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— Pétasse ! rumine Béru.

Il réagit :

— N’importe, j’opérerai avec Pinaud !

Marinette circulant entre les tables, il la hèle d’un geste.

— Ecoute-moi, la Grosse, faut qu’on cause.

Elle s’assoit sur le genou qu’il lui propose, ainsi que le font les taulières de la tradition bordélique.

— Pour en r’v’nir su’ not’ converse d’ t’à l’heure, j’ai envie qu’on fasse un estra av’c mon zob, môme !

— Ah ! tu t’décides ?

— Tes clilles, sous l’estrade, la Veronica et ses aminches, t’es en bons termes av’c z’eux ?

— Tu parles : des années qu’j’ les pratique !

— C’t’à eux qu’tu vas proposer d’mater ma membrane, Cocotte ! Raconte-z’y c’qu’tu voudreras, comme quoi tu viens d’ dégauchir l’plus beau manche du monde. Un Français pafé comme un’ bourrique. La pièce d’collection à n’pas rater. Çui qu’a pas vu ça, n’sait rien d’la bite ! Si, comme j’l’espère, y sont branchés, tu leur annonces qu’ je prends cinq cents dollars pour l’esposer et, au b’soin, la laisser manipuler. Deux cents dollars d’mieux pour fourrer les d’moiselles intéressées ; par cul, naturellement ! Si y veuillent, tu leur racontes comme quoi j’ai pas d’local et qu’y m’emmènent où ça leur chante. Banco ?

Marinette, bonne fille, se lève.

— T’es un sacré loustic, Alexandre ! J’aimerais savoir ce que tu as derrière la tête…

N’empêche qu’elle gagne la table de Veronica Trabadjabueno. Elle s’accroupit au milieu du groupe et se met à parler à ses bizarres clients.

— J’sens qu’ça va jouer, annonce le Gros. Mon instincte s’goure jamais. Si c’est O.K., tu t’casses et t’attends not’ décarrade au volant d’ ta tire. Ton rôle s’ra d’nous filocher, qu’au moins tu suces où qu’on gît, si ça tourne mal !

Il réveille Pinaud.

— Rambouillet ! lui crie-t-il à l’orée de la feuille. Tous les voiliageurs descendent d’ voiture !

César revient au monde immense et radieux. Il remue ses lèvres comme un que ses profondeurs taquinent mochement.

— Je crois que tu avais raison, murmure-t-il.

— A quel propos ?

— Au sujet des chorizos. Voilà que je reprends mal au ventre !

— T’es pas voiliageable ! s’emporte Béru. Si tu sens qu’ ça foire, va à l’hôtel, ça r’pos’ra la lit’rie d’ la mère del Panar !

Marinette vient annoncer que les blousons blancs acceptent d’enthousiasme. Elle leur a fait une telle description des charmes discrets du Mastar qu’ils veulent absolument s’offrir ce délicat spectacle.

Alonzo Gogueno se brise sans plus attendre. Là-bas, les quatre se lèvent. Marinette leur adresse un signe et ils s’approchent de la table du phénomène.

— Ecce homo ! leur fait-elle, en montrant Béru. Puis, désignant Pinuche : son manager.

Le quatuor examine Béru avec un étonnement non feint. Ces jeunes, superbes et beaux, s’imaginaient que le détenteur d’un paf de légende devait être un mâle ardent, baraqué Tarzan. Et qu’ont-ils devant eux ? Un gros poussah cradingue et mal rasé, qui pue la porcherie.

— Il trompe son monde ! plaide Marinette qui devine leur scepticisme. Laissez-lui tomber son pantalon et alors vous vous croirez sur une autre planète !

— On va voir ! décide la Veronica.

Elle leur fait signe de les suivre.

Son copain noir et elle font grimper les deux Franchouillards à l’arrière de la Volvo. La fille se place au volant et se met à rouler comme une perdue dans les rues de Buenos Aires. Ses amis la filent à bord d’une Porsche gris métallisé. Ils traversent la place de Mayo à une allure de missiles.

