Mais César a trop le respect du clergé pour abandonner le cardinal aux délirades graveleuses de son ami. En termes choisis, il narre toute l’affaire au prélat, commençant par l’implication de leur ami Alfred dans un assassinat diabolique, continuant par leur visite à la gentilhommière de Miguel del Panar et les découvertes qu’ils y firent. Ils sont certains que la garce d’Hildegarde et son vénéneux frangin ont fomenté la mort des aînés del Panar afin d’assurer un jour l’héritage de l’immense fortune du vieux au rejeton que lui tricotait l’Allemande. C’est elle qui aurait l’usufruit de ces biens faramineux. Avec son frère, ils se promettaient de « faire leur pelote ».
Le cardinal suit ce terrible récit avec passion et l’angoisse croît sur son visage comme les boutons sur la gueule d’un môme venant de contracter la scarlatine.
— O divin Seigneur, murmure l’éminente Eminence, quels esprits infernaux ont pu échafauder de tels crimes ?
Il se signe en trois exemplaires, baise sa croix pectorale, cache son front assailli par de funestes pensées entre ses mains prélasseuses et finit par murmurer :
— Il faut prévenir la police !
— C’est fait, vot’ cardinal. S’l’ment y a pas d’preuves, comprenez-vous-t-il ? Faut qu’on chope les assassins en flagrant du lit. V’là pourquoi nous sommes ici, moi et Pinaud.
« Espliquez à la dame c’qui s’passe et disez-lui bien qu’nous d’vons habiter chez elle jusqu’à c’qu’on essaye d’y buter son garn’ment. Au faite, où est-il-est-ce, c’p’tit con qu’sa frime ressemb’ à une tarte aux fraises des bois ? »
— Il assiste à un match de football, révèle le cardinal : le F.C. Constipacion contre une formation des Espoirs de Montevideo.
— Pourvu qu’y n’y arrive rien ! Quoique les tueurs avaient pas encore reçu leur fraîche. C’est maint’nant qu’y z’ont l’carbure qu’le feu passe au vert ! Sitôt qu’l’glandu rentrerera, on l’prend en pogne ! Racontez tout ça à sa daronne, Vot’ Eminenc’rie !
Le bon prélat se met à expliquer la situation à son hôtesse, en mesurant ses mots au plus juste pour ne pas affoler la malheureuse mère.
Durant la traduction, Béru murmure à Pinuche :
— Journal ou pas journal, t’as l’oignon qui prend d’la gîte, mec. Tu verrerais c’t’auréole, su’ la soie du canapé, t’os’rais jamais plus t’relever. Quand tu l’feras, fais glisser le coussin dessus, j’te r’commande ! La vioque, elle a beau qu’on y tue ses chiards, elle tient à son mobilier, tu connais c’genre d’vieille toupie !
« N’a un moment ou l’aut’, quand l’chef curé aura mis les adjas, j’ retourn’rai la banquette ; mais d’grâce, arrête d’ chier, César, ou alors habille-toi en scaphandrier si t’es plus étanche ! C’est marrant, un constipé chronique tel qu’toi qui passe d’un coup dans l’camp adverse ! »
— J’aurais jamais dû boire tout ce maté, chez Marinette. Il paraît que c’est un puissant laxatif !
— César ! fait sévèrement Bibendum, t’es pas raisonnab’. T’sais bien qu’dès qu’tu t’éloignes du blanc,’t’es perturbé d’l’organiss’. Une tisane ! Toi ! C’est pas croyab’, l’âge, les conneries qu’ça vous amène à faire !
Son Eminence a bien raconté tout à Rosita del Panar. Comme il faut. Avec ménagement. En laissant la fenêtre de l’espoir ouverte à deux battants et en lui prêchant le pardon. Il fait valoir que le misérable Martin Bormann (je t’ai pas dit : ils s’appellent Bormann dans la famille d’Hildegarde et on a donné au frère d’icelle, le prénom de son grand-père) est mort tragiquement, signe indiscutable d’une justice immanente. Il a payé de sa vie celle de la douce et pieuse Conchita, dont l’Eglise fera une sainte, un de ces quatre morninges. Ces deux sympathiques Français vont mener bonne garde sous son toit, avec le concours occulte de la police argentine, obligée pour l’instant de rester dans l’ombre, mais prête à intervenir à la moindre alerte. Lui-même va dire des prières quotidiennement pour la protection de Salvador ; des spéciales, en latin, et je ne sais pas si tu te rends compte, mais des prières de cardinal, ça n’a pas de prix !
