« L’s’cond mecton, c’est pour surveiller l’appart’ du temps qu’on est en enquête. M’faut pas une pomme-à-l’huile, mais du futé bien galbé du bulbe, a capito ? Good ! J’t’laisse, t’irrite pas trop l’clito en m’attendant, qu’ n’ensute faudra t’pommader la vallée d’ la Maurienne pour limer. Ciao, poupée rose. Virgule-moi tes péones par hélico, ça urge. Et oublille pas d’ passer un doigt mouillé dans la culotte d’ ta s’crétaire quand é t’apporte l’ courrier à signer. Bisous ! »
Il raccroche, détendu, content de lui. Décidément, l’Argenterie lui plaît.
SUITE
Marinette a un beau sourire radieux en les voyant revenir.
— Tiens ! messieurs les hommes ! s’exclame l’exquise dame. Justement, je rêvais de toi ! fait-elle au Gros.
— Je sais : toutes ! répond-il, modeste.
— Avec une queue comme tu as, tu ne devrais pas travailler, assure la tenancière de La Tour Eiffel. Bien organisé, avec un démarcheur subtil, tu pourrais faire des passes à deux mille cinq cents balles. Tu te rends compte : deux mille cinq cents pions par jour, tu vis large !
Il sursaute :
— Deux mille cinq cents points par jour ? Tu dérailles, ma gosse ! Je peux assurer quatre parties de miches sans problème ! Et p’t’êt’ même un’ nocturne en supplément comm’ au Salon d’ l’Auto, l’vendredi, par exemple.
— La vache ! Et t’as la santé en plus. Tu vois, Alexandre, si tu te fixais à Buenos, moi je me chargerais de te rabattre des rombières bourrées d’osier. On ferait de la surenchère, tu affurerais de quoi te préparer une retraite de rêve ! Sans compter que tu pourrais travailler pour le cinéma d’art et d’essai, une queue de quarante centimètres, c’est gagné d’avance ! J’ai dans ma clientèle un producteur de films « X » qui recherche des sujets d’élite ! Tu deviendrais le Gary Cooper des productions foutre, mec !
Le Gros hoche la tête :
— J’t’ rmercille, ma colombe, d’m’mouiller la compresse, mais commercer d’ma bite, franch’ment, je pourrerais pas. C’t’un cadeau du Ciel, comprends-tu-t-il ? J’ai l’d’voir d’l’donner, mais l’interdiction d’l’ vend’, ça m’déshonneurerait !
— T’es un spécimen, murmure Marinette, rêveuse.
Le sergent Alonzo déguste un bacardi-Coca. Pinaud, selon le conseil de Béru, écluse un verre de blanc. Le trouve trop doux et grimace à chaque gorgée. Sa chiasse à grand spectacle l’a amaigri et il ressemble à son squelette habillé. C’est le début de la soirée, il commence à y avoir du trèpe dans le cabaret. Sur l’estrade, des musicos en tenue de gauchos d’opérette affûtent leurs instruments. Y a un banjo, deux bandonéons, une guitare.
Les premiers accords langourent déjà dans la salle.
— Vous avez le temps, les gars ? demande Marinette. J’ai un couple de danseurs qui va vous couper le souffle.
Béru répond qu’ils ont la nuit devant eux. Marinette va chercher une assiette de saucisses au piment. C’est le régal de Pinaud. Béru les lui déconseille, compte tenu de son délabrement intestinal. Marinette réfute comme quoi ce qu’on aime bouffer ne fait jamais de mal. Alors, la Pine se farcit deux chorizos entre pouce et index, le petit doigt levé, façon thé chez la baronne.
— Dis voir, Marilou, puis-je-t-il te poser une question ?
— Je ne vois pas ce qui t’en empêcherait, ma grosse queue !
— Parmi tes habitués, connaîtrais-tu-t-il un client qui roule dans un’ Saab blanche décapotab’ ?
— Pas un client, une cliente.
— Tu sais son blaze, trognon ?
