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— Tu surveilles la crèche, pépère ? Bois autant de yerba maté que tu veux : c’est bon pour la santé !

Pinaud remercie, se sert d’abondance.

Pendant ce temps, le couple nouvellement constitué part à la recherche d’une surface plane et moelleuse dans les coulisses du cabaret. Deux minutes s’écoulent et un homme maigrichon, riche d’eczéma dans la région sourciliaire se pointe et va prendre place à une table. Il coltine un sac avion en toile, frappé du sigle de la T.W.A.

Pinaud se torche son cinquième bol de boisson fraîche, au goût suavement opiacé. Comme il achève de le boire à longs traits, un monstrueux gargouillis vrille ses entrailles, ponctué d’une douleur brûlante. Il porte la main à son bide. L’eczémateux qui surprend le geste lui lance une phrase en espanche.

— Je vous demande pardon ? s’inquiète fort civilement Pinuchard.

L’autre montre le bol, puis son ventre :

— Muy laxante !

— C’est-à-dire ?

L’eczémateux cherche obligeamment à franciser son espagnol :

— Beaucoup laxativo, yerba maté !

Cette fois, Pinauder a pigé et fait la grimace. Yerba maté est un puissant laxatif ! Misère ! Lui qui déjà souffre de fortes « tracasseries » ! Il sent venir des catastrophes.

L’Eczémateux s’inquiète :

— Nobody, here ? Personne ?

— One moment ! le rassure Pinaud.

Qu’à cet instant, on entend, clamé dans les coulisses de La Tour Eiffel :

— Ah ! bon Dieu de salaud ! Ce coup de verge ! Oui, vas-y, goret ! Mais où t’as été pêcher une trique pareille, gros dégueu ! Oh ! cette énergie ! T’es un marteau-pilon, Français ! Tu t’en tamponnes, de mes organes, sagouin ! Il va me remonter la matrice dans le gosier, ce misérable ! T’es juste une queue, quoi ! Un casse-pot ! Après ton passage, on reste des mois sans plus pouvoir s’asseoir, hein, avoue ? Oh ! putain de moi ! Dire que j’aurais pu crever sans connaître un taureau semblable ! Ralentis un peu, que je prenne mon élan. Que je me rassemble ! Merci, t’es gentil, maintenant, j’y vais à la décarrade ! Tout à l’énergie, Bébé rose ! Oh ! mes reins ! ma sciatique ! Demain, je pourrai plus arquer ! Il me détruit, l’apôtre ! Tant pis, fonce, camarade ! A mort, mon loulou. A fond ! Vive la France !

Le silence qui succède à des relents de Marseillaise.

Pinaud, à bout de résistance, ne contrôle plus ses sphincters. Debout devant le rade, des deux mains cramponné à lui, il se laisse aller dans ses hardes. Douloureux, mais résigné, il s’abandonne, vaincu. Il songe, dans les confins de sa pensée, qu’il ne dispose pas de fringues de rechange. Or, ce qui est en train de se produire et qui est cataclysmique, paraît sur le coup irréparable. Il a un peu écarté ses jambes maigrichonnes, fermé les yeux, entrouvert la bouche comme pour mieux exhaler son désespoir.

L’eczémateux branle le chef avec commisération :

— Muy laxante, murmure-t-il. Mucho laxante. Béru et Marinette font retour. Un pan de la limouille du Gros sort de sa braguette trop hâtivement refermée. La bistrotière, quant à elle, a la démarche d’une qui vient de redescendre l’Annapùrnà en talons aiguille sur ceux du cher Maurice Herzog. On devine que ses jambes sont devenues télescopiques et qu’elles pénètrent dans son bassin chaque fois qu’elle pose un pied devant l’autre.

Elle soupire :

— Seigneur, ce que ça fouette, ici ![7]

Puis, s’adressant à l’eczémateux :

— Vous buvez quoi ?

— Campari soda ! répond l’homme.

Marinette soupire :

— Charogne, faut continuer à vivre après un coup de rapière de cette magnitude ! Tu m’as assassinée, gros porc !

