— Il faut défaire cet homme avec ses propres armes, assura l’Erudit.
Le sergent Manolo Gonzales s’était mis en civil pour se rendre à la convocation du chef de la police. Il n’avait plus l’air redoutable du tout et faisait songer à un moniteur de ski endimanché. Il portait un costume blanc aux taches nombreuses, une chemise noire à col ouvert et des sandales de cuir à travers les brides desquelles on distinguait la crasse de ses pinceaux, laquelle ressemblait à du vert-de-gris sur des monnaies de cuivre. Il était intimidé et considérait le bouton de la sonnette comme s’il se fût agi du clitoris de la reine Fabiola. A la fin, il appuya dessus, déclenchant une brève mélodie. Carmen ouvrit immédiatement, un sourire langoureux aux lèvres, le haut du kimono déboutonné jusqu’au nombril.
— Ah ! voilà mon tourmenteur ! gazouilla-t-elle.
L’autre salua militairement et entra. Carmen ferma la porte à clé.
— Viens t’asseoir par ici, Manolo, il faut que nous parlions.
Elle lui désigna un canapé profond et moelleux. Il y prit place, elle de même.
Ils se regardèrent. Lui, gauchement, avec des battements de cils, elle, hardiment comme le double canon d’un fusil.
— La photo est réussie ? demanda-t-elle d’une voix mutine.
Il voulut avaler sa pomme d’Adam, n’y parvint pas et se contenta de déglutir un peu de salive cotonneuse.
— Montre-la-moi, ordonna-t-elle. Je suppose que tu t’es muni d’un exemplaire pour venir ici ?
Il porta la main à sa poche et en sortit une image qu’il tendit à Mme le directeur.
Elle y jeta un regard nonchalant.
— Pas suffisamment de lumière, fit-elle, et puis tu as tremblé dans ta hâte. Cela dit, on me reconnaît vaguement. Néanmoins, il serait facile de prétendre à une simple ressemblance. Si tu produisais cette photo dans la presse, naturellement je t’attaquerais en diffamation et j’alerterais certains éléments de la police secrète qui te feraient redouter de rentrer seul chez toi, à la nuit tombée.
Elle continuait de contempler le cliché en parlant. Elle marqua un temps de silence et, coquette, minauda :
— Comment trouves-tu mon cul, Manolo ? Pas mal, n’est-ce pas ?
Il acquiesça. Sa foutue pomme d’Adam l’étouffait.
— Puisque nous sommes amis, je vais te le montrer « en vrai ».
Elle fit glisser son pantalon de soie et défit entièrement la veste. Elle se mit à genoux sur le canapé, se déplaça de manière à le rejoindre.
— Je suis sûre que tu meurs d’envie de le caresser, Manolo. Je me trompe ?
Il secoua la tête.
— Alors touche ! Touche avec tes grosses mains de motard.
Il se mit à la pétrir, gauchement.
— Et toi, chéri, en as-tu une aussi belle que l’ami qui m’enfilait ?
Péremptoire, elle s’attaqua à la braguette du sergent. Elle y rencontra un volume intéressant, bien qu’il fût très loin de concurrencer celui de Bérurier. Avec tact, elle le mit à jour. Bite de motard, vigoureuse, un peu arquée, fuselée, carénage Suzuki. Elle se déplaça encore sur les genoux et enfourcha l’homme doucement, qui se mit à ruter comme un con, grognant goret, se trémoussant le bassin.
Béru sortit à pas de loup de la chambre de Carmen, déculotté. Il tenait sa chopine d’âne à deux mains et s’approcha du couple. Carmen le masquait à son partenaire.
L’adorable Pinaud entra en scène à son tour. A distance, mais avec zoom, il se mit à faire un documentaire sur cette scène scabreuse. Carmen poussait des cris pour couvrir les « clics » de l’appareil et son frémissement enrouleur. L’Ancêtre parvint à prendre une bonne douzaine de clichés. Lorsqu’il jugea sa prestation satisfaisante, il déclara :
— Ne vous fatiguez plus, Carmen ! C’est bon pour moi !
— Pas trop tôt ! dit la jeune femme en se débitant.
