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— Hildegarde peint beaucoup, déclare-t-il fièrement, et elle a énormément de talent. Elle fait dans l’abstrait. Lorsqu’elle aura eu son bébé, nous organiserons une exposition de ses œuvres dans une grande galerie de Buenos Aires.

Il lui prend la menotte et la porte à ses lèvres.

— Vous n’avez pas perdu au change, Votre Altesse, assure Béru. Au plumard, vous d’vez y trouver un chang’ment. La first Maâme Panar, merci bien : vous parlez d’un r’mède cont’ les eng’lures ! E doit même pas savoir c’ qu’ c’est qu’ d’ tétiner l’gland d’un julot !

Miguel del Panar qui a compris le sens général de cette déclaration sourit aux anges.

— Madame n’est pas sud-américaine ? interroge Pinuche en montrant la jeune femme enceinte.

— Effectivement, elle est d’origine germanique.

— Je conçois, dit le Pinaud des Charentes. M. son père a fui l’Allemagne à la fin de la guerre ?

— Son grand-père, rectifie del Panar. Plusieurs colonies nazies se sont fondées au Paraguay et en Uruguay. Elles y ont fait souche.

Il a un geste flou de vieillard sage.

— Mais cela, c’est le passé. L’enfant qui va naître sera réellement argentin, mes amis. Vous allez me faire un grand plaisir et accepter de dîner avec nous. Et puis vous dormirez ici, car la route est longue, qui retourne à Mardel.

La salle à manger fait songer à ces dessins humoristiques représentant un châtelain et une châtelaine assis chacun à l’extrémité d’une très longue table. Sauf que les hôtes sont installés face à face pour rester les yeux dans les yeux en mastiquant leur chili con carne.

Béru et Pinuche entretiennent la converse. Ce dernier questionne Miguel del Panar sur l’importance de son cheptel.

— Cent mille bêtes à cornes ! répond fièrement le propriétaire.

Il ajoute :

— Vous rendez-vous compte, messieurs, qu’il n’existait aucun bovin dans ce pays, jadis ? C’est en 1553 qu’on a amené d’Espagne huit vaches et un taureau.

— Y n’a point perdu son temps, l’animal ! exulte Alexandre-Benoît. Charogne ! Les coups d’ verge qu’il a dû virguler pour ens’mencer t’à c’point la région !

Ils perçoivent un crissement de pneus à l’extérieur.

— Ce doit être Martin ! annonce Hildegarde en se soulevant de son siège pour regarder par la grande fenêtre vitrée. Je reconnais son dérapage.

Elle sourit.

— Oui, c’est bien lui.

Elle s’adresse à leurs convives et explique :

— J’ai un jeune frère qui habite Buenos Aires et qui est passionné de voitures. Il vient de s’acheter une nouvelle Ferrari et nous rend de fréquentes visites, plus, je devine, pour rouler avec que par tendresse fraternelle !

Un bruit de pas martial résonne dans le hall et la réplique masculine d’Hildegarde fait son entrée dans la salle à manger ; un garçon de vingt-cinq ans environ, aussi blond que sa sœur, avec un visage d’archange moderne.

Il porte un complet de lin bleu, déstructuré. Son torse est nu sous la veste largement ouverte. Ses manches sont retroussées, une montre Cartier en or brille à son poignet. Lui aussi est très bronzé. Il a un rire qui fait le tour de sa tête.

— Il reste un petit quelque chose pour moi ? claironne-t-il.

Bise à sa frangine, poignée de main déférente à son beauf. Ce dernier lui présente ses visiteurs.

— Oh ! des Français ! s’exclame le jeune homme. J’adore la France !

On lui désigne l’extrémité de la table. La servante se pointe déjà avec un couvert supplémentaire. On ramène les charcuteries de départ. Il se sert, se met à claper comme un ogre. Béru déclare qu’il va en reprendre aussi pour lui tenir compagnie.

Miguel del Panar leur sert un vin de Mendoza très chaleureux. Il explique « aux Français », que ce sont les prêtres qui ont amené la vigne en Argentine, au XVIe siècle, pour le vin de messe, ce qui prouve bien que le catholicisme est la meilleure des religions !

