— Vous connaissiez la personne qui a été trucidée ? reprend le vieil enquêteur chevronné.
— Quand j’ai vu sa photo dans l’journal, j’m’ai rappelé l’avoir entrecroisée pendant not’ séjournement, moui. L’était seule. Une brune, pas beaucoup de formes.
— Alfred lui faisait du gringue ?
— Pensez-vous : ell’ était bien trop maig. Lui, sa régalade, c’est quand y a du répondant sur les miches et les loloches.
— Un dégueulasse, quoi ! résume Béru, hautement qualifié pour porter ce genre de jugement.
— Il y a parfois des exceptions, enchaîne Pinuchet. Il se peut que le coiffeur ait été sensible au charme de cette personne.
— Elle en avait point ! assure catégoriquement la Bérurière. J’ai l’œil. Si Freddy y avait balancé des coups d’saveur, je les eusse eu surpris, n’ayez crainte, m’sieur César. On s’disait même pas bonjour, c’te crevure et nous.
— Pourtant Alfred l’a suivie dans sa chambre. Cela s’est opéré comment ?
Berthe s’assombrit comme un ciel de neige.
— J’en sais rien. On était allongés, moi et lui, su’ l’sable. J’me dorais. La chaleur, moi, ça m’endort. Freddy, j’me rappelle parce que j’m’en souviens, m’chatouillait la moule av’c un fœtus de paille. Ça m’f’sait mouilloter, mais j’dormais d’trop pour réagir vraiment.
« A deux trois mètres devant nous, y avait c’te merderie de gonzesse. N’à un moment donné, y m’semb’ les avoir entendus causer, Freddy et elle. C’t’après coup qu’ça m’est r’venu. Y z’ont parlé un moment, doucement, du ton d’la converse. Et puis plus rien. Jpas si j’ai dormi longtemps, n’ayant pas d’montre su’ la plage n’à cause du sable qui coince les mouvments. J’ai parlé à Freddy, mais y n’m’a pas répondu. Alors j’m’ai assise et j’ai vu qu’il avait écrit dans l’sable comme quoi il était été aux vécés, ce qui l’arrivait fréquemment biscotte la cuisine à l’huile, lui, ça l’détraque ; et pourtant il est italien d’origine, je vous fais remarquer.
« J’ai attendu en m’ faisant bronzer l’dos. J’ai dû me rassoupir. C’qui m’a réagi, c’est des sirènes d’ police qu’arrivaient en trompe à l’hôtel. Vous dire, m’sieur César, y m’a pris comme un pressentiment prémonitoire dû à la prémonition. J’m’ai levée et jété aux nouvelles. J’arrive dans l’hall et vous savez qu’est-ce que j’vois, m’sieur César ? J’vous l’donne en mille ! Freddy qui sortait de l’encenseur entre deux flics, les m’nottes aux poignets. Vous dire ce dont j’ai ressenti ! Pour la grande charité du Christ, des instants pareils, merci bien ! Plutôt mourir ! J’m’ai élancée sur lui en lu d’mandant ce qui se passait. Mais l’était prosterné, si vous voyez ? Hagard, les yeux vides !
« D’autres poulets s’est jetés sur moi et m’ont emballée, voiliant qu’j’étais l’amie du monstre. Y m’ont emmenée à la police, questionnée pendant des heures. Et qui c’était Freddy, d’où qu’y v’nait, c’qu’y f’sait dans la vie ? S’il avait des instinctes sadiques ? Des choses encore qu’j’me rappelle plus, tellement y en avait et tellement c’t’interrogatoire m’semblait sot et grenu. J’voulais savoir ce dont on l’accusait. Mais y n’m’répondaient pas, ces fumiers. J’veuille pas m’vanter, mais y en a un qui me caressait les fesses. Quand j’l’regardais, y m’montrait son paf à travers son pantalon, qu’était très conséquent d’apparence. Y dessinait son volume av’c la main, croiliant m’impressionner, moi, la femme à Béru. Peau d’zob, va !