Manolo Gonzales, épouvanté, découvrit Béru, le membre au vent, à quatre-vingts centimètres de lui, puis Pinaud, la dragonne du Nikon passée autour de son cou de vieux coq déplumé. Sa queue, à lui, n’avait pas encore compris ce qui se passait et semblait appeler au secours avec des mouvements harassés.
Alexandre-Benoît se reculotta en silence.
Carmen tapota la joue du sergent.
— Il paraît que tu es marié et que tu as trois enfants, Manolo. Si les images qui viennent d’être prises étaient montrées à tes chefs et à ta famille, tu passerais pour un partouzard dégueulasse. Tu serais rayé des cadres et ta pauvre femme ne voudrait plus vivre avec toi.
Elle prit la photo qui la représentait avec Béru dans la voiture et la fourra dans la poche de Gonzales.
— Si j’ai un dernier conseil à te donner, amigo, c’est de te débarrasser du négatif et des tirages que tu as pu en faire. On ne sait jamais ce qui peut se passer dans la vie, les hasards sont si capricieux. Que cette photo tombe dans les mains de quelqu’un d’autre et ta vie est brisée. Maintenant rentre ta queue dans ta culotte et fous le camp ! Je vais te faire nommer adjudant !
Elle l’accompagna jusqu’à la porte en le tenant par le bras. On aurait dit qu’elle venait de l’arrêter.
— J’croive qu’tu tiens l’bambou, la mère ! complimente Béru. Charogne, t’y as allumé la bite comme un pétard, ce gnaf. Avant qu’il eusse pigé le pourquoi du comment du chose, tu t’étais carré sa rapière de boy-scout dans l’éteignoir ! Félicitance émue ! SI’ment c’est pas l’tout : ça dû t’agacer la moniche, j’l’ voye à tes prunelles qui bredouillent. J’en causais jus’ment à la Pine en venant. J’y disais comme quoi j’m’en ressentais pour une partie d’jambon à l’os. J’eusse préféré bouffer d’abord une broutille, manière d’m’doper la membrane, mais dans l’état actuel du circuit, Poulette, on aurait tort d’ différerer la course : nos pneumatiques sont bons et les carburos réglés au quart d’poil.
« Tiens, j’vas t’faire l’gag de la cuisinière et du facteur. Agenouille-toi des bras su’ la grand’ table, là-bas. Maint’nant, j’te déguise en appareil photo d’ l’ancien temps en t’rebroussant la robe des champs su’ l’dossard ! Superbe ! Pinaud, vise ce cul d’madone ! Dis-moi pas qu’y te fait pas pourlécher des babines ! Tu m’donnes pas un p’tit coup d’balayage au prélavable, d’manière qu’j’m’ pointasse la larme à la bretelle ?
« Voilà ! J’savais qu’y résis’t’rait pas, l’vieil escarguinche ! Non mais, visez-le ! On direrait qu’y fait sa prière. C’recueill’ment pour goinfrer un’ cramouille ! Oh ! la la ! C’est pire qu’pour une réception d’gala à l’Elysée. M’sieur Pinaud sort les grands couverts d’argent ! Dis, c’te minette princière ! L’Ouverture d’ Guillaume Tell su’ l’œil de bronze ! Et qu’ vois-je-t-il encore ? Deux doigts dans l’fion ! Mais M’sieur Pinuche s’débride ! Et y lu fait l’coup du pas de vis ! J’rêve ! Est-ce-t-il possib’ ? Avec sa polyarthrite d’la main droite ! Il a pris son Voltarène Geigy, j’voye guère autr’ment !
« Hé ! Lapinoche, tu vas pas m’l’entr’prend’ et m’ la finir dans la foulée ! Mais si, é décarre déjà ! C’est les deux doigts qui font effet ! Bon, ben, termine-me-la puisqu’elle est sur l’point d’ se met’ à jour, on ira becter plus vite ! Moi j’vas essayer d’rentrer l’ Zeppelin dans son n’hangar. Pas d’la tarte ! Faut qu’je le passe à l’eau froide, histoire d’le déconcerter. Tu parles, cézigo, devant un dargif aussi choucard si y renâcl’ pour aller coucher le panier ! La vie est pas facile, bordel ! Ell’ tourne jamais comm’ on veut ! »
SUITE
Ils attendaient dans le burlingue directorial de Carmen, en ce lieu où, pour la première fois, le célèbre Béru avait accepté de montrer son paf surdimensionné à l’éminente femme.