— Mais à ceux de mon peuple, oui.
— Écoute, chérie. Il est en bonnes mains. Nous pouvons filer au Brésil, Cérès, dans le Corridor, en Afrique. Tout le système solaire est à nous. Tu n’en as vu qu’une petite partie. Qu’est-ce que tu en dis ?
— Non, Edward. C’est mon devoir de rester. Mais toi, tu peux partir.
— Te laisser ? Jamais.
— Alors, tu resteras et tu feras ce que dit papa ?
— Oui, je resterai. Bon Dieu, Nato. Tu savais très bien que ça finirait comme ça. Alors, pourquoi tourner autour du pot si longtemps ?
Elle contempla ses orteils.
— Je t’aime pour un millier de raisons, Guig. Mais surtout parce que tu ne m’as jamais déçue. Et tu ne me décevras jamais.
— Jamais.
— Je vais te dire une chose que j’avais promis de ne jamais répéter. Ce sera ta récompense.
— Je n’ai pas besoin de récompense pour avoir fait mon devoir.
— Je savais que tu ne trouverais pas le corps de Fée.
— Tu avais raison.
— Je savais qu’il n’était plus là.
Il me fallut un long moment pour encaisser, mais je ne pigeais toujours pas.
— Je ne comprends pas, dis-je.
— Après sa mort, quand tu souffrais tellement, Jicé est sorti avec toi pour te consoler.
— Je me souviens.
— Borgia et moi, nous sommes allées à la fosse à compost. Je voulais que Fée soit inhumée dans un tombeau particulier, pour te faire plaisir. Mais Borgia n’était pas d’accord. Elle parlait de régénération.
— Quoi ? Les clones de l’ADN ?
— Uu. Elle disait que nous étions arrivées à temps, et elle a emporté le corps de Fée avec elle. Ça a coûté un énorme bakchich.
— Et tu ne m’as jamais rien dit.
— Elle m’a fait jurer de garder le silence. Elle disait qu’elle avait eu de la chance avec Boris, mais que l’opération était tellement aléatoire qu’elle ne voulait pas te donner de faux espoirs. De toute façon, je ne comprenais pas la moitié de ce qu’elle disait à l’époque. Mon XXe n’était pp très bon.
Mon cœur se mit à battre très fort.
— Et ensuite ?
— Elle m’a dit qu’elle m’écrirait pour me tenir au courant.
— Et alors ?
— Elle n’a pas encore donné signe de vie.
— Il y a donc toujours de l’espoir. Mon Dieu ! Je… je ne peux pas te dire à quel point je te suis re… Et dire que je t’ai méchamment accusée de jalousie…
— Je te pardonne si tu me pardonnes.
— Pas question de marché entre nous. C’est tous les deux, à la vie, à la mort.
— Pas tout à fait, dit-elle d’une voix solennelle. Je vieillirai et je mourrai, bien sûr, tandis que tu continueras. C’est cela qui fait le plus de mal. Cela devait torturer Fée, qui n’avait même pas… Mais je sais que tu resteras avec moi jusqu’au bout. Qui d’autre s’occuperait de toi ?
— Nous n’avons pas besoin de penser à ces choses-là pendant un bon bout de temps.
— Tu auras sans doute envie de t’en aller.
— Sans doute, mais je ne le ferai pas.
— Tout le monde croira que je suis ta mère.
— Ou bien une vieille très riche que j’ai épousée pour son fric.
Elle gloussa.
— Pourquoi n’as-tu pas choisi une des dames immortelles ?
— Je suppose que c’est parce que je préfère les êtres humains. Le Groupe n’est pas tellement humain, tu sais.
— Toi, tu l’es.
— Nous avons tout le temps devant nous, à la réserve. Nous prendrons des vacances de temps à autre, j’espère. Nous visiterons le système solaire. Tu changeras peut-être d’idée, pour ce que tu viens de dire.
Elle sourit.
— Je vais prévenir mon père. Rendez-vous dans l’arbre dans une heure.
— Pourquoi pas tout de suite ?
— Il faut que j’aide mama à donner le bain à ton fils et à le langer.
Me voici donc, au beau milieu de l’Erié, fils du Puissant Sachem, prince des pavots, bouilleur d’eau-de-feu, et ce n’est pas de tout repos, croyez-moi. Ils m’ont rebaptisé Aigle Blanc. J’étudie le cherokee, la fabrication de l’Horrible Pavot et les traditions locales à l’université. J’obéis aux ordres. Je m’en remets au Sachem pour toutes les décisions importantes. J’officie en même temps que les braves de ma tribu et je me soumets à leur dérision. Mon épouse marche la tête baissée à trois pas derrière moi. Ce qu’elle fait en dehors des heures ouvrables, c’est mon affaire et celle de personne d’autre.
J’ai cet enregistreur sur lequel je consigne mon journal intime en XXe. J’ai prévenu Pepys, et ceux du Groupe me rendent visite à l’occasion. M’bantou a passé six semaines magnifiques dans la réserve. Il s’est fait des amis partout et la nation mandan l’a officiellement adopté. La Tosca est venue étudier les danses tribales pour sa nouvelle production, Salomé. Disraeli m’a apporté un bilan financier. Apparemment, les cryos ont obligé l’Extro à casquer et je suis de nouveau à flot. J’ai pu rembourser le prêt du Sachem. Queenie est venu aussi, mais les Pawnees de service n’ont pas voulu le laisser entrer. Il était blême de rage.
Je crois que je commence à avoir ma petite réputation dans l’Erié. L’autre jour, une délégation de tribus et de nations est arrivée au wigwam pour soumettre un problème de rivalité interne, et ils n’arrêtaient pas de m’appeler « Grand Aigle ». La semaine prochaine, je serai Chef de la porte ouest pour la première vague d’assaut touristique de l’année. Natoma m’a promis de me faire une peinture de guerre qui les emplira d’effroi. Le Sachem nous a donné l’autorisation de prendre le mois de juin en entier cette année. Je crois que nous irons sur la lune.
Dio ! Excuse me. Mon fils est encore en train de pleurer.