Comme la Vieillasse hoche la tête, Sa Majesté reprend sa plaidoirie avec plus de véhémence :
— Ta Rolle-Rosse, j’veux bien pour draguer les péteuses qu’ont jamais traîné leur p’tit cul pommé d’dans, mais en cambrousse, elle vaut pas tripette ! Pour ta propriété d’Touraine, c’t’un carrosse textuel qu’y t’faut. Rends-toive compte d’ce qu’tu peux trimbaler avec. J’te prends pour préparer l’réveillon d’ Noël, sans aller plus loin — les dindes, le boudin blanc, le champagne, les bûches. Et n’en plus tu peux tirer une gonzesse à l’arrière si tu rabattrais la banquette.
— Tu crois ? s’allume la Vieillasse, soudain alerté.
— J’te parie une pipe au bois d’Boulogne. Tu vas voir !
Il s’approche d’un minuscule salon aménagé près des véhicules où une hôtesse en uniforme rouge délivre des catalogues aux possibles clients.
— Escusez-moi si j’vous d’mande pardon, mad’m’selle, l’aborde-t-il. Puis-je-t-il vous solliciter un service démonstratif ?
— Mais je vous en prie ! s’empresse la préposée, une fausse blonde avec peu de nichons mais un rutilant sourire de pute.
Le Gravos lui désigne l’un des véhicules.
— Si vous voulassiez bien transformer l’arrière en braque…
La fille s’active, ploie la banquette, la fait basculer contre le dossier de l’autre. Un fort volume se propose alors.
— J’veux prouver quéqu’chose à mon ami, déclare Alexandre-Benoît. Cela vous ennuierait de vous allonger su’ la moquette ? Comme ell’ est toute neuve, vous risquez pas d’vous salir.
Docile et bien « formée » à sa besogne, la donzelle obéit. Béru escalade alors le hayon et s’agenouille entre ses jambes.
— Tu t’rends compte d’la margelle d’action qu’tu prédisposes, César ? lance-t-il à Baderne-Baderne. Moi, c’te ravissante, j’pourrerais même la tirer en levrette, lui faire 69, la grimper à la due Dos-au-mâle, que savais-je encore !
Tout en parlant, il s’est déganté le Pollux. La « démonstratrice » qui commence à trouver l’expérience douteuse va pour se redresser, mais le braquemard effarant du Gros la sidère.
— Soye charitab’, vieux ! bredouille Bérurier. Ferme l’arrière et va amuser l’vendeur, pas qu’y ramène sa fraise.
Ayant dit, avec cette fougue, imparable et cette dextérité qui n’appartiennent qu’à lui, il arrache d’une secousse le mignon slip de la fille et se met en batterie en chuchotant :
— Pas d’panique, Baby, j’ t’fais une grand’ première : la troussée cosaque en plein salaud de loto, j’veuille dire : en plein salon de l’auto ; tu m’troubes !
— C’est de la démence ! crie la môme.
— Non, ma poule : c’est la vie. Un esploit pareil, quand tu le raconteras à tes copines, elles voudront jamais l’croire. Et pourtant, qu’est-ce qu’est en train d’ s’enquiller ma grosse tête chercheuse ? Comme dans du beurre, Chouchou ! C’est rare qu’une gonzesse m’reçusse cinq sur cinq d’entrée d’jeu ! Dis donc, ta babasse, c’t’une fosse d’orchestre ! En tout cas, ça c’est d’la bagnole. Haute pareillement et les vitres teintées, on peut s’donner du bonheur sans qu’ça soye télévisé. T’apprécies la bonne marchandise au gars Sandre, Poupette ? C’est pas tous les jours qu’t’as droit à une ration travailleur d’force, avoue !
« C’t’une combien d’cylind’ cette calèche ? Huit ? En tout cas, pour ce dont il est des amortisseurs, chapeau ! Tu sens comme on opère dans le moileux ? Un vrai v’lours. Faut dire que tu lubrifies d’première, ma gosseline. J’ai rarement calcé une frangine aussi opérationnelle du frifri. Sans manigances prélavables ! Directo du producteur au consommateur ! T’es un don du Ciel ! Faut dire qu’t’aimes grimper en mayonnaise, ça se sent. Tu prends ton goume en pure vorace ; pas d’chichis à la con : t’es une vraie femme, quoive ! Attention, lève pas tes cannes à la verticale que tes paturons vont s’voir d’l’estérieur. Tu veux que j’attaque un canter ? Ouais, t’as raison, on peut pas s’éterniser. Bon, cramponne-toi, je sprinte. Pique de mes deux ! C’est chouette, ma darlinge ? T’sais qu’j’te baratte à mort !
