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Je dépose Dicky dans la baignoire, la nuque portant sur le rebord de marbre, puis je pèse de tout mon poids sur la bouille du dandy. Les vertèbres craquent comme des coquilles de noix.

Cette précaution est peut-être superflue. En tout cas, je pars du principe que les morts ne l’ouvrent plus. Si ma petite combine réussit, il est préférable que le gars ne puisse plus parler pendant un bout de temps.

Je reviens à la fillette.

— Voilà, dis-je, il reprendra bientôt ses esprits, en attendant ne moisissons pas ici.

Je m’arrête, la main sur la poignée de porte.

— Je suppose que tu as une voiture personnelle ?

— Oui.

— Gi ! on va aller au garage. Tu prendras le volant. On peut rejoindre le garage sans passer tous les larbins en revue ?

— Viens, fait-elle, pleine de décision.

Elle sort la première. Il n’y a personne dans le couloir. Je prends la clé, donne un tour et la mets dans ma poche.

Si la July se pointait, elle penserait que Maud en écrase. Ce dont j’ai le plus besoin, c’est de gagner du temps. M’est avis que ça va faire un drôle de bouzin lorsqu’on découvrira le cadavre de Dicky et qu’on s’apercevra que la riche héritière s’est fait la paire avec le roi des gangsters…

Tout de suite à droite, il y a une petite porte. Maud s’engage par là. On trouve un escalier de fer qui descend directo dans le garage. Ma compagne ouvre la portière d’une bagnole italienne, au capot long comme un tremplin de plongeoir.

— Monte.

Je grimpe dans le bolide et m’assied à même le plancher. Elle se glisse derrière le volant.

— Où allons-nous ?

— N’importe où, je lui dis.

Elle n’insiste pas et met le moulin en marche. J’entends crisser les graviers de la terrasse sous les roues.

— La police ! s’exclame brusquement Maud.

— Ne t’en occupe pas. Si on t’arrête, dis qui tu es et barre !

Mais personne ne l’arrête. Le moteur tourne rond. Au bout d’un moment, elle me dit que la voie est libre.

Je me relève et m’assieds à ses côtés.

— Tu as du fric ? je questionne.

— Non…

— Et un revolver ?

— Non plus.

Je fais la grimace. J’ai oublié mon feu dans la chambre. Ça la fout mal ! Dans la vie, on ne peut espérer se faire une situation stable si, au départ, on n’a ni pèze ni artillerie.

Elle me regarde avec ses grands yeux éplorés. Alors moi, après lui avoir collé une petite claque sur les cuisses :

— T’inquiète pas, Cocotte, on se débrouillera tout de même…

* * *

Il fait complètement nuit. Je me sens revivre. La nuit, c’est mon élément ; je m’épanouis dans le noir comme une plante tropicale au soleil.

Cela fait près d’une heure qu’on se vadrouille dans Chicago. Cette heure-là, bien que nous n’ayons rien fait d’autre que de suivre des rues et des rues, n’a pas été du temps perdu. J’ai mis au point un sérieux plan d’action. Car dans cette bon Dieu de vie, voyez-vous, la réussite ne sourit qu’aux bonshommes organisés.

Le premier point de ce programme consistait à attendre la nuit. Maintenant je l’ai, alors plus une minute à perdre.

J’ai fait une rapide allusion, plus haut, à un vieux casseur plein de jugeote qui m’avait donné la bectance à une période où je ne me défendais pas encore bien. Ce mec-là s’appelait Sam Patelli, et on l’avait surnommé le Crabe, parce qu’il était courtaud et poilu comme un crabe. Il s’est fait descendre tout culment une nuit qu’il disait deux mots à la serrure d’un coffre ; mais il a un rejeton. Bob. Cet héritier, c’est un pauvre gars qui s’est cassé les deux flûtes en étant pilon et qui, depuis, balance sa conne de vie entre deux béquilles. Il a autant d’énergie qu’une cuillerée de sirop, et il vend des journaux pour pouvoir croûter. De temps en temps, il vient me dire un petit bonjour, car j’ai pris l’habitude de lui refiler cent dollars en lui serrant la pogne. C’est le seul gnace, dans ce con de bled, sur qui je peux moralement compter. Il sait combien j’étais pote avec son dab et il me témoigne, à cause de ça, une espèce de respectueuse amitié.