« Y m’ont r’lâchée en m’annonçant comme quoi y gardaient mon passeport et qu’j’pouvais plus quitter l’pays jusqu’à tant qu’l’instruction serait terminée. C’est en r’venant ici qu’j’ai su ce dont y s’était passé. Alfred qui grimpe av’c la gonzesse brune, qui l’empaffe puis la surine av’c son couteau d’table d’à midi qu’y avait conservé dans son maillot. Alors là, j’insurge, m’sieur César. Alfred portait un maillot très court, v’savez comme y aimait mettre sa bite et ses couilles en valeur chaque fois qu’il en avait l’occasion, vanneur comme y est ! Y n’avait point d’couteau dans le slip d’bain. Juste avant qu’j’m’endormisse, j’lu avais trituré l’guignolo par sympathie. Vous pensez bien qu’un lingue, j’l’aurais senti !
« Enfin, quoi, vous l’avez fréquenté, Alfred, tous les deux. Des défauts, c’est pas c’qu’y lu manque : un Rital, vous pensez ! Mais zigouiller une dame qu’y vient de fourrer, j’peuve pas y croire. V’savez biscotte y s’est fait coiffeur pour dames ? Parce qu’aut’fois, lorsqu’il tenait un salon messieurs, y s’évanouissait quand y f’sait une p’tite entaille de rien aux mecs qu’il rasait. »
— Peut-être a-t-il eu un coup de folie ? suggère César.
— Lui ! L’était bien trop raisonnable pour d’venir fou ! assure dame Béru.
Le Gros caresse ses bajoues d’un air pensif.
— Ecoute, la mère : ton Mirliflor s’trouvait bouclarès avec la morte. L’avait défoutraillé plein les draps et l’y a porté ses empreintes de gitane. Conclusion : personne n’autre a pu commett’ ce meurtre. Donc, si c’est personne n’autre, c’est lui !
Il a un rire méchant qui ne lui va pas très bien parce que c’est un brave mec, le Gros. Un violent, mais bon zig.
La Bérurière secoue ses frisettes qui partent en sucette.
— Pour qu’j’y croive à son crime, faudrait qu’y m’l’avouasse d’visu !
Pinaud réagit.
Allons voir la chambre du drame ! décide-t-il.
Des scellés et un Opinel se livrent un combat singulier dont le bon vieil Opinel sort vainqueur.
Béru et son pote pénètrent dans la « chambre tragique », comme l’appellent les journalistes. Elle sent bizarre : le parfum musqué, plus de vagues remugles fadasses. Ils entrent, referment la porte et attendent un instant, troublés par l’étrange atmosphère. Le silence n’est rompu que par le bruit lancinant d’un robinet, mal fermé qui goutte.
Béru, le premier, s’avance vers le lit. La semence du Rital forme toujours une flaque importante sur le drap du dessous. Cette surabondance le vexe quelque part, sans qu’il puisse s’expliquer trop pourquoi ; cela est du ressort de la jalousie, cette gueuse ! Il contourne le plumard et découvre des traînées de sang séché sur la moquette beige. Se dit que le sang sèche plus rapidement que le foutre, donc, il est moins « vivant » ?
Pinaud suit les mêmes pérégrinations. Il a retrouvé son air frileux, voire malheureux, d’avant sa richesse tardive. Il fait clodo de luxe, veuf inconsolable.
Il s’accroupit pour regarder le plancher, puis s’agenouille et se déplace à quatre pattes dans la chambre. Se rend ainsi à la salle de bains. Au bout d’un moment, comme il ne réapparaît pas, le Gros va le rejoindre. Le trouve assis sur le rebord de la luxueuse baignoire, les mains croisées entre ses genoux cagneux, réfléchissant.
— Tu patauges dans l’tapioca, mec ? demande Béru.
Le Fossile s’arrache à ses méditances.
— Sur le journal, il est bien dit que la femme assassinée était habillée ?
— Voui, pourquoice ?
— Elle a été assassinée ici, et ensuite tramée dans la ruelle du lit, déclare la Vieillasse.
— Où qu’t’as pigé ça ?
César désigne du doigt quelques petits points rouges dans le ciment ayant servi à faire les joints des carreaux.
— Du sang !
Il fait signe à son coéquipier de le suivre dans la chambre.
— Il y a eu des piétinements depuis, mais c’est encore visible.
— Quoi donc ?
— Les deux traces des talons. On a coltiné le corps en le tenant par les bras. Tu vois cette double ligne parallèle dans les poils de la moquette qui est neuve ?