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— Au contraire, fait-elle.

Alors, bon : ils vont chez elle.

Carmen Abienjuy habite un bel appartement dit de grand standing dans un immeuble du front de mer. Superbe salon prolongé par une non moins superbe terrasse, grande chambre avec dressing garni d’acajou, bois précieux et con s’il en fût (d’abord un bois ne doit jamais être précieux, sinon il cesse d’être du VRAI bois !). De la peinture argentine sur les murs. Couleurs ardentes ! Des fauteuils moelleux.

— Asseyez-vous. Je peux vous proposer un whisky ?

On préférerait du vino, assure Béru, confus.

— Hélas, je n’en ai pas !

— Casse la tienne, tu vas nous payer un’p’tite tournée d’chaglatte.

— Pardon ?

Il explique. Pinaud, champion de France de minette chevrotée a ébloui la comtesse. Veut-elle l’essayer également, histoire de compléter son éducation sexuelle française ?

Elle mate le Dabuche d’un œil indécis. Il paraît si peu comestible, l’Ancêtre, si branlant !

— Hésite pas, ma gosse, m’sieur Pinaud, question d’la tyrolienne de broussaille, c’est la valeur sûre ! Tu peux ach’ter les yeux fermés. Attends, César, j’vas t’la préparerer. Ici, c’est tell’ment confortab’ qu’nous allons travailler su’ l’velours. Laisse-toi faire, jolie p’tite maâme. Tu vas penser qu’on t’laisse pas chômer du berlingot, mais la vie est brève et nous n’ sont qu’d’passage en Argenterie ; alors faut t’prodigaler des cours accélérés.

« Pour commencer, œuf corse, tu m’enlèves ta culotte. Ah ! bon, t’en as pas mis, donc t’as tout compris. T’sais qu’avec nous faut toujours êt’ prête pou’ l’parcours du combattant. Tu t’assoives en avant, l’plus possib’ ! Voilà ! Maint’nant, tu nous poses une guitare su’ chaque accoudoir. Je place un chouette coussin par terre, d’vant l’fauteuil, pour aménager les g’nouxes cagneux d’la Pine. Voilà ! M’sieur César est servi. A table ! »

La Vieillasse dépose son chapeau sur la table basse, s’agenouille sur le coussin, en geignant un peu. Et au boulot, mon Pinaud !

Nouvelle fête des sens pour la dirluche presque « ex ».

Béru la regarde, attendri. Une grande bonté inaltérable rayonne sur sa face de bison pas si futé que ça. Il aime voir une dame s’expédier dans les délices. Un coup de sonnette en coulisse retient son attention. Une visite ? Il ne veut pas faire déraper la pâmade de son « élève » et va ouvrir.

Voilà qu’il se trouve en présence d’une dame de la haute société argentine, en grand deuil, flanquée d’un jeune homme boutonneux, aux yeux de lapin russe qui ressemble étrangement à l’ineffable Stan Laurel.

— Señora Carmen Abienjuy, por favor ! dit la dame en deuil.

Tu dirais un personnage de Pirandello : personne blafarde, goitreuse, au nez en bec d’oiseau de proie, portant une superbe verrue sur l’aile gauche de son pif et une deuxième, à aigrette celle-là, au menton.

Elle ajoute une assez longue phrase en espagnol, mais Béru ne la pige pas.

Il dit :

— Carmen, occupate !

La dame répond quelque chose comme : « nous allons l’attendre », probablement, puisqu’elle entre et s’assied sur une banquette de bambou tandis que son boutonneux demeure debout, immobile, à son côté.

Béru retourne au salon en prenant soin de refermer la porte vitrée, au verre dépoli.

Ce gros poussif a des gestes si brusques qu’il ne s’aperçoit pas que le pêne ne mord pas et que la porte se rouvre doucement derrière lui.

Il retourne au couple. La Carmen, éblouie par ces nouvelles sensations, glousse, gazouille, gémit, roucoule, craquette, balbutie, mouille, le dit, le réaffirme, le hurle !

