« Faut qu’j’vais aérer chouchouille ! » décide le digne hôte de del Panar.
La porte donnant sur le perron est munie d’un énorme verrou et, parallèlement, d’une serrure de prison. La clé se trouve dessus. Alexandre-Benoît délourde. L’air tiède de la Pampa le réchauffe instantanément. Il cesse de grelotter et décide d’une petite promenade au clair de lune, histoire d’évacuer ses ultimes pets de fin d’orage.
Sa déambulation l’amène devant la Ferrari écarlate du frangin dont les chromes scintillent au clair de lune. Belle caisse ! Il n’est pas obnubilé par les bagnoles, le Mastar, n’empêche que cette œuvre d’art l’impressionne. Il se penche sur l’habitacle de la Testa Rossa, se demandant avec un peu de tristesse s’il pourrait y loger ses cent douze kilogrammes. Alors, comme un môme fasciné au Salon de l’Auto, il tire sur la poignée. La porte s’ouvre. Un peu léger, le gars Martin ! Trop pressé ! Une tire de ce prix, offerte à la curiosité de n’importe qui !
Le Mahousse entreprend de s’y encastrer. Dur, dur ! Il tâtonne sous la banquette, trouve le levier de réglage et recule le siège au max. Enfin ! il peut s’asseoir ! Putain ! On doit avoir de sacrées émotions au volant de ce bolide ! La route t’appartient ! Tout juste s’il fait pas « Brrrroum ! Brrroum ! » avec la bouche, comme les mouflets, le chieur d’élite ! L’auto sent bon le cuir neuf. Il la caresse. La boîte à gants ! Une pression ! Tchouf ! Elle s’ouvre et une loupiote éclaire l’intérieur. Des gants de conduite, sans doigts, en pécari. Des lunettes de soleil à monture Cartier, tu penses ! Les fafs d’entretien de la guinde. Tiens, qu’est-ce qu’il y a dans l’opuscule ? Une photo ! Une grande photo trouée. On a découpé un personnage dans l’image. Béru examine cette dernière à la lumière du vide-poches. Elle représente un groupe de trois personnes assises sur une balancelle de jardin. Il reconnaît la première Mme del Panar, ainsi que le fils boutonneux. La troisième devait être une femme jeune, on le voit aux jambes qui subsistent dans le bas du cliché. Pas de doute, il s’agissait de Conchita, la fille assassinée. Le Gros hésite, puis décide de conserver la photo. Il remet tout en place, y compris le siège du conducteur, et rejoint la maison.
Le hall pue toujours la merde. Mais enfin, la nuit sera longue et l’odeur a des chances de se dissiper.
Le brave bonhomme tend l’oreille avant de grimper. Tout est calme, d’une sérénité infinie. Il rallie sa turne sans encombre.
Pinuche est assis à la table et enroule la bande du minuscule enregistreur. Puis il enclenche l’appareil et écoute.
Guère fameux ! Un presque chuchotis. Il y a des bruits de fond qui chevauchent : heurts, grincements de fauteuil.
— J’espérais mieux ! gémit-il.
Le Mastar est moins pessimiste :
— Quand c’s’ra grossi, des techniciens pouvront peut-êt’ saisir des birbes d’phrases, désole-toi pas !
Il dépose la photo devant César.
— Toi, tu t’occupes du son et moi d’ l’image, déclare-t-il non sans noblesse. On s’complète, vieux crabe, on s’complète. C’est ça qui fait not’ force !
SUITE
Ils passèrent une merveilleuse nuit, pleine de rêves délicats et de pets qui l’étaient moins. Au matin, leur chambrette sentait la porcherie en période de canicule. Pinaud ouvrit en grand la fenêtre. Le temps était somptueux ; des brumes matinales flottaient sur les immenses enclos où paissaient ces ruminants sans lesquels « l’Argenterie » ne serait pas ce qu’elle est. César prit un bain et brossa ses treize dents ultimes, plus les fausses qu’il associa à cette mesure d’hygiène. Béru fît toilette d’un trait d’eau de Cologne sur ses rares cheveux. Il détestait les ablutions qu’il jugeait superflues et dérangeantes.
