Béru, suprême, a repris sa mission. Le geste auguste du limeur. Le sommier, très sage, ne moufte pas. T’en as qui la ramènent ! Un poids comme Bébé Rose, tu parles ! Ils te coupent le sifflet de leurs jérémiades, certains. Te donnent la sensation que tu scies une bûche. Là, impec ! Dévoué, silencieux. Le serviteur muet. La classe !
Mais le bruit arrive d’ailleurs, d’où on ne l’attendait point. Trois hommes font une brutale intrusion sur le territoire de nique du couple. Le blond et deux mecs teintés, grêlés, vêtus de cuir méchant. Ces deux-là brandissent des arquebuses dégoulinantes d’huile, tellement qu’ils ont peur qu’elles s’enrayent. Elles ont l’air de sortir d’un bac à friture.
Le blond hurle :
— Arrête, Véro ! Tu brosses avec un flic !
En espagnol. Mais je te dis que le lardu s’est mis à la langue de Cervantès, il pige. Gentleman, il demande :
— Vous permettez que je termine mademoiselle ?
Non, ils permettent pas. D’ailleurs, ce paysage bucolique de baise langoureuse les met hors d’eux.
L’un d’eux braque sa rapière sur le cigare d’Alexandre-Benoît en hurlant :
— Stoooop !
Contraint, le Gros s’en va de Véronique (Véro ne nique plus).
Elle est furax, la tigresse noire. Elle vitupère comme quoi ils lui coupent son bonheur ! Ils la meurtrissent en pleine décarrade d’orgasme. Elle allait plonger de la saucière, la chérie ! Tourner béchamel ! Ils lui paieront ce coup-là, les veaux !
Ils tentent de la calmer en racontant. Ils ont réussi à embarquer Salvador, malgré la surveillance établie chez lui. Ils se pointent ici avec lui et qui reconnaissent-ils ? Le vieux. Et à présent : le gros. Ces deux Français assuraient la sécurité du jeune homme.
Bon, ça la calme un brin, Véro. Un tout petit brin. N’empêche qu’elle a la moule en berne, dis ! C’est pas les fêtes du bicentenaire dans son frifri. Vous avez vu le paf qu’elle s’octroyait ? Non, mais imaginez une courgette comme ça en action et qui vous laisse quimper en plein essor ? Ils veulent pas lui foutre la paix encore un quart d’heure, nom de Dieu ! Qu’elle finisse de se faire braquemarder la moniche ! Elle va en mourir de cette rupture de secteur !
Ils peuvent pas piger, ces petits cons, avec leurs bistougnets de serins ! Au contraire, ils sont surexcités, fous de jalousie, de rage meurtrière. Y en a un qui lui cloque son poing dans la gueule, preuve qu’elle n’est pas si cheftaine que cela !
Dans l’armoire, le négus reprend sa sérénade. Ils le délivrent. L’autre, voyant que le danger est écarté, se jette sur Veronica en la traitant de pute vérolée. Il la cigogne si fort que le Mastar, indifférent au canon toujours appliqué contre sa hure, lui cloque un monstre coup de boule. Le truand tire. C’est Veronica qui morfle la bastos dans la poitrine, en haut à gauche, au-dessus du sein. Elle pousse un cri. Son chemisier devient rouge. Sa copine hurle ! Les deux arquebusiers sont décontenancés. Le blond est plus pâle que l’intérieur d’une noix de coco. Le négus est une fois de plus out, mais sûrement pour lurette. Il lui pousse sur la gogne un machin gros comme une borne kilométrique.
Et puis, bon, bien, ça se calme un peu. Le blond ordonne à son écuyère de s’occuper de Véro. Les hommes retournent au salon où se tiennent Pinaud, un gros zig armé et le frêle Salvador, beaucoup plus mort que vif. Il a les mains entravées par des menottes et une grande plaque de sparadrap sous le pif. Ça cache toujours une partie de ses bubons répugnants, ce trouduc !
Il y a comme du flottement dans le clan des méchants. Ça ressemble à la dessoûlance des petits matins, après la nuit orgiaque.
Ils conseillent de guerre, les mecs. S’arrêtent sur la décision suivante : ils vont lester les jambes des deux Français de plots de ciment, puis ils prendront une vedette automobile et iront les débastinguer dans le Rio de la Plata, aux eaux jaunasses.
