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Non, non : y a rien à dire. Béru, comme les copains, spasme à tout va. Il titube en faisant des beurghh ! vraougggg ! saisissants de vérité. Dans la confuse ambiante, les autres ne l’ont plus en point de mire.

Pinaud a déjà repeint les deux tiers de la toile cirée, car il se déplace en déféquant, le chéri ! A pas minuscules, trottineurs, comme pour s’éloigner du désastre qu’il crée. Pareil au bombardier : il fuit l’impact des projectiles qu’il largue ! Il va peut-être décéder de sa bédolanche excessive, le pauvre biquet !

— Foutez-le dehors ! inarticule le blond entre deux gerbes.

O.K., mais par quel bout l’attraper ? Tel, il semble insaisissable, César. On a davantage envie de s’éloigner de lui que de l’éloigner de soi.

Et puis, dominant cette effervescence faite de nausée, de dégoût grondant, de panique sensorielle, l’organe claironnant de Sa Majesté sonnant la diane française :

— Les pognes en l’air, tous, où j’vous astique les os au jus d’plomb !

Ils le regardent y compris ceux qui ne comprennent pas le français car tout le monde lit le pistolet dans le texte. Le gros marle est parvenu à subtiliser les pétoires des deux kidnappeurs de Salvador et il en a une dans chaque paluche, comme dans les ouesternes. Faut le voir, en veston, les fesses à l’air, la queue pendante (enfin !), les chaussettes tire-bouchonnées sur ses souliers qui bâillent. Ivan le Terrible !

Comme le tatoué lui fonce dessus, il le praline sans barguigner. L’homme tombe dans les flaques pinulciennes, une quetsche dans le col du fémur !

— J’ai dit les mains en l’air ! Hands up ! Manos levantade !A capito ?

On lui obéit.

Il s’adresse alors à Salvador :

— Qui c’est qui t’a mis les m’nottes, gamin ?

Le frêle boutonneux désigne l’ami du tatoué. Béru se tourne vers l’incriminé :

— Open the door, mec ! Et plus quickly que ça ! Menottes du bambino ! Schnell !

L’interpellé finit par comprendre et va délivrer Salvador.

— Ecoute-moi, Tarte aux fraises, lui lance alors Béru. Y a le téléphone dans cette masure, au fond du livinge. Appelle la police, tu dis qu’c’est d’la part de Carmen Abienjuy, le directeur d’la flicaille de Mardel. Dis où qu’on est et qu’ç’urge ! Tu mords l’topo, Burnes vides ? Les poulagas vont ramasser tout’ la bande dans son r’paire. Dis-y qu’y z’amènent une ambulance, du temps qu’y z’y sont.

Tout flageolant, pâle sous ses boutons nacrés, l’héritier du fils del Panar obtempère. Il décroche le téléfon, demande aux renseignements le numéro de la police.

C’est alors que la copine de Veronica entre en scène pour le trois. Elle tient une mitraillette dans ses bras, non pas comme un bébé, mais comme une mitraillette quand on sait s’en servir.

— Laisse tomber ! jette-t-elle au paumé.

Il se grouille de remettre le combiné sur sa fourche (comme on dit toujours dans les romans policiers pour que ça fasse documenté et plus long).

La gonzesse pétroleuse apostrophe Béru :

— Amigo con la gorda cola, lâche los pistolas si tu pas vouloir que je tue lui !

Elle désigne le pauvre Pinaud dans ses œuvres.

Béru évalue la topographie. Elle se tient derrière Salvador et braque le chieur de fond. Il ne peut rien tenter qui ne soit une folie. D’autant qu’elle paraît tout à fait déterminée, la gueuse !

Alors, le cœur en berne, il jette ses deux rapières dans la merde de Pinaud, tel Vercingétorix ses armes aux pieds de César.

— Tenez, fait-il avec noblesse, servez-vous !