La dame en grand deuil, alarmée, lève son cul en grand deuil de la banquette et s’approche de la porte, suivie du dadais boutonneux également en grand deuil.

Que voient-ils ? Une chevelure féminine dépassant d’un dossier de fauteuil, deux jambes à califourchon sur les accoudoirs dudit, et c’est tout. Les plaintes, cris pâmoiseux et autres onomatopées sont émis par la personne aux jambes écarquillées.

La dame et son rejeton se risquent.

Un, deux, trois, puis quatre pas !

Ils ont alors une vue d’ensemble de la scène. La señora, Carmen Abienjuy, déculottée jusqu’au nombril, si nous osons dire, avec, dans son entrejambe, un vieillard chenu, qui a posé un mégot de cigarette brasillant sur son oreille gauche et qui se livre à une action mal discernable, mais qui produit un bruit de mauvaise évacuation d’eau (siphon plus ou moins obstrué).

Le vieil homme est agenouillé. Il s’est assis sur ses talons, ses mains en pattes de poule sont crispées sur les ravissantes cuisses de la jeune femme. Par instants, le bruit trouve un vibrato de tyrolienne, un yod étrange, presque musical.

La dame en grand deuil n’est pas rompue aux délicatesses marginales de l’amour car elle s’approche de Béru, lui touche le bras pour solliciter son attention et questionne :

— Que se passe-t-il ?

Bien qu’elle se fût exprimée dans la langue de Cervantès, à l’intonation, le Gros a pigé.

— Docteur ! laconise-t-il.

Elle veut en savoir davantage, mais le Mastar la refoule fermement, elle et le dadais.

— Momente ! il dit. No dérangeasse the doc ; it is very délicate exercice.

Cette fois il referme dûment la lourde, et comme il fait bien ! Juste sur ces entrefaites, le train de la jouissance dans lequel a pris place le directeur entre en gare : Carmen pousse des hurlements que n’importe quel romancier à trois francs six sous qualifierait « d’inarticulés ». Elle fait des « wraouhaaa, wraouhaaa, wraouhaaa, wraouhaaa », et puis des « hargggrrr, hargggrrr, hargggrrr », et enfin des « mrrreeee, mrrreeee, mrrreeee ».

En grand tacticien, Pinuche laisse encore sa menteuse courir sur son erre. Ne jamais interrompre une minouche brutalement, que ça peut faire disjoncter le sensoriel de la patiente ! Mieux vaut poursuivre la manœuvre jusqu’à ce qu’elle devienne insupportable. La bénéficiaire te le fait alors savoir en rebuffant des deux paumes de la main appliquées sur ton front afin d’exercer une poussée d’éloignement supérieure au poids de ton chef.

Là, ça ne rate pas. Au bout de quelques frétillements excédentaires, elle gémit :

— No-on-on !

Et décoche un coup de genou dans la mâchoire du père César. Il en paume son dentier. Mais tout à son affaire, ne s’en aperçoit pas immédiatement.

— Poupoule ! intervient le Gravos. Remets ta culotte, t’as du monde !

— Qui donc ?

— Une vieille peau et son garn’ment. Tu veux qu’on va t’laisser ?

— Attendez-moi dans ma chambre, je vais l’expédier.

Les deux chevaliers de la baise étincelante obtempèrent.

La Carmen se refait un coup de badigeon express sur le minois et introduit ses visiteurs. A cet instant, Pinaud réapparaît :

— Mille excuses, douce amie, chuchote-t-il. Pourriez-vous me rendre mon dentier qui a dû rester dans les poils de votre sexe ?

Elle dit qu’oui, et voilà l’explication de ce corps étranger dans son slip, qui tant la gênait. Elle se détourne, l’en extrait, le tend discrètement à Pinaud, lequel s’empresse de rejoindre son compagnon en se réfectant la clape.

Une troisaine de quarts d’heure plus tard, Carmen Abienjuy va rejoindre ses deux amants. Les trouve allongés côte à côte sur son lit, profondément endormis. Ils ronflent tellement que, depuis le salon, elle a cru qu’on venait d’entreprendre des travaux dans l’immeuble.