— Les femmes font n’importe quoi pour vous, n’est-ce pas ?
— Peut-être parce que je ne leur demande rien ?
— Vous avez confiance en moi ?
— Je n’ai confiance en personne.
— Malgré…
— Malgré quoi ?
— Ce qui s’est passé tout à l’heure, dans la salle de bains ?
— Vous avez agi pour vous, et non pour moi ! Ne mêlez pas les brèmes, chérie. Tant que vous pourrez y trouver votre compte, vous m’aiderez. Je représente un caprice pour vous. Si je cesse de vous intéresser ou si le jeu devient trop dangereux, vous remuerez toute la ville pour me faire emballer.
— Ne dites pas ça !
Elle a presque crié. Quelqu’un frappe à sa porte. La voix d’homme qui appelait d’en bas tout à l’heure dit :
— C’est moi, Maud !
J’interroge la fille du regard.
— C’est Dicky, chuchote-t-elle, mon fiancé.
Elle hésite une seconde, puis dit à cet endoffé qu’elle se sent patraque et qu’elle désire qu’on la laisse se reposer.
— Avec qui êtes-vous ? demande Dicky.
— Mais je suis seule ! s’exclame Maud.
Il y a à peu près autant de sincérité dans sa voix que dans celle d’un marchand de voitures d’occasion.
— Ouvrez-moi ! dit sèchement le type.
Maud me semble paralysée par l’effroi.
Alors j’ajuste le rigolo dans ma pogne et je vais ouvrir la porte.
Chapitre VI
Le Dicky est un zigoto qui ressemble à une gravure de mode. Il est plutôt grand, avec un visage hâlé, des cheveux blonds, des yeux veloutés et des dents que je crois avoir aperçues sur la réclame d’une pâte dentifrice.
Son tailleur lui a mis ce qu’il fallait comme rembourrage pour lui donner l’allure d’un athlète de foire, mais je suis persuadé qu’une fois à poil il ne doit pas être plus musclé qu’un pain au lait.
En m’apercevant, il ouvre des falots grands comme les trous d’un billard russe et une bouche qui découvre son intérieur jusqu’au slip y compris.
— Qui… qui… Qui êtes-vous ?
Je regarde par-dessus son épaule, le couloir est vide.
— Entrez, vieux, je lui fais, je vais vous donner l’adresse d’une école de rééducation du langage, pour votre bégaiement.
Je lui montre le revolver et, d’un signe de tête, lui ordonne d’entrer. Il obéit. C’est inimaginable, le nombre d’actes qu’on peut obtenir de ses semblables avec un feu non chargé. Au fond, ce qui compte, c’est la gueule du mec qui l’a dans les pattes. La mienne doit être expressive, probable car je leur ferais décrocher l’étoile polaire avec ce morceau de ferraille.
Il met un moment à retrouver ses esprits. Il regarde Maud à poil sous le peignoir, puis moi, à poil sous le mien.
— Ça vous la coupe, hein ? je lui demande. Nous nous sommes un peu mis à notre aise, ta future et moi, à cause de la chaleur.
Il fronce le sourcil.
— Pour l’amour, elle est comme ça, cette gamine ! Tu ne vas pas t’embêter, je te jure !
La dose est trop forte. Il serre les poings et s’avance sur moi. Je le calme d’un swing à la mâchoire qui le renvoie à l’autre bout de la pièce. Quand il se relève, il est gris comme la page d’annonces du Star-Express.
Il crache nostalgiquement un morceau de dent et glaviote dans son mouchoir, pour vérifier si ça saigne. Effectivement, ça saigne ! Alors il pousse une plainte lamentable.
— Sans blague ! je fais à Maud, c’est ce pauvre minable que tu vas épouser ! Il est tout juste bon à passer les fringues d’hiver à l’antimite !
Je gouaille, pour gagner du temps.
Vous conviendrez que le baromètre a tendance à se remettre à l’orage depuis un instant. Qu’est-ce que ce pauvre tocasson de Dicky avait besoin de ramener sa physionomie ! Il ferait de l’effet comme cloche chez un pâtissier, pendant les fêtes de Pâques. Maintenant, fini le bon temps, les gueuletons et les bains spéciaux, va falloir agir. Et agir vite ! Et agir prudemment !
