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— J’l’voye ! jubile Bérurier : j’ai un œil d’ larynx. Là-bas, su’ la droite, on aperçoive la grange derrière l’ bosqueteau, et l’ camion en rideau.

Ils regardent tous et conviennent.

— Donc nous arrivons à temps, se félicite Carmen. Vous avez tout bien compris, Alonzo ? Tout, directeur !

C’est un jeune beau gosse, avec des favoris bas, taillés carré, des cheveux noirs brillant comme une toile d’araignée givrée, la mâchoire carrée aussi. Béru se dit que la Carmen se l’embourbera probable, maintenant qu’elle est « libérée ». Il fera partie de sa prochaine charrette amoureuse. Elle voudra se faire calcer à la langoureuse sur le coin de son bureau, sans s’être déloquée, la culotte simplement tirée sur le côté et elle la maintiendra écartée, pas qu’il surchauffe du membre, le beau sergif.

L’appareil se pose à peine. Le sergent Alonzo Gogueno saute, courbé en deux, comme on fait instinctivement lorsqu’on se trouve sous les pales d’un hélicoptère.

Le zinc paraît faire un plongeon à l’envers et bondit dans le ciel. Ils voient Alonzo s’amenuiser et se glisser sous le camion.

L’hélico décrit un vaste arc de cercle d’environ cinq kilomètres de diamètre et va atterrir derrière une colline au bas de laquelle coule un ruisseau enchanteur. Le pilote stoppe le moteur. Les oreilles des passagers retrouvent une sérénité qu’ils croyaient à jamais perdue. Ils se détachent et mettent pied à terre. L’endroit sent bon l’herbe fraîche, les fleurs des champs. Le Gros annonce que le coinceteau est propice à une sieste. Pinaud fait chorus.

Voilà les deux aminches allongés à l’ombre de noisetiers. Carmen essaie le talkie-walkie et appelle le beau sergent (qui risque fort de devenir lieutenant avant longtemps). Ça fonctionne aux petits pois. Un instant de félicité bucolique, presque paradisiaque les submerge. Le silence n’est troublé que par le « roi mage des oiseaux », comme dit Béru. Le soleil est tiède, la nature infiniment belle. Béru ronfle bientôt, bruit grondant de torrent fougueux s’engouffrant dans les profondeurs de la terre. Pinuche se joint à lui, mais ses ronflades sont menues, sifflantes, flûtées, avec des brisures d’asphyxié qui, pourtant, ne le réveillent pas.

Le pilote s’est également allongé dans l’herbe rase. Un homme d’une quarantaine d’années, précocement gris, avec des traits craquelés par la vie au grand air.

— Vous permettez ? murmure Carmen Abienjuy.

Elle se couche perpendiculairement à lui et prend le ventre du pilote comme oreiller. Il en est pétrifié d’émotion et n’ose bouger, même pas respirer à sa faim. Comme il a bouffé du chili à midi, ses intestins gargouillent et il a honte. Carmen dissipe son humiliation en lui taillant une petite pipe sans histoire, du genre pique-nique.

SUITE

Grésillement crachoteur de radio. Carmen bondit. Ça fait deux bonnes heures qu’elle a rendu heureux le pilote, lequel roupille, anéanti.

Elle branche le contact :

— J’écoute !

— Sergent Gogueno. Je vois survenir une grosse dépanneuse avec un seul homme à bord.

— O.K., nous arrivons. En cas de besoin, braquez l’homme pour le faire tenir tranquille.

— Bien reçu !

Elle interrompt la communication et réveille ses troupes :

— Messieurs, debout ! L’heure de l’action a sonné.

Le pilote bondit. Pinaud et le Mastar sont plus longs à se remettre dans le circuit, mais enfin, le commando est paré pour l’action.

Alexandre-Benoît bâille à en montrer le fond ténébreux de son calbute. Puis il éclate de rire.

— Carmencita ! fait-il, t’as pompé le pilote et il a le falzoche enfoutraillé ; dis-y qu’y s’répare les dégâts avant d’rentrer chez bobonne, sinon médème risqu’ d’y jouer l’grand air d’ l’Acné à la batt’rie d’ cusine !

