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Je n’écoute pas la réponse de l’interpellée. Quatre à quatre je m’envoie un nouvel étage et je débouche en plein palais des mille et une nuits. Il y a des tentures françaises plein les murs, des trucs en marbre, des machins en soie, des choses en j’sais-pas-quoi ! Plus des tapis épais comme des tranches de pudding. C’est du billard que de se déplacer là-dessus sans faire de bruit ! Je parcours l’étage. Le mieux que j’aie à faire, c’est d’essayer de me planquer dans une turne quelconque jusqu’à la nuit. Ensuite, j’aviserai.

Je pointe mon museau dans le hall somptueux. Des lourdes s’ouvrent, à droite et à gauche. Je n’ai que l’embarras du choix.

Un nouveau bruit de voix m’évite d’avoir à choisir. Décidément, cette crèche est plus peuplée que le Sénat !

J’empoigne le premier loquet venu et j’entre dans une pièce. Tout en refermant la porte je grommelle mes jurons les plus choisis : il y a quelqu’un dans la chambre où je viens de pénétrer. C’est une môme, et, pour ne rien vous cacher, c’est la plus belle fille qu’une femme ait jamais mis au monde. Elle est blond vénitien, — comme disent les merlans —, elle a des yeux sombres, marron foncé ou noirs, un visage mince et harmonieux, une bouche charnue et, sous tout ça, un châssis absolument sensationnel. Elle est en train d’enfiler ses bas au moment où je fais mon apparition. Malgré la gravité de l’instant, je ne puis résister au plaisir de jeter un coup d’œil du côté de ses jarretelles. Ce que j’aperçois me rend nerveux.

Nos yeux se croisent ; elle paraît plus stupéfaite qu’effrayée.

Il y a un instant de silence inévitable. Je prends enfin l’initiative de la conversation.

— Bonjour, belle princesse.

C’est pas méchant et ça permet de tâter le terrain, non ?

Elle ne me répond pas. Mais son visage s’est un tantinet modifié. Je ne sais pas si je me goure, mais je crois lire, dans ses grands châsses, comme de l’amusement.

— Je m’excuse pour ma tenue, dis-je. Je ne pensais pas débarquer chez vous…

Elle finit d’ajuster son bas et je constate que ses doigts ne tremblent pas.

Puis elle rabat sa jupe et me dit paisiblement :

— Vous ressemblez à Walter Pidgeon, vous êtes un parent ?

— Oui, je lui fais. Je suis sa cousine germaine.

Elle hausse les épaules.

— Ah ! parce que vous êtes spirituel ?

— Avec les jolies poules, ça m’arrive quelques fois.

Comme elle se lève, je tire mon feu. Il est vide, mais elle n’est pas censée le savoir.

— Il vaut mieux que vous restiez peinarde, chérie. Ça me ferait de la peine de vous faire prendre du poids en vous truffant de plomb.

Sa figure mince devient grave. D’un geste harmonieux, elle relève ses beaux cheveux cuivrés.

— Qui êtes-vous ?

— Pas grand-chose de bon, petite !

Ses yeux se posent sur le cabriolet.

— Évadé ?

— Oui. Exactement comme dans les bouquins que vous gobez pour meubler vos nuits blanches.

Je la regarde et j’ajoute :

— C’est vrai que fabriquée comme vous l’êtes, vous devez avoir autre chose qu’un livre dans votre lit.

— Comment êtes-vous entré ?

— Des portes, des couloirs, des escaliers… J’ai des habitudes très routinières, vous savez.

— Et personne ne vous a vu ?

— Si quelqu’un m’avait vu, dans l’état où je suis, on en parlerait déjà jusqu’aux îles Sous-le-Vent, non ?

Elle hoche la tête.

— Que désirez-vous ?

— Je sais réfréner mes ambitions : me sécher et me planquer jusqu’à la nuit, forme un idéal très potable et puis, c’est simple, non ?

— Et si j’appelle ?

