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En débouchant dans le salon, il n’en revient pas. Séché, il est, déshydraté du cervelet en plein. Le blond, le Noir, la fille, les autres malfrats gisent sur le sol, criblés de balles, morts ou râlant ; saignants, en tout cas. Le fils del Panar se tient au milieu de la pièce, la mitraillette fumante entre les mains, hagard, les yeux fous, un rictus indicible tordant ses lèvres.

— Qu’est-ce y est arrivé ? bredouille Gargantua.

Pinaud qui est accroupi à l’écart, déféquant de plus rechef, explique :

— Ce qu’on voulait faire, Sandre, il l’a fait.

— De quoi tu causes ?

— Nous voulions leur arracher la vérité par la force. Le môme l’a fait sous la menace. Il était terrible. Il a demandé comment s’était passé l’assassinat de sa grande sœur. Le blond a craqué, il a dit qu’ils avaient engagé le tatoué pour la suriner. C’est lui qui avait dérobé le couteau à viande d’Alfred à la fin du repas. Pendant que Veronica allait draguer notre pote sur la plage, le tatoué a assassiné Mlle del Panar dans la salle de bains de sa chambre, puis il a traîné son cadavre dans la ruelle du lit. Quand la vamp est revenue, tout était fini. Elle a fait l’amour avec le coiffeur puis, comme nous l’avons déterminé ensuite, s’est enfuie par le conduit d’aération. Crime parfait !

Pour ce qui est du môme Salvador, ils l’ont embarqué et ont planqué de la drogue chez lui pour donner à croire qu’il s’agissait d’un règlement de compte entre trafiquants. Leur but, c’était de réclamer beaucoup plus de fric à la seconde femme du père del Panar. Ils comptaient la menacer de libérer le môme si elle ne crachait pas au bassinet.

Le Gros continue de contempler le carnage. C’est le massacre de la Saint-Valentin !

— Pourquoi t’est-ce il a défouraillé ? demande-t-il. Y l’ont menacé ?

— Non.

— Ben, alors ?

— C’est ses nerfs qu’ont craqué. Brusquement, il s’est mis à les arroser en criant : « Assassins ! Assassins ! Ma sœur ! Ma sœur ! »

Le Gros va arracher l’arme vide des mains de l’adolescent.

— J’ai été con d’ t’prend’ pour un homme, p’tit nœud ! Fais pas ces châsses de merlan frit, Ducon !

Il le gifle en deux exemplaires, puissant aller-retour qui imprime la marque palucharde du Gros sur les joues acnéeuses du gamin en faisant éclater quelques-uns de ses bubons.

— La police va se pointer, Branleur, écoute bien la version de m’sieur Pinaud ici présent. V’v’lez bien nous narrerer les faites, qu’v’s’avez assisté, m’sieur Pinaud, j’vous prille ?

— Certainement, s’empresse le cher Délabré. Lorsque vous avez quitté la pièce, la jeune femme s’est approchée de M. del Panar fils, ici présent, et lui a arraché l’arme sans difficulté. Elle a crié aux autres : « C’est de votre faute si nous sommes perdus ! Regardez où nous en sommes ! » Et, saisie d’une crise de démence, elle s’est mise à leur tirer dessus. Ce que voyant, avec un courage stupéfiant, M. del Panar fils a voulu la désarmer. Au risque de sa vie, il lui a arraché la mitraillette à son tour, mais, dans l’échauffourée, des balles sont parties…

— Mouais, apprécie l’officier de police Bérurier, j’voye très bien l’topo. V’s’avez n’entendu, Salvador, ce dont il s’est passé ? Vous v’ souviendierez bien d’ l’aversion d’ m’sieur Pinaud ? Récitez-me-la, qu’ j’m’rendisse compte !

Pinaud revient de la salle de bains, chancelant mais vide et nettoyé. Même, pour te dire : il sent bon, s’étant lotionné copieusement d’eau de toilette. Il dit :

— Qu’est devenue la personne avec laquelle tu t’es isolé pour forniquer, Sandre ?

Bérurier dresse l’oreille, la queue, les paupières et deux ou trois autres parties amovibles de son académie. Puis il fonce à la chambre où se perpétrèrent ses amours inconclues.