SUITE

Il a tout jugé, pesé, défini, Béru : une bande de blousons blancs pervers, privés de sens moral qui, pour les besognes de choc, s’acoquinent à des voyous pur fruit. De sales vermines, tous ! Des pourris naturels, nés gâtés (par leurs parents également). Il sait qu’au point où ils en sont et ayant percé leurs fonctions, à Pinaud et à lui, ils ne voient pas d’autres solutions que de les mettre en l’air. Vont s’en faire un plaisir. Pour eux, le meurtre est un sport de luxe : la catégorie au-dessus du golf et avant le polo ! Alors il va falloir jouer son va-tout ! Et ce con de César qui n’a plus aspect humain. Ce vieux Père la Colique, déjà à moitié scrafé ! Tu parles d’une croix, ce chieur ! Incapable qu’il est de faire autre chose que de déféquer, tu voudrais entreprendre quoi, avec sa pomme ? Sur l’instant, il le hait !

Minute confuse. Le Noir désigne les pistolets en flaques au Gros et dit :

— Ramasse-les et nettoie-les !

Il s’empare de la mitraillette de la fille. Entre les pattes d’un gusman comme lui, l’arme semble encore plus menaçante, plus, redoutable.

Il braque le Mahousse.

— Tout de suite ! Je compterai pas jusqu’à trois !

— O.K. ! O.K. ! s’empresse l’Indomptable, comme s’il était dompté.

Il se penche, paré pour l’action, ayant, dans un éclair (au chocolat), établi son plan.

— Vieux dégueulasse, fait-il à Pinuche en lui virgulant un coup de tatane dans le dossard.

La Pine, propulsé en position précaire, décrit un valdingue de deux mètres dans le living. Ce faisant, il libère la toile cirée de sa modeste présence. C’est ce que souhaite le Mammouth qui a remarqué que son noir antagoniste a les pieds sur l’autre extrémité de la toile. Alexandre-Benoît feint de vouloir ramasser les deux feux, en fait il saisit un bord du rectangle fécalisé et tire de toutes ses forces. Le Noir bascule en arrière. Béru rabat la toile cirée par-dessus sa personne et attrape le canon de la sulfateuse qui dépasse. Le reste de l’arme est bassement souillé, mais Bérurier ne s’arrête pas à ce genre de détail.

— Maintenant, vous m’avez assez suffisamment plumé, les mecs ! tonne-t-il de sa voix de centaure (comme il le dit lui-même). Alignez-vous face au mur du fond, et au moind’ mouvement j’vous vide ce putain d’chargeur dans les poumons. Les valdas, c’est bon pour les bronches !

Ils pigent et obtempèrent.

Béru regarde son compère.

— Hé ! Pinocchio ! lui dit-il, où qu’t’en es ? Tu meurs ou on continue d’faire équipe d’nuit ?

— Je crois que ça y est, lamente le doux Vieilloche, mais comme je me sens faible !

— Bon, cherche la salle de bains et r’fais-toi un cul, Vieille Morve ! Quant à toi, l’môme aux myrtilles, continue c’qu’j’t’avais d’mandé : appelle la flicard’rie !

L’Imberbe réentreprend le cadran du gnoufzingue. Au bout d’un moment, il renonce.

— Il n’y a pas de tonalité, annonce-t-il.

— Et y en avait t’t’à l’heure ?

— Je crois, oui !

Bérurier réfléchit :

— P’t’être qu’a des loustics qu’est v’nus en renfort et qu’ont cisaillé la ligne. Viens m’ remplacer un moment. Naturliche, t’sais pas t’servir d’un’ sulfateuse ? R’garde, mouflet : on tient la bécane d’cette manière. L’indesque su’ la détente. Gaffe des éclaboussages : j’ai r’l’vé l’écran d’ sûr’té, prends pas d’rixes inutil’ment superflus, mon drôlet. Un qui joue au con, t’appuye su’ l’clito d’ l’engin ; pense qu’c’sont ces salauds qu’a buté ta frangine ! Alors, pas d’quartier’ !

Il sort pour aller faire sa ronde de nuit. Mais les abords de la maison sont déserts et silencieux. Il a beau ouvrir grands ses vasistas, le Sandre, il ne décèle rien d’anormal, dans cette riante région du Tigre.

Comme il s’apprête à rentrer, un vacarme se produit dans la taule. Rafale de mitraillette. Ça crache épais : tout le chargeur y passe dans la foulée. Le fracas s’accompagne de cris, de bruits de verreries pulvérisées. Le Mammouth émet son barrissement de guerre et se rue aux nouvelles (en anglais : to the news).