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« Putain, c’qu’elle mousse c’t’ quille d’ rouille ! J’m’d’mande si c’Dom Pérignon est assez suffisamment froid. Bougez pas, j’goûte. Mouais, bien c’que j’pensais : il a ses vapes. Vous d’vriez instructionner la bonniche pour qu’é mette les suvantes au congélateur, ça nous f’rait gagner du temps. On va toujours écluser celle-ci en attendant qu’les prochaines frappassent. »

Il sonne la domestique et, dominé par ce diable d’ogre, del Panar, lorsqu’elle survient, lui transmet les instructions du Gros.

Au bout de quelques minutes, le vieil handicapé demande :

— Ce soi-disant coup de théâtre ne m’explique toujours pas l’objet de votre visite. Je suppose que vous n’êtes pas venus spécialement de Mardel pour m’apprendre cette nouvelle ?

Les deux limiers se regardent. Bébé-lune engage son vieux pote à répondre.

— Voyez-vous, monsieur del Panar, une nouvelle question se pose désormais. Si notre ami Alfred est innocent, ce meurtre cesse d’être un acte de sadique. La preuve s’impose qu’il a été prémédité, organisé, perpétré avec un rare sang-froid…

— T’esprimes bien dans ton genre, complimente Bérurier ; on voye qu’t’as d’l’instruction, César. C’t’une chose dont ça m’manque un peu, à des moments. ’Reus’ment qu’y m’ reste l’intelligence !

Le doux vieillard émet un sourire de carte postale publicitaire, style « C’est vrai que je suis constipé, mais avec les dragées Cagoinsses, je me soigne ! ».

Il reprend :

— Dans ce cas, il devient vraisemblable qu’il s’agit d’un assassinat dicté par l’intérêt. Par conséquent, pour essayer d’y voir clair, nous sommes obligés d’interroger la famille de la victime. Bref, de conduire dès lors une enquête classique.

— Comprenez-vous-t-il, Excellence ? ponctue Béru.

Au lieu de répondre, le vieux propriétaire mordille sa lèvre inférieure avec agacement.

— Je suppose, fait-il à la longue, que c’est à la police argentine et non à la police française de conduire cette nouvelle phase des investigations ?

— Elle va s’y mettre, soyez-en convaincu, déclare Pinaud. Mais nous prenons les devants afin d’assurer le non-lieu à notre ami le plus rapidement possible.

— Vous prenez NOTRE police pour un ramassis de lambins ?

— Elle n’a pas la même liberté de mouvements que nous qui travaillons en francs-tireurs, sans être accrédités. Vous pouvez fort bien nous éconduire au lieu de nous traiter au Dom Pérignon, monsieur del Panar, mais je crois que la vérité vous importe davantage encore qu’à nous.

— Chiément dit ! complimente derechef Béru. T’aurais dû z’êt’ norateur, mec ! J’t’ voye su’ un’ estrade, à balancer des harengs à la foule !

— Des harangues ! corrige César.

— P’t’êt’, mais commence pas à rouler des mécaniques, vieux pantin !

Le châtelain-vacher a un léger sourire.

— Je vous trouve sympathiques, tous les deux, dit-il. Sympathiques et amusants. J’aime votre spontanéité. Que puis-je pour vous ?

— Ecoutez-moive, Vot’ Eminence. Su’ la route qui amène chez vous, y a un transformateur électrique, vous voiliez c’que j’cause ? demande Béru.

— Très bien.

— C’t’à dix mèt’ d’ c’transfo qu’ not’ tire a tombé en panne des sens. On a été bités par la jauge qui est nazebroque. Vous pourreriez-t-il n’envoyer un d’vos larbins la récupérer av’c un euréka d’essence ? Bien entendu, j’vous rembours’rai la tisane !

— Nous allons faire le nécessaire, promet l’aimable hobereau en actionnant sa sonnette.

C’est alors qu’une créature de rêve pénètre dans la pièce.

