C’est very voluptas, comme exercice. Le trombonage à coulisse lubrifié. Bérurier se sent glisser dans une onde tiède. L’amour le capture. Il chuchote à l’oreille de Vero qu’il n’a vécu que pour cet instant de félicité, qu’il l’adore, l’emportera dans ses françaises campagnes et que les cochons qu’ils y élèveront seront primés. Elle répond par des râles. Elle veut tout ce qu’il veut, plus sa grosse chopine ! Ô bonheur inattendu, brusquement surgi au détour de la vie. Bonheur infini sans qui la baise ne serait que ce qu’elle est !
Glorieuse libération des sens ! Ils s’abîment dans les communes transes de la volupté paroxystique.
Après quoi, Vero s’évanouit et Bérurier s’endort ; ce qui revient au même, en somme.
Le ronflement de l’hélico réveille notre ami. Il se dresse sur un coude, réagit. Oui, c’est Carmen Abienjuy et le chirurgien !
Il se lève.
— Comment te sens-tu-t-il, ma fée bleue ?
Elle ne répond pas. Il se penche sur elle et avance la main pour la caresser. Destination la croupe, là où la femme ressemble le plus à un Stradivarius ! Mais sa dextre se pose sur du marbre. Il a un coup de boutoir dans la poitrine. Le T.G.V. qui lui rentre dans le lard ! Un mal atroce le point ; un cri rauque voudrait jaillir de sa gorge, mais l’encombre comme un mauvais glave.
Veronica est morte. Elle a défunté à son côté, sans bruit, discrètement, probablement heureuse de sa dernière troussée.
Alexandre-Benoît se fout à chialer. Des gros sanglots, comme à la mort de sa mère, quand on l’a descendue dans la fosse des Bérurier, la maman, tandis que des abeilles indifférentes bourdonnaient de joie au-dessus de ces gens en noir ! Il pleure sur la pauvre petite fille à la jeunesse perdue, il pleure sur ce jeune destin saccagé ! Il donnerait sa propre vie pour la ressusciter, la sale gamine perverse.
Il bredouille :
— J’t’aurais n’aimée, Moustique, jusqu’ z’à la fin du monde ! J’t’aurais concassé ma vie ! On s’rait t’été heureux, nous deux ! Tout c’dont j’possède, j’t’y aurais donné ; tout c’qu’j’sais faire, j’ t’y aurais apprise ! J’eusse écrit des pouèmes pour toi ! T’aurais pratiqu’ment vivu av’c ma queue dans les miches !
Dehors, le grondement est assourdissant. Béru torche son chagrin d’un revers de manche et sort en titubant. Le couloir. Ah ! oui : et le father de la môme qu’il a oublié. Merde ! Raide comme barre, lui aussi ! Des heures la tronche en bas, faut comprendre ! Le Mastar se hâte de trancher la corde et de la faire disparaître.
Puis il va à la rencontre des arrivants.
Voici Carmen et sa secrétaire, escortées d’un monsieur olivâtre, avec des baffies à la duc de Guise et qui porte une valoche.
— C’est trop tard ! bredouille le Gros. Trop tard…
Chez la mère Rosita del Panar, c’est la monstre effervescence. Les roycos ont parfaitement mordu au vanne inventé par Pinaud le chieur et accrédité par lui. Le jeune Salvador fait figure de héros, et tu sais qu’il a la tête enflée, tout à coup, ce connard ? Lui, de dessouder un paquet d’individus, l’a fait basculer dans l’âge adulte. On dirait déjà qu’il a moins de fraises des bois sur la bouille, ce matin. Il roule les mécaniques en répondant aux questions des journalistes et en se laissant flasher par eux. Maradona ? Tiens, smoke ! Il n’a plus qu’une idole à adorer : lui-même ! T’as vu comment il les a mis en l’air, ces guignolos ? Sans faiblir, avec précision, que dis-je ! mi-nu-tie ! Al Capote ! (anglaise). Dans Salvador il y a salve ! Oh ! comment qu’il a zingué ces truandinets, l’apôtre ! Pas de quartier ! Mise en l’air sur mesure !