Le lit est vide. Il devient donc livide. Des traces de sang, consécutives à la blessure subie par Veronica, se lisent sur les draps blancs. Mais la personne de son cœur a disparu et une profonde meurtrissure laboure l’âme si noble de cet être délicat.

— E s’est cassée, balbutie-t-il. Dieu de Dieu ! elle a enfui en roulant sur la jante, la pauvrette, qu’on n’aura pas fini d’prendr’ not’ pied, moi z’et elle ! Se peut-ce ? Une gonzessse qu’ pour la première fois d’ma vie j’ai z’eu l’coup de foutre ! Mais ell’ va mourir si on n’la sogne pas, la chère chérie ! Ou bien les perdreaux d’ici risquent d’lui défourailler cont’. Faut qu’ j’vais la sauver, l’Amour ! Y la ramèn’rerai dans l’droit ch’min d’abord, en France ensute. J’l’épous’rerai, j’y f’rai des lardons. On r’tourn’ra à Saint-Locdu-leVieux, mon village natal. J’r’prendrerai la ferme à mes vieux et on f’ra l’cochon. Un él’vage modèle. Ça pue l’été, mais ça rapporte. J’prendrai la variété Babylas : les gros roses qu’a la queue noire. On s’ra primés dans les commissures agricoles ! Not’ entreprise, j’la baptiserai « Béru-porc-export ». La Véro, j’la saut’rai à longueur d’jornée : su’ la grand’ tab’ d’ la cuisine, dans la grange, à même l’plancher, dans le tas d’grain du gr’nier et elle aura du blé plein la chatte ! Qu’y faudra vach’ment qu’elle s’injectionne après, pas qu’y en reste, sinon y gerin’raient à l’intérieur, biscotte la chaleur ; y doive régner un’ température d’au moins cent d’grés dans son minou : y m’brûlrait l’Nestor !

Il a le temps de dire tout cela, Alexandre-Benoît Bérurier, en l’espace de peu de secondes. Soucieux mais déterminé, il rabat sur les lieux du carnage.

— Pinuche, fait-il gravement, faut qu’on se quitte un bout d’temps. J’ doive retrouver la gosseline, tu comprends ? C’est ta pomme qui va donc r’cevoir les draupers et leur espliquer l’topo. Veille qu’ ce p’tit glandu tienne l’choc : on doit ça à sa mère, moive du moins ! C’est pas d’sa faute s’il a eu un coup de nervouze après tout c’ qu’y v’nait d’subir. On s’r’trouvra chez lui où l’ami Alonzo doit nous attend’. Tu mettras Carmen au courant des périphéries d’ la noye, qu’elle nous ouvre l’pébroque en grand, n’au cas où ses collègues chican’raient su’ c’tas d’viande froide !

Il pose ses deux pattounes plantigradeuses sur les épaules fuyantes du jeune homme :

— Quant à toi, loupiot, du nerf ! T’en verreras d’aut’ ! Pense à Maradona et d’mande-toi c’qu’il aurait fait à ta place !

Après cette double exhortation, Bérurier tourne les talons et s’enfonce dans la nuit.

(ARCHI) SUITE

Il prend le vent.

Justement, une brise légère souffle du Rio de la Plata. Le Gros se dit que, pour quitter la maison, Veronica a dû soit passer par la fenêtre, soit emprunter une sortie de derrière. Alors il contourne l’habitation et trouve ce qu’il attend : des traces de sang sur l’appui de la croisée de la chambre où il contracta ce mal étrange qu’on appelle l’amour.

Partant de là, il suit des foulures de pas dans la pelouse. Elles se dirigent vers le fond de la propriété. A l’extrémité d’icelle : aucune barrière, mais un bras d’eau. Un instant, le Gros se met à redouter que la blessée se soit jetée dedans. Il se dissuade en pensant qu’elle aura été capable de nager puisqu’elle a pu enjamber une fenêtre.

Il furète dans l’herbe haute. Voici les traces de pas qui reprennent. Il les suit. Elles cessent à l’orée d’un petit pont en dos-d’âne réservé aux seuls piétons. Sa Majesté le franchit lentement, courbé en deux, à la recherche de nouvelles traces.