Quand ils descendirent rejoindre leurs hôtes dans la vaste salle à manger, ils trouvèrent l’infirme habillé d’un complet de velours beige et d’une chemise bleue fermée au col par un lacet de cuir orné d’une plaque d’argent ouvragée. Il prenait le petit déjeuner en compagnie de la douce Hildegarde, énorme et ravissante dans un déshabillé de soie pervenche. Martin, le beauf, ne semblait point encore levé.
Béru et Pinuche furent accueillis avec gentillesse. La servante moustachue s’enquit de leurs désirs. Pinuche choisit un café au lait avec de simples rôties grillées ; Béru opta pour une assiettée de boudin et couilles de taureau, mets qui l’avaient particulièrement séduit la veille. Il demanda à l’aimable ancillaire de lui casser quelques œufs sur cette « fricassée » et de la lui servir accompagnée de papas fritas. Il déclina le café et lui préféra une bouteille de Trapiche muy seco qui évoquait un Riesling.
Miguel del Panar considérait ses invités d’un œil indécis.
— Je ne sais pas si je vous ai été d’un grand secours pour votre enquête, murmura-t-il. En fait je ne vous ai rien dit qui puisse la faire progresser.
Pinaud eut cette noble réponse :
— Détrompez-vous, monsieur. Dans notre métier, même les silences nous sont utiles.
— En ce cas, tant mieux, déclara le hobereau des pampas.
Martin fit une entrée aussi rapide que la veille. Ce garçon se mouvait « en trombe ». Il dit avoir pris le café dans sa chambre. Il signala à son beau-frère qu’il avait trouvé « un drôle de goût » à la crème. La remarque désobligea le châtelain qui ne supportait pas que l’on contestât la qualité de ses produits. Il répondit avec humeur que sa crème était reconnue comme étant la meilleure d’Argentine car elle conservait le goût des herbages ; à quoi Martin riposta en riant qu’on avait dû « puriner » lesdits herbages récemment.
Il prit congé à la volée, embrassa sa sœurette et partit. Le moteur de la Ferrari fit vibrer les vitres au moment de sa décarrade.
Nos deux chevaliers de la Rousse ne tardèrent pas à le suivre. Ils étaient émus par l’accueil chaleureux de Miguel del Panar. Béru lui dit que si un jour il venait à Paris, il se ferait un plaisir de lui faire savourer des quenelles de brochet, des tripes à la mode de Caen, des pieds et paquets, de la choucroute de Strasbourg, du coq au vin, des cardons à la moelle, du cassoulet toulousain, de la potée auvergnate, de la bouillabaisse, de la brandade de morue, des andouillettes aux échalotes, de la tête de veau sauce gribiche, du gratin dauphinois, du petit salé aux lentilles, du pot-au-feu, de la langue à l’écarlate, du boudin aux deux pommes (mais du vrai), du gratin de fruits de mer, du foie gras du Périgord, de la ratatouille niçoise, de la blanquette de veau (chez San-Antonio), des oiseaux-sans-tête, de la dinde aux marrons, des cuisses de grenouilles à la provençale, des crêpes Suzette, du civet de lièvre, du veau Marengo, du soufflé au Grand Marnier, des moules de Bouchot, du canard à l’orange, de la poularde demi-deuil, du cervelas truffé, du bœuf en daube et des rognons au madère.
Très sensible à cette promesse, le béquilleux promet d’emmener sa jeune femme et leur fils dans la plus belle ville du monde.
Ils s’en vont.
L’air est pur, la route est large.
C’est le Mahousse qui drive. Mollo, à la P.-D.G. Il fredonne les Matelassiers. Il s’arrête pour déclarer à la Pine qu’il a une forte envie de tirer une frangine. Ces mets riches lui ont allumé le sang. Il a hâte de retrouver la comtesse ou la Carmen : il n’est pas sectaire. Il propose à César Bitautrou de les calcer en double. Lui, il fera le plus gros : la tringle épique. Pépère jouera les allumeurs. Département de la lichette ! Son blot ! Pinaud n’est pas enthousiaste. Deux pétroleuses en même temps, c’est plus de son âge. Il craint de faillir aux prestations. Il faut déployer trop d’ardeur. Maintenant, il en est aux techniques exécutées dans le calme, avec méthode. Enfin, il verra.