Sa maman est folle de bonheur d’avoir récupéré son dadais ! Pour comble, tu sais quoi ? On vient d’apprendre qu’Hildegarde, la seconde Mme del Panar, vient de perdre l’enfant qu’elle portait, sous le coup des émotions fortes. Dès lors, c’est Salvador qui engourdira tout l’héritage, à la mort du paralytique (qui ne saurait tarder, après un pareil scandale et tant de sombres chagrins !).
Une qui est parfaite, c’est Carmen.
La classe ! Elle s’occupe de tout, décide, agit, étant pratiquement déjà nommée directeur de la police de Buenos Aires.
Tout baigne. Elle vient d’ordonner la relaxation d’Alfred. Cézigo est en route pour rejoindre ses amis. Heureuse conclusion (pour lui) d’une sombre machination, qui aurait pu ruiner son destin de frisotteur.
Et puis voilà-t-il pas la comtesse de la Fuenta qui se pointe. Comment s’y est-elle prise pour recoller au peloton ? Mystère et goule de bomme ! Quand le sexe s’empare d’une quinqua, elle devient indomptable.
Lulure qu’elle a pas eu sa ration de braque béruréen, la chère femme ! C’est bien joli, les enquêtes, mais elle entend recevoir sa part de chibre ! Noblesse, pas noblesse : le cul est un roturier solitaire ! Quand il a faim, faut qu’il bouffe !
Elle se pointe à l’hôtel où sont descendus nos aminches, juste qu’ils sont en train de prendre le thé dans l’appartement que Carmen partage avec sa secrétaire jolie. Béru et Pinaud les accompagnent au muscadet sur lie. Le sergent Alonzo Gogueno se contente d’une bière argentine. Et puis dit : voilà la pétulante Dolorès qui rallège avec un ensemble de cuir noir, très dompteuse, et ses nichemards en marée montante !
Tout le monde se gratule le con, comme dirait l’Infâme. Mais le Gros baigne dans la morosité. La chère comtesse lui en fait la remarque. Un pleur humecte son regard bovin. Il répond qu’il a le bourdon à la perspective de quitter tout ce gentil monde, mais il triche, tu penses bien ! Le souvenir de la petite Veronica le poursuit et ruine sa joie simpliste de bon vivant. Il la revoit dans ce lit, allongée à son côté. Lui, s’endormant, terrassé par l’amour ! Elle s’endormant aussi, terrassée par sa blessure trop longtemps négligée. Elle se mourait et il ne le savait pas, ce gros con ! Il roupillait contre un cadavre !
La Dolorès, ça fait pas son blot, les spleens du Gros. C’est pas son style, Werther ! Faut avoir la gueule romantique pour toucher l’auditoire dans ces cas-là. Béru, sa musique intérieure, c’est pas du Chopin mais de la zizique de cirque ! Son âme joue de la grosse caisse, pas de la petite flûte !
Elle lui chuchote dans la baffle gauche :
— Allons dans votre chambre, bel ami, je vous aiderai à vous refaire un moral !
Il paraît s’arracher d’un rêve, regarde le prose gainé (comme on dit toujours) de cuir de la riche propriétaire et se contraint à des pensées lubriques.
« Faut qu’j’vais réagir, décide-t-il. Une bonn’ bitée, c’est good for me, mieux qu’la Guiness ! »
Ses yeux passent sur les deux autres filles. Il se demande laquelle est la plus choucarde à tirer ? Après tout, il ne s’est pas encore fait la secrétaire aux châsses polissons. Elle doit y aller du radaduche, la Miss !
La comtesse lui caresse l’entre-deux doucettement, à gestes de propriétaire. Elle a l’antériorité pour elle. La bitoune, selon sa morale bourgeoise, c’est comme la terre : elle appartient au premier occupant. Carmen coagule du regard en constatant ce geste. Voilà de l’électrac qui s’accumoncelle dans la pièce. Ah ! non : pas de foyer d’infection ! On n’va pas recommencer la guerre du Golfe !