— Tu me jures quoi ?
Sans attendre sa réponse, je le foudroie d’un nouveau crochet au menton. J’ai l’impression d’avoir cogné sur un sac de noix. Ça craque, là-dedans, et ça fait un drôle de dégât. Le pauvre mec éternue trois dents, pas fameuses dans l’ensemble, il faut 1’avouer, et se répand sur son pucier.
Moi je suis salement empoisonné, parole ! Je sais que dès que je serai hors de cette carrée il ameutera la garde et ce sera un peu scié pour ma revue à grand spectacle ! D’autre part, si je le rends muet, mes affaires se compliqueront singulièrement.
Je ne balance pas longtemps : un vieux pote à moi, plein de jugeote, qui partageait ses cassements avec bibi lorsque je n’avais rien à morfiler, m’a enseigné qu’entre deux maux, il faut savoir choisir le moindre.
Je me mets à chanter « Sing a song, baby », avec la voix de Bing Crosby, ceci afin de donner le change aux gardiens, et j’empoigne à deux mains le cou de poulet du père Tubard. J’ai un joli coup de pouce auquel aucune vertèbre ne résiste. Jiky laisse échapper un drôle de petit soupir, comme il en exhalerait s’il s’envoyait en l’air avec Vivian Leigh. Puis il ne soupire plus du tout !
Pendant qu’il est encore chaud, je l’installe sur son pageot, dans la position du type nonchalant qui en écrase : un bras sous sa tête, un genou relevé… Il est mimi tout plein, ainsi : de vieilles dames patronnesses se foutraient des coups de parapluie pour se disputer le plaisir de le border. J’attends. Heureusement, les cuistauds ont apporté le rata pendant que j’étais à l’instruction. Je morfile ma pitance. Puis j’arrime à nouveau le pistolet à mon bras.
Quand la flicaille vient m’emballer pour la reconstitution, je suis prêt !
Un costaud à tête de mulot triste s’encadre dans la lourde.
— Ouste !
— On y va !
Je me lève en soupirant et je cloque une bourrade à Jiky. Il est tellement raide qu’il faudra le découper au chalumeau pour le faire entrer dans son pardessus de sapin.
— À t’te à l’heure, petit gars ! Tu feras le ménage à fond pendant mon absence, et si tu vas au cinéma, n’oublie pas de débrancher le ventilateur.
Puis je m’avance vers la porte.
— Ce qu’il en écrase, le frangin ! je fais. Une vraie momie, parole !
Lorsque la porte est repoussée, je respire un peu mieux !
Au greffe, on me rend mes fringues de ville. Je me détourne pudiquement pour me changer, vous pensez bien !
Nous suivons des couloirs et des couloirs ! Un vrai cauchemar ! Le jour de mon arrestation, j’étais trop occupé pour gaffer ce labyrinthe ! On grimpe des escadrins, on suit des passerelles de fer. Y a des pauvres mecs derrière des grilles, qui me crient des mots de fraternité. Certains me reconnaissent, et s’exclament !
Enfin nous débouchons dans un couloir plus large. Je n’ai pas encore les menottes. Ça m’a surpris qu’on ne me les passe pas à la sortie de ma cellote. Je ne tarde pas à piger : avant de me balader, on me fait le coup de la cellule photoélectrique. Avec mon feu au poignet, je vais déclencher tout le bataclan. On me fouillera et… La suite, j’ose pas l’imaginer. Il me reste dix secondes pour mettre un plan d’action au point. C’est pas lerche, mais on a vu pire. J’adresse un S.O.S., à mon ange gardien. Si jamais il n’est pas de service, je suis ratatiné ! Tout à coup, j’ai un frémissement. À terre, il y a un tout petit objet. C’est une agrafe de porte-mine. Une agrafe cassée. Je me démerde pour faire un faux pas et je tombe en avant. Les flics ont du réflexe. Je n’ai pas plus tôt touché le sol qu’ils sont sur moi.
— Merci, leur dis-je gentiment. J’ai déjà perdu l’habitude de marcher, dans votre sacrée boîte.