SUITE

(Meilleure que les autres.)

Pourquoi créature de rêve ?

Tu veux le savoir, ami lecteur ?

Parce que !

Parce qu’elle est jeune. Parce qu’elle est blonde infiniment. Parce qu’elle a les yeux bleus en amande. Parce que sa bouche est plus appétissante qu’une jeune chatte. Parce que sa peau a la couleur de l’abricot. Parce qu’elle porte une salopette blanche maculée de peinture. Parce que, sous cette salopette, elle exhibe fièrement une poitrine de diva et enfin, enfin, parce qu’elle est enceinte et que, chose rare, sa maternité ajoute à son charme délicat. Il serait aisé d’ajouter un millier de « parce que », tous plus valables que ceux qui le précèdent, mais une telle énumération risquerait de faire chier la bite du lecteur, ce qui est gravement contraire aux habitudes d’une maison d’édition dont le principal souci est de divertir ceux et celles qui lui font confiance et qui, moyennant un prix des plus modiques, oublient pour deux ou trois heures : leur conjoint, leurs impôts, leurs maladies, leur belle-mère, la politique, les livres de M. Robbe-Grillet, la photo de Canuet, la grève des chemins de fer, la guerre, les pets nocturnes de leur époux, les menstrues inopportunes de leur épouse, le « H » fumé par leur garçon, la vignette de leur voiture, la fugue de leur grande fille, l’encombrement des routes menant aux sports d’hiver, la baisse du dollar, l’abbesse de Castro, la baise de Castro, les autres cons, les autres salauds et le reste, tout le reste !

Pinaud et Bérurier considèrent l’arrivante avec une admiration émue (voire une émotion admirative).

Le châtelain a une expression radieuse comme le petit soleil dessiné par Wolinski sur le drapeau argentin.

— Chérie de mon cœur ! s’exclame-t-il. Venez que je vous présente deux policiers français, extrêmement sympathiques. Messieurs, voici ma femme, Hildegarde !

L’arrivante a un sourire digne de tout ce qui a été rapporté de positif la concernant. Elle tend alternativement la main aux deux visiteurs.

— Soyez les bienvenus, fait-elle, et pardonnez-moi de vous proposer une main pas très nette : je viens de faire de la peinture.

Courbettes des gentlemen made in Paris.

Béru, intrigué, murmure :

— Excusez-moi si j’vous d’mande pardon, Lord Panar, mais j’ai rencontré à Mar del Plata la mère de la victime et son jeune frère…

— Il s’agissait de ma première épouse, bougonne le vieux. J’en ai divorcé voici trois ans pour marier la sublime femme que vous voyez là et qui met le comble à mon bonheur en me donnant un enfant.

D’un geste infiniment doux, il caresse le ventre de la ravissante personne.

Il reprend, hargneux :

— Ma première épouse était une femme sinistre, confite en dévotion et qui a élevé nos deux enfants comme si elle entendait les faire entrer dans les ordres. Heureusement, le Seigneur a eu pitié de moi et m’a permis de rencontrer Hildegarde, lors d’un voyage en Uruguay. Par bonheur, malgré notre grande différence d’âge, j’ai pu m’en faire aimer et, grâce à elle, je connais une fin d’existence heureuse. L’échographie indique qu’elle va me faire un garçon ; je sais qu’il perpétuera dignement mon nom, ce qui ne sera pas le cas avec cette chiffe molle de Salvador.

Il paraît vachement remonté contre sa première « fournée », le gentilhommien ; la traite par le mépris. Il est clair que l’assassinat de sa fille aînée le laisse de marbre. Hildegarde a pris place auprès de lui et lui tient la main. Image sereine d’un bonheur tranquille. La maternité se réfugiant dans l’ombre de la sécurité ! Belle allégorie ! Ça doit être le pied, pour pépère. Après les longues années grises en compagnie de sa dame patronnesse, il connaît enfin le charme, la jeunesse, l’intelligence, l’art.