous hélâmes un pogo libre qui revenait à vide du spatioport, mais au lieu de se poser normalement il fit un atterrissage sur le ventre et prit feu. Natoma encore me protégea. À la gare des linéaires, une citerne de carburant explosa et nous dûmes battre en retraite. J’avais fini par comprendre.

— On nous en veut, dis-je à Natoma.

Elle hocha silencieusement la tête. Elle savait à qui et à quoi je faisais allusion.

— L’Extro et le réseau sont de nouveau en opération, constatai-je.

— Mais comment savent-ils que nous sommes ici ?

— Le cargo a dû nous donner. Et maintenant, le réseau veut notre peau.

— Il nous attaque ?

— Uu. Sans pitié.

— Que faisons-nous ?

— Nous restons à l’écart des machines et de tout ce qui est électronique. Nous rejoignons le nord à pied.

— Deux mille kilomètres ?

— Peut-être trouverons-nous en chemin un moyen de transport muet.

— Est-ce que Mexas City ne signalera pas notre direction ?

— Nn. Notre départ, mais pas notre direction. Nous prendrons un certain nombre de précautions à partir de maintenant. Par exemple, plus un mot. C’est Hic qui nous guidera. L’Extro ne peut rien capter de lui. Je te dirigerai par signes.

Je sortis un morceau de papier de ma poche (un billet de banque en l’occurrence) et écrivis : Chaque fois que nous voyons une machine, nous la détruisons.

Elle hocha la tête en signe d’assentiment et nous reprîmes notre route. Patiemment, je donnai mes instructions à Hic-Hæc-Hoc qui finit par comprendre et prit la tête de l’expédition. Nous étions une armée de trois soldats en déroute. Je ne compte pas Clin-clin.

C’était tt intéressant. Je savais à quel moment nous approchions d’une localité importante lorsque ses émissions apparaissaient devant nous, dansantes comme un mirage. Nous nous affûtâmes ainsi les pattes jusqu’à Queretaro, où nous envoyâmes notre Leader Sans Peur à la recherche de trois chevaux. Je lui avais donné de l’argent en même temps que des instructions, mais comme il ne sait pas à quoi ça sert, j’ai bien peur qu’il n’ait tout de même piqué les rosses. Nous montâmes à cru jusqu’à San Luis Potosi. Là, Hic vola un petit chariot. Nato improvisa un harnais à l’indienne. À Durango, le Leader Sans Reproche ne se débrouilla pas si bien. J’avais, à l’aide de signes et de grognements, demandé des couteaux, mais il n’avait pas dû comprendre. Il me rapporta deux marteaux et une hachette. Cela facilita quand même nos destructions.