D’une bourrade, ils me remettent en marche.
Je fais celui qui rajuste ses fringues et je glisse l’agrafe cassée dans la poche supérieure de ma veste. Arrivés devant le rayon, ils font un pas en arrière et me laissent passer seul. Comme il faut s’y attendre, une bacchanale maison se met en branle !
Les matuches se ruent sur moi.
— Vous avez un objet métallique en votre possession, l’Ange ?
— Non, fais-je, sauf que j’ai bouffé des épinards à déjeuner. Comme il y a du fer dedans…
Ils n’ont pas l’air de goûter la plaisanterie.
— Tenez, dis-je en levant les bras, fouillez-moi.
— Pas besoin de nous le dire, affirme la tronche de mulot triste.
Ils me palpent rapidement. Puis ils se mettent à fouiller mes vagues. Dans la poche du haut ils trouvent l’agrafe cassée.
— O.K., les gars, dit le mulot. C’était ce bout de ferraille…
Ils me tâtent encore, par acquit de conscience, puis décident brusquement :
— Allez, en route !
L’un d’eux me met les bracelets. Comme j’ai mes fringues civiles, le pétard ne se voit pas.
Les lourdes s’ouvrent. Nous v’là dans la lumière.
Y a une chose que je peux vous dire : c’est que c’est rudement bath à renifler, l’air du dehors ! Oh, merde arabe ! Mettez-m’en une caisse avec robinet, et planquez le reste au frigo !
On me pousse dans une bagnole de police, où prennent place une demi-douzaine de durs à cuire qui donneraient des cauchemars à un régiment de panzers.
Je suis enterré vivant dans ce tas de viande, incapable de remuer le petit doigt.
Une autre bagnole de flicards nous précède avec sa sirène. Je vous prie de croire que nous faisons sensation. La populace doit croire qu’on fait le siège chez le gouverneur. À l’allure où nous filons, je ne vois guère ce qu’on pourrait tenter pour me libérer.
Pourtant je suis prêt à toute éventualité ; dans notre job c’est le secret de la réussite. J’ai toujours observé que ce sont les mecs en panne de réflexes qui restent sur le carreau.
La rue de Little Joly est noire de populo. Tous ces bons badauds, alertés par la presse, sont venus là dans l’espoir de voir comment qu’il est foutu, l’Ange Noir. De la Presse, il y en a itou. Et des caïds du papier noirci, je vous assure ! Je reconnais Billy Valdek, du Star Chicago News, en personne.
Au moment où je descends c’est un feu d’artifice. Le magnésium crépite. Des tordus gueulent à la mort ! Y en a qui se permettent de me balanstiquer leur gume dans les calots ! Ces foies blancs, s’ils m’avaient en face d’eux, tout seulard, ils se liquéfieraient. Mais comme je suis dans la situation du bœuf qu’on entraîne à l’abattoir, ils se prennent pour des terribles ! J’entre dans le magasin du père la Pédale. Valzing et Centanaro s’y trouvent déjà, avec d’autres poulets et le greffier. Mon avocat s’approche de moi.
— Dans l’entrepôt, me souffle-t-il.
Il a parlé tellement vite et tellement bas que je crois avoir rêvé ses paroles. Pourtant, je ne suis pas un émule de Jeanne d’Arc.
Le père Valzing ramène sa cerise.
— Voyons, fait-il, commençons par le commencement. Vous êtes entré ici par cette porte ?
— Exact !
— Où se trouvait Joly ?
J’hésite un bref instant. Mon regard croise celui de Centanaro. Je réponds :
— Dans l’entrepôt.
Cette fois, je suis certain que cette vieille canaille de Centa a battu des cils comme pour me dire : « Bonne réponse ».
— Qu’avez-vous fait ? continue le juge.
— Je… Je l’ai appelé.
— Et il est venu ?
— Il m’a dit : « Un instant, j’arrive ! »
— Vous l’avez attendu ?
— Non.
— Alors ?
— Je l’ai rejoint dans l’entrepôt.