Mais l’accusé plaide non coupable :

— Qu’est-ce qui a voulu qu’ j’y engouffre c’braque, Marilou ? C’est pas l’tout d’faire sa capricieuse et n’ensute d’ gueuler au viol ! D’autant qu’av’c l’moule à zobs qu’tu t’trimbales, avant d’ jouer les rosières, faut cimenter les brèches ! T’as une Prom’nade des Anglais qu’on peut faire défiler les chars du Carnaval, la mère ! J’ai eu misé des p’tites jeunes filles d’bonne famille, qui morflaient Mister Zifolo sans app’ler leur maman ! Où qu’on va, si les vieux chaudrons comme tézigue montent au renaud comme quoi j’y astique un peu trop la moniche !

— Te fâche pas, gros voyou, c’est façon de te rendre hommage.

— Ah ! bon, comme ça j’préfère.

Elle achève de préparer le Campari soda, y joint une tranche de citron et va le porter au clille.

Lorsqu’elle dépose le glass sur la table du gars, ce dernier murmura :

— Personne ne m’a demandé ? Mon nom, c’est Lolo.

— Non, fait Marinette. Vous attendez du monde ?

— J’ai rendez-vous avec un type blond aux yeux bleus : il s’appelle Martin.

— Je le connais, déclare la taulière, mais je ne l’ai pas encore vu aujourd’hui.

Elle revient à son rade en reniflant.

— J’vous dis que ça pue là merde à plein nez ! affirme-t-elle. Pourvu qu’une conduite n’ait pas explosé !

Pinaud, hypocrite, fait fonctionner ses fosses nasales (il aurait mieux fait de faire marcher les fosses d’aisance).

— Je ne sens rien ! bêle-t-il.

— Marilou a raison, intervient Bérurier. On se croirait en tête-à-tête avec une pompe à merde !

Puis, soudain, grave et baissant la voix :

— Dis voir, ma chatte, le gazier boutonneux, là, y t’aurait pas causé d’un certain Martin, m’a semblé entendre ?

— Oui, pourquoi ?

— J’croive qu’on voiliage pour la même maison, moi et lui. Tu permets ?

Le Gravos s’approche de Pinuche.

— J’sais pas si la Providence n’s’rait pas d’mèche av’c nous. V’là qu’ l’ouistiti qu’est laguche attend Martin ! Si ça s’rerait ça, on aurait l’fion bordé d’nouilles, non ?

Pinaud acquiesce mollement ! Béru réagit :

— Toi, c’est pas d’ nouilles qu’t’as l’cul borduré, César ; mon p’tit doigt m’dit qu’t’as bédolé dans ton froc. J’me goure ?

— Ça a été indépendant de ma volonté, bredouille le cher homme.

— T’es bon pour la casse ! soupire Béru qui, déjà, a occulté une certaine jatte de crème fraîche. L’homme qui s’chie parmi, faut qu’y retiende sa place à l’hospice !

Féroce !

Il va à la table de l’eczémateux.

— Do you speak français ? demande-t-il en s’asseyant délibérément en face de lui.

— No, but I speak English.

— Not me ! s’humilise le Mammouth. Marilou, tu peux v’nir faire l’interprêtre ?

La grosse rouquine au fion défoncé s’amène, marchant comme un compas.

— Assoive-toi ! enjoint son nouveau seigneur et maître.

Elle prend place.

— D’mande à c’vérolé quelle sorte d’ tire a son Martin.

— Je le sais, moi, répond-elle.

— Qu’ tu le suces, j’m’en branle, c’est sa pomme dont j’questionne !

Elle relaie la question.

— Ferrari ! répond l’autre avec envie.

— Gi go ! C’est bien du même Martin qu’on cause. Dis à c’ glandu qu’ son Martin s’est flashé hier au volant d’sa caisse !

— Il est mort ? sursaute Marinette.

— Pis qu’ si son dabe avait défoutraillé dans son mouchoir, l’jour qu’il l’a concevu !

Elle traduit. Le maigrichon devient un peu plus moche sous l’effet de la contrariété.

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7

Scatologique, San-Antonio ? Et alors ?