— Ses copains l’appellent Veronica. Elle a l’air huppée, si j’en crois ses toilettes. Pas d’esbroufe, mais du bon ton hors de prix.
— Elle vient souvent ?
— Très souvent, et mon petit doigt me chuchote qu’elle sera là ce soir car j’aperçois des copains à elle près de l’estrade.
— Montre-me-les !
— Le gars blond décoloré qui porte une veste blanche, et la souris brune avec le bermuda noir et le chemisier vert.
Marinette a grande envie de savoir « pourquoi ces questions », mais dans son monde on doit réfréner sa curiosité, avec les mecs.
Le Gros se penche sur ses deux compagnons et leur désigne le couple.
— Ça s’passerait d’ c’côté, annonce-t-il. P’t’être qu’on a l’ cul bordé d’nouilles, c’soir, et qu’ça voudrait déquiller…
En attendant, ils biberonnent. Marinette, mobilisée par ses occupes les largue avec promesse de venir leur signaler l’arrivée de la Veronica, si toutefois elle s’opère. Les musicos se foutent à l’établi et c’est du sérieux. Du vrai tango argentin. Là, c’est poignant comme musique, ça te dépèce le présent, te file des coups de scie égoïne dans le palpitant, te racle les nerfs longuement. Au bout d’un peu, tu te sens tout chose. Autrement, perdu, vagueur de l’âme… Ils écoutent en lichetrognant. La picole accompagne bien. Elle est indispensable.
Après deux trois morcifs, quand t’es à point, la salle s’éteint, trois projos de couleur s’allument et un couple de danseurs surgit de la nuit. De noir vêtu ! Ils sont superbes, l’un et l’autre, longs, minces, étroits des hanches. Lui a des bottes étincelantes, un chapeau rond à jugulaire, une veste-boléro moulée. Elle, est sublime : visage allongé, chevelure de jais, robe droite, mais fendue haut pour permettre à la jambe de se couler loin entre celles de son partenaire.
Une âcre émotion s’empare du public. Ils sont si beaux, ces deux danseurs, si gracieux, si élégants, si pleinement en possession de leur art ! Ils décrivent des figures si lascives ! Ils sont portés par le tango ! Emportés ! On s’attend à ce qu’ils s’envolent. La salle retient son souffle. Les bandonéons chialent. Les pauvres projos loupiotent comme ils le peuvent, incendiant les visages, puis les abandonnant à des loucheurs vert-de-grisés. Les jambes s’emmêlent, les bras volutent, les joues se rapprochent. Ça volte, virevolte, survolte. C’est sensuel, sexuel, même. Il doit goder, le julot à un régime pareil. Béru mate sa vitrine, guettant un renflement. Mais balpeau ! L’habitude, cette saloperie, dévastatrice de tout !
Fin de la danse, ovations ! Salut gracieux du couple. A la lumière ordinaire, les tangoteurs sont encore plus merveilleux que dans la bouillasse d’éclairage chiqué.
Ils remettent la gomme. Le second tango ressemble au premier comme le duc de Bordeaux à mon cul ! Pourtant, les deux ailés composent des figures nouvelles.
Marinette vient chuchoter à la portugaise de Béru :
— Tu jouis, Gros Zob ? Elle est choucarde, la môme, non ?
— J’m’en f’rais bien une capote anglaise, assure le Mammouth.
— Je peux t’arranger ça, si le cœur t’en dit.
Il incrédulise :
— Tu m’berlures, Marilou ! Ce prix de Diane !
— Pas du tout : son partenaire est pédoque et elle raffole des grosses chopines. Si je lui annonce ton calibre, elle voudra à toute force l’essayer !
— Oh ! merde, dis-moi pas ça, j’vas pas pouvoir tiendre jusque z’à la fin du spectac’ ! Déjà que Miss Coquette dévergonde dans ses appar’t’ments privés ! Touche, pour t’ prouver.
Elle tâte discrètement mais fermement.
— Charogne ! soupire-t-elle. Du bronze ! Je ferais mieux de me le garder pour moi !
— T’auras ta commission, la mère, soye pas en détresse.