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Elle me suit.

Cette salle de bains me fait pousser un petit coup de sifflet admiratif. J’ai jamais rien reluqué d’aussi soi-soi. Il y a bien plus de marbre qu’au cimetière d’Hollywood, et du nickelage à en avoir mal aux châsses.

Je ferme la porte au verrou et je désigne un tabouret à Maud.

— Asseyez-vous, mon chou. Si ça vous dérange de voir un athlète en costume d’Adam, collez-vous de l’albuplast sur les mirettes ou bien tournez-vous de l’autre côté.

Je dépose le pistolet sur une tablette de marbre blanc, au-dessus de la baignoire, et je fais couler un bain. Pendant que les robinets font leur office, je déniche une lime à ongles de taille impressionnante, et je dis deux mots à la serrure de ma menotte. C’est un boulot que j’ai appris avant de savoir marcher. En deux minutes, je me suis débarrassé de mon bracelet. Je masse mon poignet endolori. Puis, comme le niveau de l’eau est suffisant, j’arrête les robinets et je me dénippe. Maud n’a pas bronché. Elle me dévore des yeux, cette fillette.

Ce bain est le plus beau jour de ma vie.

— Si le cœur vous en dit ? je lui fais.

Je lance ça comme une boutade, mais à ma profonde stupeur, la fille se lève et dégrafe sa robe. J’assiste alors à un numéro de strip-tease comme vous n’en verrez jamais. Elle a un de ces chics pour se dépoiler, Maud, qui fouterait de la virilité à un portrait de famille. Et quel mépris des fringues ! Elle les laisse choir à ses pieds. Elle me regarde intensément. Ses joues sont empourprées et je vois sa glotte qui joue au yo-yo. Lorsqu’il ne lui reste plus sur le corps qu’un slip confidentiel, elle marque un temps d’arrêt.

— Allons ! je lui fais, d’une voix rauque, un bon mouvement.

Elle fait glisser le slip et enjambe le rebord de la baignoire.

— Alors, qu’est-ce que vous voulez ? On joue au triton et à la sirène. C’est un machin amusant pour lequel j’ai des dispositions. Et j’y joue avec d’autant plus d’ardeur que ça fait plusieurs jours que ça ne m’est pas arrivé.

* * *

Un instant plus tard nous sommes dans la chambre, vêtus seulement de peignoirs multicolores. Mes fringues sèchent dans la salle de bains. Je me sens calme comme un bœuf et plus lucide qu’un mathématicien.

Maud est étendue sur le lit, dans une position d’abandon total. Je la renouche en songeant que mon ange gardien a été de première en me poussant à ouvrir la lourde de cette chambre, de préférence à d’autres. J’aurais pu tomber sur la carrée d’un colonel en retraite ou d’une dame patronnesse, et alors je n’ose pas imaginer ce qui se serait passé.

Je m’agenouille aux côtés de ma conquête.

— Tu es un chic petit lot, Maud.

En guise de réponse, elle allonge le bras et me cueille par la nuque. Nous nous embrassons vachement.

— Tu es fort, balbutie-t-elle, après qu’elle a retrouvé son souffle.

Moi, je suis pas contre les roucoulades, mais je professe qu’il y a un temps pour tout. Or, je sais pas si vous vous en rappelez encore, mais je suis l’homme traqué, l’ennemi public numéro 1, et autour de cette maison doit s’affairer tout ce que Chicago et ses environs ont produit de flics depuis vingt ans. Il n’y a plus pour moi la moindre possibilité de mettre le pif dehors sans risquer de provoquer un attroupement.

— À quoi penses-tu ? me demande Maud.

Les souris sont d’une inconscience !

— Je combine pour essayer de savoir comment je vais me sortir du pétrin.

Je la regarde.

— Tu me donnerais pas un coup de main, des fois ?

— Oh si ! s’exclame-t-elle avec ferveur.