Intermède joyeux, qui détend cette ambiance d’avant l’attaque.

Ils reprennent leurs places respectives et l’hélico s’élève.

Le Mammouth se penche sur le directeur.

— Tu voyes, chérie, dit-il sentencieusement, ça n’ d’vrerait pas s’produire, un accident d’ce genre. La femme qui taille un roseau à un mec doit assurer la bonne fin d’l’ouvrage. Si tu calumettes un gonzier pour l’laisser floconner dans ses gu’nilles, c’est de l’abusage d’confiance. L’homme qu’t’éponge doive sortir d’ta bouche prop’ comme un sou neuf, sans frais d’teinturerier en perspective. Si tu viendrais à Paname, j’t’emmènerais chez la mère Ripaton, voir c’ que c’est qu’une vraie pipe irréprochab’. Chez ell’ l’lavabo ça n’éguesiste pas ! J’m’ demande même si elle en a un ! Ell’ te boit au goulot sans la moind’ éclaboussure. Une fée ! Tu rest’rais une journée av’c elle, douée comme j’t’ sens, t’aurais tout compris. Quand on a l’don, faut ensuite acquir la technique.

Voilà que le coucou plonge déjà vers les deux véhicules arrêtés. En bas, la dépanneuse est en train de manœuvrer de manière à positionner sa grue près de l’avant du camion.

Inquiet, le chauffeur sort la tête par la portière. Cet hélico qui fond sur lui, l’effraie. Il saute de sa dépanneuse et se met à courir en direction de la route. Fuite dérisoire. Le sergent Alonzo est sorti de sa planque et le braque. Il doit gueuler, mais le bruit infernal du rotor couvre ses injonctions. Alors il pique un sprint et place sur le talon de José ce qu’en foot on appelle un tacle. L’intendant s’affale. Alonzo Gogueno lui met le pied sur le dos afin de composer une figure avantageuse, à la Tartarin. Trophée de chasse !

Le « coléoptère » de Béru s’est immobilisé. Ses passagers accourent. Les Justiciers, épisode no 3 ! De toute beauté ! Ouvrant la marche : la cavalière Elsa, chargeant l’arme au poing ! Sus ! Suce !

— Passez-lui les menottes ! ordonne-t-elle.

Allons-y, Alonzo !

Il enchaîne prestement Don José. Rien qui démoralise davantage un homme que d’être affublé de cadennes. Il se sent tout empêché, soudain ; franchement hors jeu, banni !

Pinaud entraîne la directeur au camion pour lui montrer ses avaries et les traces de peinture rouge sur sa propre carrosserie. « L’accident » de Martin s’y lit comme sur une affiche.

— Amenez-le ici, Alonzo ! lance-t-elle au sergent.

Et voilà le José poussé jusqu’à son char de combat. Carmen sort de son sac-giberne le petit enregistreur de Pinaud, l’enclenche. Elle jacte dans le micro :

— Votre nom !

Puis elle présente l’appareil devant la bouche de l’intendant.

— José Ramirez.

— Ce camion est à vous ?

— Il fait partie de l’exploitation du señor Miguel del Panar.

— C’est avec lui que vous avez provoqué l’accident ayant causé la mort du beau-frère de votre employeur ?

— Quel accident ?

— Vous niez ?

— J’ignore ce dont vous parlez.

Elle désigne la roue voilée, la carrosserie enfoncée.

— Qu’est-il arrivé à votre véhicule ?

— J’ai dérapé dans le fossé.

— Et c’est l’herbe du fossé qui a laissé ces traînées de peinture rouge Ferrari sur votre capot ?

— Elles s’y trouvaient avant l’accident. Je ne suis pas seul à le conduire. Plus de cinquante personnes travaillent à l’exploitation.

Béru croit piger le sens général des propos tenus par José.

— On dirait qu’il bat à niort, hé ? fait-il à Carmen.

— Il nie, répond-elle.

— Si on procéd’rerait à l’interrogatoire à la française, ma jolie ?

— C’est-à-dire ?

— Donne-moi carte blanche, jockey ?