— Ça me reprend ! larmoie Pinaud à l’oreille de son ami. Je ne vais pas pouvoir me retenir longtemps !

— Faudrait qu’ tu bouffes du riz, déclare le Gros.

Il se retourne. La Porsche exceptée, il n’aperçoit pas de troisième charrette. La petite 5 CV Renault du sergent Gogueno n’a pas pu soutenir ce train d’enfer et a été larguée d’entrée de jeu.

Fataliste, le Mammouth en prend son parti. « On fera sans lui », se dit-il.

L’agglomération de Buenos Aires est très étendue et la course infernale n’en finit pas. Ces écervelés jouent à la roulette russe, enquillant les carrefours sans lever le pied, se contentant d’un appel de phares, ou d’un coup de klaxon quand se présente un danger précis.

Bérurier, relaxe, entonne une chanson que chantait son grand-père dans les banquets : Roule, roule, train du malheur… C’était probablement inspiré de la Bête humaine d’Emile Zola, puisque ça racontait l’histoire d’un mécanicien de locomotive et de son soutier qui se battaient et tombaient de la machine. Le train fou, privé de conduite, se ruait vers la catastrophe inévitable, emportant aux abîmes son chargement de voyageurs joyeux. Mais ça, je t’en ai déjà causé il y a lurette. Les classiques ne meurent jamais.

Enfin, ils arrivent à destination.

La destination c’est le « Tigre », à trente bornes au nord de la ville, soit le delta du Rio Paraná, dont les deux bras débouchent, l’un dans le Rio de la Plata, l’autre dans le Rio Uruguay. Le Tigre est un archipel de petites îles luxuriantes, séparées par une chiée de minuscules canaux. La Venise argentine, en somme.

Les conducteurs ralentissent pour franchir des ponts et finissent par emprunter un chemin à travers un boqueteau. La nature sent fort et bon. Odeur végétale d’eau et de plantes. Bientôt, les deux voitures se rangent côte à côte devant une maisonnette basse, au toit d’ardoise, qui évoque la Bretagne.

Veronica délourde et donne la lumière. Béru découvre un living en contrebas, comme creusé dans le sol ; il faut descendre deux marches pour y accéder.

Tout autour de la dénivellation, des canapés sont aménagés. Au fond, une vaste cheminée en demi-cercle, à la hotte de cuivre sombre. Au centre, quelques tables basses et beaucoup de tapis. Pas sale, le repaire de la bande des snobs !

L’importance du salon et la relative exiguïté de la maison donnent à penser qu’il y a peu de chambres : deux ou trois, et pas grandes !

Les six s’installent au gré de leur fantaisie. Pinaud se tient courbé en avant, ses deux avant-bras comprimant son pauvre cher ventre en panique.

Veronica, qui parle un excellent français, demande à Bérurier s’il souhaite boire un verre « avant ».

— J’ai jamais r’fusé un gorgeon, ma jolie ! rétorque l’homme à l’appendice caudal extravagant.

Il a droit à un whisky. Souate ! Pas contrariant. C’est un tout-terrain de la bite et du gosier, le Plantureux !

Les autres éclusent également. Pinaud refuse en geignant. Alexandre-Benoît se dit que ses compagnons ont des drôles de frimes. Ils sont bien saboulés, clean de partout, mais de vilaines lueurs font briller leurs châsses. Des reflets cruels, si tu comprends ça ? Une malfaisance endémique les anime. De la mauvaise herbe, quoi ! Généralement, elle pousse dans les sales banlieues ; dans leur cas, elle a grandi dans des crèches de luxe. Une sorte de revanche du sort, quoi ! Pas toujours aux mêmes à porter le bitos ! La canaillerie se développe aussi à l’ombre des nurses et sur les banquettes des Rolls.

Tout en gambergeant, il fomente, Alexandre-Benoît. Quatre personnes à neutraliser. Et pas des enfants de chœur.