Lorsque Martin s’est « calmé le plus gros », il s’informe des raisons motivant de la présence de ces deux Français au domaine. Le seigneur du lieu la lui explique. Surprise du beau-frère.

— Comment, fait-il, ce touriste assassin serait disculpé ?

— Il paraît, fait del Panar. Nos policiers parisiens seraient en mesure de prouver qu’une autre femme aurait amené le Français chez Conchita. D’après eux, cette femme aurait assassiné ma fille avant d’aller pêcher ce type sur la plage. Ils auraient fait l’amour dans la chambre obscure où gisait le corps. Ensuite de quoi, la meurtrière se serait rendue dans la salle de bains et aurait fui par le conduit d’aération. Sitôt sortie du conduit, elle aurait alerté la police en prétendant avoir perçu des appels au secours en provenance de la chambre 612. Le couteau ayant servi au meurtre aurait, toujours selon ces messieurs, été subtilisé à la table du Français à la fin de son repas, pour qu’on y trouve ses empreintes par la suite.

Ils s’expriment en espagnol et ni Béru ni Pinuche ne sont en mesure de suivre. Parleraient-ils français que le Gros n’y comprendrait goutte car « ventre affamé n’a pas d’oreilles ».

Martin fait la moue.

— Ne trouvez-vous pas cela un peu trop rocambolesque, Miguel ?

— Passablement, oui, convient le propriétaire terrien.

— La police argentine prête-t-elle l’oreille à une telle version ?

— Ils prétendent que le chef de la police de Mardel, Carmen Abienjuy, partage pleinement leur point de vue.

Martin boit une gorgée de vin rouge et ricane :

— Sans doute est-ce à cause de cela qu’elle vient de démissionner ! J’ai entendu la nouvelle aux informations, en venant ici !

— Vraiment ?

— Pour convenance personnelle, assurait le communiqué.

— Crois-tu qu’il y ait une relation entre cette démission et la soi-disant découverte de ces deux hommes ? demande del Panar.

— Je n’en sais trop rien, mon cher.

— Comment marchent tes projets ? demande le vieil homme.

— J’ai trouvé des locaux, en plein centre de Buenos Aires. Par ailleurs, je constitue une équipe du tonnerre. Mon directeur est l’ancien sous-directeur de l’Agence Amerigo Vespucci, la plus importante du pays. Je suis sûr que nous ferons un malheur dans ce créneau de la publicité en organisant des campagnes originales. Les illustrateurs seront des gars du top-niveau.

La fougue du garçon fait sourire del Panar. Il aime les jeunes et a foi en eux. Il juge que leur fougue supplée leur inexpérience.

On amène en grande pompe la parillada, le plat national, qui réunit, cuits à la braise, des morceaux de bœuf, des riñones (rognons), du boudin, des entrecôtes, des criadillas (testicules de taureau), des chorizos (saucisses) et des mollejas (ris de veau) accompagnés de papas fritas (pommes de terre frites).

Devant ce monceau de nourriture viandesque, Béru se met à pleurer de bonheur, d’admiration, de reconnaissance.

— Vot’ Divinité, dit-il à Miguel del Panar, duchesse vivre cent ans, j’ n’oubliererai jamais un tel bouffment. J’ai un fils qui, du point d’vue appétit, marche su’ mes brisures. En rentrant, j’y dirai qu’ ça éguesiste, une clape d’ c’ niveau. Moi, voiliez-vous, étant fils d’fermier, j’croive que, ma r’traite venue, j’ni’ retirerai en Argenterie. Av’c mes éconocroques, j’achèt’rai un peu d’terrain : la moindre, cinq six cents hectares, just’ pour dire d’faire un brin d’él’vage, et j’ prendrerai un’ cuistaude pour m’ confectionner des plats commaks trois fois par jour. D’la charcutrerie comme entrée ! Une dizaine d’viandes av’c des pommes frites en guise d’légumes, alors là j’opine, Vot’ Divinité. Enfin un pays qu’on sait viv’ !