Bob Patelli pioge un peu en dehors de la ville, dans une petite bicoque grande comme une cabine téléphonique. Y a un bout de jardin devant et derrière, avec des arbres gros comme des rayons de vélo, mais dont il est plus fier que s’il s’agissait de baobabs. Tout à l’heure, après mon évasion, je n’ai pas pensé à lui, mais à la réflexion je crois qu’il peut me donner un sérieux coup de main.

Justement y a de la lumière chez lui, lorsque nous stoppons.

— Attends-moi une seconde, je dis à Maud, je vais en éclaireur.

Par mesure de sécurité, je prends la clé de contact.

En m’apercevant, Bob manque de tomber à la renverse, ce qui, dans son état, lui serait probablement fatal.

— Vous ! Vous ! s’exclame-t-il.

J’entre dans la cuisine-salle à manger. C’est pas rupin, mais c’est douillet comme un édredon, là-dedans.

— Allons, remets-toi, Bob, je ne suis pas le père Noël !

Je l’observe : il paraît sincèrement heureux de me voir. Heureux et fier. Il est content que j’aie pensé à lui, étant dans la pommade.

— Voilà, Bob, j’attaque, inutile d’y aller par quatre chemins, je te résume la situation : comme tu l’as appris, je me suis fait la paire. Je suis sans un, je ne sais pas où aller et j’ai tous les flics de la ville après moi. Est-ce que, malgré tout, tu prendrais le risque de m’héberger et de jouer une chouette partie avec moi ? Réponds franchement. Tu sais bien qu’à cause du vieux Crabe c’est à part, nous deux, hein ?

— L’Ange, balbutie-t-il, cette baraque est à vous, quoi, merde ! Faut-il vous l’écrire sur papier timbré ? Vous êtes le seul type qui ait jamais eu un peu de sympathie pour moi et qui m’ait considéré autrement que comme un chien galeux.

Je lui donne une tape sur le front.

— Tu le regretteras pas, Bob. J’ai avec moi une souris, et sais-tu qui c’est ?

— Non.

— La fille de Kerrer !

— Le financier ?

— Ouais. Elle est un peu singée, mais elle vaut cinq cents papiers comme un rond.

Patelli paraît sur le point de défaillir.

— Cinq cents mille dollars ?

— C’est le prix que j’en demanderai. Ton blot, à toi, consiste simplement à l’avoir à l’œil pendant que je négocierai la rançon. Si tout marche bien, y aura cent sacs pour toi.

— Cent mille !

— Tout rond. Avec ça tu pourras t’acheter un bar, et voir venir de derrière ton zinc, non ?

Je vais chercher la môme. Elle paraît intimidée, Maud. Elle doit commencer à réfléchir sérieusement.

Je fais les présentations.

— Tu as une piaule pour cette jeune personne, Bob ?

— Mais oui…

La piaule mesure un mètre cinquante sur deux. Il y a un lit pliant et une réclame de Coca-Cola au mur, c’est tout.

— Mais, l’Ange !… balbutie-t-elle en reculant.

Je lui mets une paire de tartes sur le museau.

— Le coin te déplaît ?

D’une bourrade, je la couche sur le lit, puis je referme la porte.

— Elle est O.K. cette turne sans fenêtre, Bob. Garde la clé sur toi et fais le guet. Dis-toi bien que si elle parvenait à s’échapper, non seulement la combine serait sciée, mais qu’on te collerait au trou pour plusieurs générations.