— Vous êtes lasse de la vie, bath comme je vous vois ?

— Enfin, murmure-t-elle, il va falloir que j’aille rejoindre les autres, ils vont s’inquiéter.

— Vous gardez la chambre, vous avez la migraine…

— Ils ne le croiront pas : je n’ai jamais la migraine.

— Alors, si vous ne l’avez jamais, ils vous croiront !

Elle a un geste agacé.

— Vous n’avez pas la prétention de condamner ma porte ?

— Pas du tout. Je serai planqué là, simplement (je désigne une lourde tenture) avec mon feu braqué. Si vous l’ouvrez, la première dragée sera pour vous.

Tout en parlant, je donne un tour de clé à la porte, puis je mets en marche le minuscule poste de radio afin de couvrir notre chuchotement.

À ce moment, des voix retentissent sur la terrasse. Elles crient : « Maud ! Maud ! »

— On m’appelle, dit la fille.

— Vous vous appelez Maud ?

— Oui, vous n’avez rien contre ça !

— Au contraire, je suis à fond pour. C’est très joli…

Les cris continuent.

— Bon, allez à la fenêtre, et débitez votre petite salade. Je suis à côté de vous. Je surveille votre visage, inutile, par conséquent, d’essayer de me doubler. Il paraît qu’une balle dans le ventre fait très mal. J’espère que vous avez suffisamment d’imagination pour le comprendre.

Je fais un signe impérieux avec le revolver.

— Répondez-leur !

Elle va s’accouder à la fenêtre. D’en bas, monte une voix masculine :

— Descendez, Maud ! Nous allons dans l’Avenue, il paraît qu’il vient de s’y passer des trucs sensationnels, l’Ange Noir s’est évadé !

— Impossible, dit Maud, je me sens terriblement fatiguée et je désire garder la chambre ; j’ai des vapeurs… Un peu de repos me fera du bien, allez-y sans moi.

Les mecs d’en bas s’exclament. Suit toute une kyrielle de questions que l’on pose en pareil cas ; questions auxquelles Maud fait les réponses nécessaires. Enfin, elle referme la fenêtre et se retourne.

— Dix sur dix, je lui fais. C’était parfait.

Elle me contemple sans essayer de dissimuler son prodigieux intérêt.

— Ainsi, c’est vous l’Ange Noir !

— Oui.

Elle sourit.

— C’est inouï ! Dicky avait parié que vous vous évaderiez.

— Je ne connais pas Dicky, mais ça m’a l’air d’un gars bourré de bon sens.

J’aime le sourire de cette poulette. J’aime pas mal de choses en elle. Et mon petit doigt qui, décidément, est affranchi sur tout, me susurre que je lui fais de l’effet. Un mec de ma trempe fait toujours de l’effet aux gonzesses désœuvrées. Les filles ont une continuelle fringale d’aventure, je ne sais pas si vous avez remarqué ? Le cinéma ne leur suffit pas, ce qu’il leur faut c’est du vécu : une tranche de vie grosse comme ça… Du reste, vous n’avez qu’à les bigler lorsqu’elles voyagent seules ! Elles sont toutes frémissantes, ces biches, les lèvres prêtes à recevoir quelqu’un et, dans le regard, ce petit scintillement qui veut dire : « Et-à-quelle-heure-qu’on-se-retrouve ? »

— Bon, je dis, j’ai le pressentiment que tout se passera bien. Au fond, Maud, nous sommes faits pour nous entendre, du moins un certain temps. Moi, j’ai besoin d’un coup de main, et vous, vous vous faites tellement tartir dans ce palais de la Belle au bois dormant que le premier gugusse de banlieue vous amuserait, non ?

Elle émet un petit ricanement, somme toute assez cordial.

— Mon rêve le plus cher, je lui dis, c’est de prendre un bain très chaud, car je sens que je vais claquer des dents malgré la douceur de ce printemps. Venez avec moi dans la salle de bains.