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Deux petites étoiles sombres dans la poussière ! La môme est passée par là !

Le côté animal de cet homme donne à plein quand il est en chasse. Tout le ramène à l’instinct sauvage : les sons, les odeurs, la pression atmosphérique.

Il se dit, en termes presque télégraphiques : « Quand elle a entendu défourailler au salon, elle est venue jeter un œil à la sauvette. L’a vu le p’tit gonzier dans ses z’œuvres. S’est dit qu’il allait aller la seringuer aussi. L’a mis les adjas par la f’nêt’ de sa piaule. La trouille donne l’énergie manquante. Au lieu d’enfuir par la route, s’est mis à calter par les arrières. D’deux choses lune : elle sait où qu’elle allait ou ell’ l’sait pas. »

L’animal béruréen stoppe, à genoux sur la berge d’un étroit canal. Il renifle, il pète, il attend l’inspiration. Et puis, surtout, il regarde. Qu’aperçoit-il ? Le paysage romantique du Tigre. La plaine sillonnée de canaux avec plein de maisons de vacances ou de véquendes rivalisant de grâce et d’ingéniosité. Les architectes « argentiers » sont très forts, bourrés d’idées originales.

Le Mastar perçoit une sirène de police, un brouhaha en provenance des lieux qu’il vient de larguer. Il croise les doigts pour conjurer le mauvais sort. Il souhaite que le petit massacreur boutonneux s’en tire. Il l’a pris en pitié, voire en sympathie. Et puis il se sent coupable d’avoir foutu cette mitraillette entre ses mains, dans l’état commotionnel où il se trouvait.

Bon, on verra plus tard. La Léa jacte à l’est, comme on dit en latin (il s’est torché un jour avec les pages roses du Larousse, les jugeant superflues). Il a bien fait de marquer une pause : pendant cette halte, son instinct a pris la direction des opérations. Il lui souffle la réponse à la question qu’il se posait à l’instant : Veronica est allée se planquer dans un endroit précis. Elle connaît parfaitement ce lieu résidentiel.

Bérurier se dresse, sonde la nuit de son regard. Il distingue, au loin, une lumière. Une seule. Tel les bergers de la crèche guidés par l’étoile, il s’y dirige, franchissant d’autres ponts, traversant d’autres pelouses, enjambant des haies basses, des massifs de fleurs. L’amour le pousse ! Il veut la retrouver coûte que coûte, la sauver, finir de la baiser, l’emmener élever des cochons à Saint-Locdu-le-Vieux.

Au bout d’un quart d’heure, le voici devant une construction de style californien. C’est moi, l’auteur, qui dit « californien » ; Béru, lui, il ignore ce dont il s’agit. La maison n’a pas d’étage. Tout de plain-pied, elle est en forme de « Z ». Au jambage du bas, il y a la fameuse lumière. Alexandre-Benoît s’en approche. Mais on a tiré le store intérieur, les lamelles se chevauchent parfaitement et il ne voit rien. Pourtant, quelque chose lui dit qu’il « brûle ».

Que faire ? Taper au carreau en appelant ? Dangereux. Si c’est quelqu’un d’étranger qui se trouve dans la taule, il appellera les bourdilles, et si c’est « elle », elle prendra peur et aura des réactions imprévisibles. Alors il va à la porte. Elle est fermée. San-Antonio serait de la partie, avec son fameux sésame, tu parles qu’il en rigolerait de cette serrure bouclarès, ce grand con pavaneur !

Messire prend une décision forte. Il furète dans le jambage supérieur du « Z » qui est le garage, y dégauchit des outils et se met à besogner une fenêtre éloignée de celle qui est éclairée. Il est pugnace, fort et madré. En moins de jouge il craque le montant, redoutant quelque système d’alarme ; mais non, tu vois, c’est franco. Il escalade. Il perçoit un bruit étrange venu d’ailleurs, croit un bref instant qu’il s’agit d’un de ses nombreux pets inadvertés, mais comprend, en fin de compte, qu’il s’agit de son fond de bénoche qui vient de rendre l’âme, un de plus ! Son talon d’Achille, le fond de futal.