Le môme, ils vont le planquer en attendant de s’en servir comme argument pour obtenir une forte rallonge. Là c’est le chantage à l’envers : « Si vous ne payez pas, on le rend. Si vous versez le pognon, on le supprime ! »
L’un des deux arquebusiers a un tatouage au cou qui représente un serpent. C’est très décoratif et, une fois exécuté, ça ne coûte pas cher d’entretien. Il explique au blond que « l’opération » a été menée de main de maître. Ils ont endormi leur monde à l’aide d’une bombe soporifique introduite dans un gros bouquet de fleurs livré à dame Panar. Ensuite, c’était du gâteau.
— Vous avez planqué la came ? leur demande le blond vêtu de blanc.
Ils l’ont fait. Diabolique : une cachette sûre. Ils ont désencadré un tableau et filé les sachets d’héroïne entre la toile et le contreplaqué protecteur.
Je te le révèle tout de suite, que si on oublie par la suite tu viendras gueuler au charron, putois comme je te sais : ils ont, en dernier recours, décidé de faire croire que le môme chiquait les dealers et qu’il a été victime d’un règlement de compte. Astucieux, non ? Merci !
Mais le Noir, revenu une fois de plus du schwartz, ces palabres ne font pas ses bidons. Il demande au tatoué de lui prêter son soufflant. Il tient à dessouder personnellement Béru. Son programme est alléchant : il lui fait sauter les deux genoux de deux coups de feu à bout portant, après quoi il lui sectionne les joyeuses et lui colle tout le pacsif dans le groin en le faisant tenir avec de l’albuplast et en obstruant ses narines. Puis, il lui pisse dessus et le regarde crever. En fin de parcours, il finit de vider le chargeur à l’emplacement de son sexe ablationné. Il opère sur une bâche pour éviter de salir le parquet. O.K., tout le monde ?
Bon, ils ont rien contre. Conviennent même que ça peut être joyce, comme one man chauve. Le blond va personnellement chercher une toile cirée à la cuisine. Les autres font de la place.
Le Noir saisit l’arme de son pote, vérifie que le cran de sûreté est bien enlevé. Il est investi de la mission sacrée qu’engendre la vengeance. Il doit laver deux outrages : l’enfilade carabinée de sa dulcinée et la balle qu’elle a morflée au défaut de l’épaule. Alors tu penses s’il est pénétré de son rôle. Othello ! (« Elle bout ! » comme on ajoutait au lycée.)
Ses sbires aminches empoignent le Mastar pour le faire placer sur la toile cirée.
Mais il y a plus prompt ! Pinaud ! Oh ! pas dans une action d’éclat, crois bien. Plutôt une action d’éclaboussures.
Le voilà qui se précipite sur la toile, accroupi, pantalon tombé, et qu’il se met à déféquer à en perdre haleine.
Toujours fort civil, il gémit :
— Excusez-moi, messieurs, je suis navré ! Mais je ne parvenais plus à me retenir et je n’aurais pas eu la possibilité de me rendre aux toilettes ! Je suis détraqué de fond en comble : les saucisses pimentées de Mme Marinette, comprenez-vous ? J’ai l’intestin si fragile ! Je relevais déjà d’une sérieuse indisposition… Oh ! Oh ! la ! Oh ! la la !
Et de tirer d’abominables salves que si je te les décrivais, je perdrais une partie de mes clients. Des choses inqualifiables, liquides et pestilentielles. Mousseuses, aussi ! Verdâtres à s’enfuir ! Il geint ! Il larmoie. Sa tripe s’exténue, entre en agonie boyassière.
Et tous regardent ce pauvre et triste cul gris, pointu, sans poils, qui pilonne des positions ennemies imaginaires. Le blond se met à gerber. Le tatoué amorce la pompe pour y aller de son voyage, lui aussi.
C’est indescriptible, insoutenable. Le second mercenaire a la présence d’esprit d’ouvrir les fenêtres. Les méchants n’ont même pas la force de protester. Il les a par trop de sincérité, Pinaud ; trop de candeur diarrhéique. Un mec qui chie, dans une situation pareille, c’est qu’il ne peut se contenir. Il explose. Tu morigènes une bombe qui éclate, toi ?