« Hé ! vous, l’bonhomme qui vient de vous asseoir au volant, cassez-vous : v’voiliez bien qu’le véhicule est à l’essai ! Oh ! l’voyeur ! V’là qu’y s’taille une plume d’accompagnement ! Ah ben, il a de la présence d’esprit, c’gnaf ! Vous parlez d’un sans-gêne ! Qu’est-ce tu gazouilles, ma colombe ? C’est bon ? Tu parles ! J’veux que c’est rider ! Allez, on va au fade, chérie : y a du monde qui s’intéresse, ça va d’viendre gênant. Et l’aut’ croquant qui s’astique la membrane comme un babouin ! C’est lui qu’a attireré l’intention générale ! Bon, t’es parée, ma Douceur ? On y va de not’ lâcher d’ballons ? C’est parti ! »
Après ça, ils descendent. La « démonstratrice » est rouge et froissée. Elle courbe l’échine sous les quolibets. Heureusement que Béru est magnanime. Il brandit sa brème de police en braillant :
— Circulez, y a plus rien à voir, sauf les voitures !
Le vendeur est aux prises avec Pinuche. C’est un jeune con, chauvassu du dessus, avec un blazer et la certitude d’appartenir à l’élite.
— Ah ! bon, ça y est, murmure Pinaud en apercevant son pote. (Il ajoute :) En « attendant », j’ai acheté la voiture.
— T’as bien fait, c’t’un emplac’ment d’père d’ famille, rassure le Magnifique.
— Où étiez-vous passée, mademoiselle Latouffe ? demande le chauvard blazéreux à l’hôtesse.
Elle chuchote :
— Aux lavabos, monsieur Legay-Ridon.
César dédicace un chèque plein de zéros. Le vendeur continue de le baratiner quant aux performances de la bagnole. Le Débris n’en a rien à secouer ; tout ce qu’il sait des voitures, c’est qu’elles ont quatre roues, un volant et qu’il faut mettre de l’essence dans leur réservoir. Mais le marchand veut lui en donner pour son argent. Il le traîne au véhicule, lui fait la courte échelle pour lui permettre de se jucher derrière le volant.
Il se sent éperdu, César, sur ces hauteurs. Se croit conducteur de bus à la R.A.T.P. Il panique un chouille, le pauvret. Hèle le Mastar, toujours si avantageux, fier de soi et dominateur.
— Tu viens ? lance-t-il à son compagnon.
Le Mammouth se hisse, côté passager. Dans son rétablissement, il craque le fond de son bénoche. C’est le genre de pépin qui l’affecte fréquemment, avec son cul majuscule et ses fendards toujours en retard de deux tailles sur son obésité montante. Quand il renouvelle sa garde-robe, il prend du deux tailles au-dessus, ce qui lui assure quelques mois de tranquillité, puis les calories reprennent inexorablement l’ascendant !
Malgré tout, le voilà assis auprès de la Vieillasse pinulcienne. D’en bas, M. Legay-Ridon continue ses commentaires élogieux relatifs à la V 8. Quatre × quatre, verrouillage central multifonctionnel, vitres athermiques, lunette arrière chauffante, verre feuilleté, colonne de direction à réglage électrique, ADS, airbag pour conducteur et passager avant.
Il a pas le temps de nomenclaturer davantage. Pinuche a actionné la clé de contact sans se gaffer qu’une vitesse se trouvait enclenchée. La voiture bondit, il veut freiner. Las ! son pied inexpérimenté enfonce le champignon d’accélération ; dès lors, l’énorme tank se rue hors de son stand, sa portière demeurée ouverte frappe la gueule du vendeur qui valdingue. Pinaud ne sait plus quoi faire. Il a complètement perdu les pédales, c’est le cas de le dire.
Son acquisition récente traverse l’allée centrale sans blesser personne, heureusement. Elle pénètre sur le stand Ferrari, emplâtre une Testa Rossa qu’elle accordéonne de première. L’airbag joue illico et deux énormes ballons, en un éclair gonflés, sont les brusques vis-à-vis des deux compères. Rien de plus puissant qu’un V 8 de ce tonneau, gavé de super. Il passe de chez Ferrari chez Porsche où il télescope une Carrera bleu clair métallisé, puis chez Peugeot où il fait une moisson d’aimables 205.