Il se déplace à tâtons dans la place investie. Un couloir, un living trempant dans l’obscurité, un nouveau couloir desservant des chambres avec, tout au fond, une barre lumineuse soulignant une porte. Bérurier pose ses godasses et une étrange odeur envahit les lieux. Cela sent la bergerie au moment de la tonte, le champ d’épandage, le vieux plateau de fromages à bout de course…

Il va à la porte, se baisse pour amener l’un de ses lotos au trou de serrure. Il découvre une chambre de jeune fille aux murs peints en trompe-l’œil. Argument : Robinson Crusoé, l’île tropicale, Vendredi en « Y a bon Banania », un perroquet et ce con de Robinson vêtu de fourrures (sous les tropiques, je te dis que ça !). Un lit à colonnettes d’acajou. Sur la couche aux draps fanfreluchés : Veronica, appuyée contre une pile d’oreillers ensanglantés. Elle semble épuisée, à bout de résistance. Elle a la tête sur le côté. Un combiné téléphonique gît près d’elle. Elle a dû s’évanouir au cours d’une communication.

Béru va pour se précipiter, mais, pile, un ronflement de bagnole se fait entendre et une tire stoppe devant la maison, dans un crissement de freins et une giclée de graviers. Alors, Mister Babar se ravise, réprime son élan après avoir récupéré ses tartines et pénètre dans la chambre voisine, laquelle est obscure. Il attend.

Des pas pressés radinent dans le couloir. La porte de Veronica claque. Un organe d’homme lance, rudement :

— Veronica !

Des gifles pleuvent ! Alexandre-Benoît n’en croit pas ses manches à air. Se peut-il qu’on frappe cet être exténué, blessé, peut-être agonisant ? Il sort.

La porte étant restée ouverte, il distingue un gros homme, de dos ; c’est lui qui vient de bigorner la blessée, qui l’invective ! Dans sa colère, il jacte tellement vite que Béru n’a pas la possibilité de capter le moindre mot.

La môme a maintenant les yeux ouverts. Elle balbutie des phrases peu audibles, sur un ton d’excuse. Le vilain lève derechef la main sur elle et va cogner encore. Mais une main d’airain chope son poignet. Il n’a pas entendu survenir. Il en est pétrifié. N’a pas le temps de piger. Il dérouille un coup de boule taurin dans les naseaux. Quelques ratiches, vraies ou fausses (bilan à établir plus tard) dégoulinent de sa bouche. C’est à lui de tourner de l’œil. Alexandrovitch-Bénito est parti pour la gloire. Après le coup de tronche, c’est un crochet du droit à la mâchoire. Voyez pommes mousseline et laitages ! Ça craque. Le Mammouth n’en a pas encore terminé avec le molesteur de son égérie. Il y va d’une phénoménale remontée de genou dans les coquilles sans « q ». Le gonzier est forfait. Il s’écroule. Pour parachever son œuvre dévastatrice, Bidular lui fane le cervelet d’une talonnade.

Black-out complet pour le bonhomme : un type grisonnant, aux tifs drus et rêches, au visage d’aventurier tailladé de rides et cuit par le soleil.

— Ma biche ! roucoule l’Enflure en déposant son pantalon fendu sur le lit, près de la gisante, ma bichette jolie, mon atout cœur, ma levrette, j’t’aye retrouvée. C’est l’amour. J’t’vas sauver, ma pouliche sauvage. Tu souffres-t-il beaucoup ?

Elle dénègue.

— Mais t’es à bout d’forces, ma jolie génisse, ma gorette, ma colombe blanche !

Il baisote ses mains inertes sur le drap.

— Et ce sale-sagouin-de-salaud-de-merde-enculé-de-sa-sœur, reprend-il, c’est qui est-ce ?

Elle exhale dans un souffle :

— Mon père !

Il réagit moche :

— Tu as un père qui te bastonne quand t’es blessée, técolle ?

Elle opine.

— Caisse y y prend, ce fumier, d’comporter si indign’ment avec toi, mon trognon ?

Elle soupire :

— Je ne suis pas certaine qu’il soit véritablement mon père. Ma mère est morte peu après ma naissance et j’ai appris par la suite qu’elle avait eu un grand amour…