Ses yeux brillent. Elle se dit qu’elle va enfin pouvoir se manifester dans le merveilleux. Je vous le répète : elles sont toutes comme ça. Seulement, au premier coup d’arquebuse elles changent d’avis, et se mettent à chialer en appelant papa-maman.

— Qui tu es, dans cette maison ?

— Mais, Maud Kerrer ! fait-elle, surprise.

Je réprime un bond de vingt mètres.

— Kerrer ! le financier ?

— Oui.

Elle est bath, celle-là ! Je me marre comme un bossu. Kerrer, c’est la plus grosse galette de Chi. Ce tordu-là vaut dans les cent millions de dollars ! Et c’est avec sa propre fille que je fais joujou. Y a vraiment de quoi manger du savon à barbe !

— Dis donc, fais-je brusquement, on pourrait pas avoir une paire d’œufs frits sur une tranche de bacon ? Je commence à la piler. Et si, par-dessus le tout, on m’amenait un flacon de rye, je serais le plus heureux des hommes.

Je n’ai pas fini de manifester ce désir que quelqu’un frappe à la porte.

— Qui est-ce ? demande Maud.

— July !

— C’est la femme de chambre, souffle-t-elle.

— Va lui ouvrir ! Continue à dire que tu es fatiguée et que tu veux rester peinarde.

Je me dirige vers la tenture.

— Pas de blagues, hé ? ajouté-je en montrant le pistolet.

— Oh ! darling ! voyons…

Elle ouvre la porte. July entre. C’est la souris à la voix acide qui engueulait la mère-mongolfière.

— Vous n’allez pas bien, miss ? demande-t-elle.

— Non, murmure Maud. J’ai dû prendre froid dans mon bain. Je préfère garder la chambre.

— Dois-je prévenir le docteur ?

Maud se fout en rogne ! Elle dit qu’elle veut la paix, le calme et à bouffer… Elle assure que le meilleur remède contre la grippe c’est la bectance, et elle passe commande d’un menu qui ferait pleurer d’attendrissement un moine bénédictin.

Un quart d’heure plus tard, la même peau de vache de July apporte un plateau supportant un poulet laqué avec de la sauce anglaise, du café, des toasts beurrés, des fruits et un gâteau de riz un peu moins gros que la statue de la Liberté. Sans oublier, bien entendu, le whisky.

— Il s’en passe, des choses ! s’écrie July. Figurez-vous que cet homme, ce gangster qu’on appelle l’Ange Noir, s’est évadé à deux pas d’ici. C’est une femme qui l’a aidé pendant la reconstitution du crime. Ils ont tué je ne sais combien de personnes et se sont sauvés en voiture. La police qui les poursuivait a abattu la femme. Mais lui s’est enfui par une canalisation ; les policiers sont en train de sonder la conduite. Et tout ça a eu lieu à côté de nous, miss ! Ce monstre est peut-être encore dans les parages à l’heure qu’il est !

De derrière ma tenture, je frémis à l’idée que la description de mes méfaits peut affoler la môme Kerrer, mais au son de sa voix, je constate qu’elle conserve tout son calme.

— July, fait-elle, vous m’agacez avec vos histoires de gangster.

July se retire, très pincée. Maud va donner un tour de clé.

— Vous avez entendu ce qu’a dit cette femme ? je lui demande. Eh bien, elle est au-dessous de la vérité. Ça ne vous donne pas à réfléchir ?

En guise de réponse, elle me demande :

— Pourquoi ne me tutoyez-vous plus ?

Nous faisons une dînette épatante.

Soudain, elle me pose la question qui depuis un instant lui fait tortiller du prose :

— Dear, qui était cette fille que les policiers ont abattue ?

— Déjà jalouse ! C’était une brave môme qui savait prendre des risques pour son homme, je lui déclare, rageur.

Elle me regarde.

— Vous êtes très séduisant, l’Ange.

— Assez, merci.