Elle remercie en chougnant, la mère. Mais se tord les mains, tant elle appréhende le présent. Il est au match, son grand garçon. Dans la foule, vous pensez, Eminence, si c’est facile de le larder, ce petit con ! Un être sans défense, qui se branle de la main gauche devant la photo de Maradona ! Le cardinal Alfredo Gigolo y Mantequilla y Platano del Bistougne y Merguez conjure d’un formidable signe de croix. Il interroge Béru, lequel affirme que le môme, « logiquement », ne craindra de se faire tronçonner l’acte de naissance qu’à compter de tout à l’heure.
Et alors, tu sais quoi ? Tu veux que je te dise, l’infinie bonté du Seigneur ? Pile, Salvador paraît. Rayonnant. Les Urugayens se sont fait torcher comme des malpropres : trois à zéro ! Il pige mal pourquoi le cardinal et Mme del Panar tombent à genoux en glapissant Deo gratias ! Bon, on raffole du foot en Argentine, mais de là à se livrer à de telles démonstrations parce que les Espoirs de Montevideo ont ramassé la piquette, tu permets !
Pinuche, qui est un mystique, voudrait joindre ses actions de grâce à celles du cardinal, mais il sait que la tache s’est élargie sur le canapé et renonce à s’agenouiller.
Il choisit un moyen terme et se signe.
SUITE
Le dadais, Béru pige que ça va être fastoche de le protéger. Quand il a la révélation que ses jours sont en danger, il se liquéfie et joint ses pestilences intimes à celles de Pinaud. Faut le voir verdir sous ses bubons plus ou moins juvéniles, le branleur ! Faut l’entendre claquer des ratiches pour donner un récital de castagnettes. Il pleure, dit qu’il a peur. Il veut qu’on le préserve de tous les dangers. Qu’on le mette dans une pièce blindée avec des tireurs d’élite, un gilet pare-balles.
L’Eminence, ça commence à lui pomper l’air, ces simagrées, ces miasmes épouvantables. Il se dit qu’interpréter un rôle de prélat dans un bouquin de Santantonio, merci bien de la corvée ! Il est tombé chez un romancier à la con, impertinent, scato, mal embouché ! Alors il joue cassos après avoir distribué quelques bénédictions. On ne le reverra plus. Envoie-lui un baiser, j’en ai plus besoin.
Pendant que Rosita del Panar le raccompagne à la lourde, Béru fait signe à Pinaud de se lever, saisit la banquette de deux mètres et la retourne. Il était temps : l’auréole tournait en flaque. Une diarrhée, tu peux jamais prévoir ses conséquences.
— Que vais-je faire ? lamente le Débris.
— On prendra tes mesures et on enverra la vieille bonniche t’acheter deux ou trois grimpants et quat’ ou cinq slips.
Au retour de la Répudiée, Béru exige un état des lieux. L’appartement, outre la partie réception, se compose de cinq chambres dont quatre en rang d’oignons. Celle du bout appartenait à Conchita, la suivante est une chambre-à-donner, puis vient la plus vaste : celle de la daronne, contiguë à celle du petit dernier. La cinquième est plutôt un débarras pourvu d’un vasistas, elle jouxte la cuisine et, tu l’as déjà compris, c’est la servante naine qui l’occupe. Le Maître réfléchit sous les regards conjugués de ses hôtes.
— Bon, tranche-t-il, faucon modifille tout ça. Le gamin va s’installer dans la piaule d’la p’tite vioque, moive et Pinaud, on va prend’ la sienne et la nainte s’rabattrera su’ la chamb’ d’aminches.
Salvador étudie le français comme seconde langue au lycée ; il parvient à piger l’organisation du Gros.
— Faut qu’tu vas m’comprend’, p’tit gars : la turne d’l’esclave donne sur rien pisqu’ell’ a pas d’fenêt. Le vasistas, pas même un macaque pourrait y passer et j’vais l’clouer n’en plus. Nous, dans ta carrée, on est aux premières loges pour si les r’quins donneraient l’assaut. Donc, concernant la maison, ça baigne. Jusqu’à la nouvelle ordre, tu quittes pas l’ gratte-cierge. On va faire courir l’bruit qu’t’es malade. Ta mère appel’ra vot’ docteur, ira au pharmacien, tout bien. Et on attendrera. Le père Lapine musardrera dans l’secteur pour r’tapisser si des mecs surveillent l’immeub’. Il a un œil magistral concernant la détectance des planqueurs. C’t’un don d’naissance, chez lui. Y r’père illico ceux qu’a pas d’raison d’se trouver là.