Maud n’est pas encore sortie de son désarroi. Elle a juste la bouille de la petite fille qui trouverait un ménage de crocodiles dans son dodo en se réveillant.
— Habille-toi ! lui dis-je…
Je saisis le fiancé par le revers de son veston.
— Quitte tes fringues, Toto.
— Quoi ! s’exclame-t-il, malgré la frayeur que je lui cause manifestement.
Je lui cloque un paquet d’os sur la pommette gauche, pour lui faire comprendre que le silence est de rigueur. Alors, sans plus hésiter, il ôte son costard. Et son costard est une petite merveille du genre, croyez-moi. Il est aubergine avec un filet bleu. La chemise est mauve et la cravate, noire, avec un petit paysage en médaillon — comme le veut la mode —, qui doit représenter un concours de pêche aux îles Hawaï. La chemise me gêne un peu aux entournures, mais le complet me va pas mal, car il était à l’avantage pour Dicky.
Dès que je l’ai revêtu, je me tourne vers Maud.
— Tu te manies, oui ?
— Où… où allons-nous ?
— En voyage.
— Et Dicky ?
Je me frotte le nez, ce qui dénote toujours chez moi la plus grande perplexité.
— Dicky, je fais, il va venir avec moi dans la salle de bains. Nous avons à discuter tous les deux.
Maud s’interpose.
— Ne lui faites pas de mal, ou bien j’appelle !
— Suffit ! Je suis assez grand pour sortir sans ma bonne, non ?
Je jette un regard au mec, effondré, à demi-nu, sur le tapis, et il me vient une idée.
— Écoute, Toto, tu as tout du boxeur, dans cette tenue. Alors je vais te laisser ta chance. On va se battre à la loyale pour les beaux yeux de mademoiselle, vu ? Celui qui dérouillera l’autre la gardera pour lui.
Mon discours est destiné à Maud. Dans l’état de débilité mentale où est Dicky, il me la cloquerait de grand cœur, sa douce fiancée, simplement contre la permission de filer. Mais les gerces, vous les connaissez, je pense ? Dès qu’il est question de se châtaigner pour elles, elles ont le palpitant en cale sèche.
C’est avec des yeux brillants d’excitation qu’elle nous contemple maintenant.
— Allez, Dicky, debout !
Il se lève sans enthousiasme.
— Qui êtes-vous ? demande-t-il.
Je ricane :
— Monsieur ne se dérouille qu’avec les gens de son monde ?
— C’est l’Ange Noir ! dit calmement Maud. Il a abusé de moi, Dicky, cogne-lui dessus !
Cette exhortation, je m’en doute, a pour but de stimuler l’adversaire. Elle veut un vrai combat, la donzelle.
Dicky se met en garde, vert de frousse, il se protège le visage d’une façon si serrée qu’un moustique n’arriverait pas à le piquer.
Sans poser sa veste je m’avance sur lui, la garde très basse. Il se laisse prendre à ma première feinte. Je le sonne d’un crochet du gauche assez sec. Puis je lui mets un solide paxon au foie. Si le mur n’était pas derrière lui, il s’écroulerait. Le pauvre locdu ne songe plus à se couvrir, il a les bras pendants et il bave comme un escargot en train de visiter une mine de sel. Comme je n’ai pas de temps à perdre, je lui mets toute la sauce dans un direct qui foudroierait un rhinocéros. Il émet un petit bruit rigolo, genre soupape de sûreté en fonction, et tombe évanoui.
Je le charge sur mon dos et l’emporte à la salle de bains.
— Un peu de flotte ne lui fera pas de mal, dis-je à Maud.
Elle me fait oui de la tête. Cette exhibition a achevé de lui ravager le palpitant. Le Dicky pourrait vaincre Joe Louis, maintenant, qu’elle ne lui accorderait pas plus d’attention qu’à un peigne hors d’usage.