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— Je sais, Bessman. En attendant, je vous demande de laisser vos mains à plat sur votre sous-main.

Je jette un coup d’ail circulaire dans la pièce.

— Dites, je n’étais jamais venu dans votre repaire : c’est gentil. Seulement, y a une petite erreur d’aménagement, mon vieux : le capitonnage. Vous ne percevez pas ce qui se passe à l’extérieur. J’ai assaisonné les quelques quintaux de lard que vous entreposiez dans le couloir pour vous servir de bouclier et vous n’avez rien entendu !

— Vous avez tué Stil ? murmure-t-il.

Sa voix a perdu de sa neutralité. Elle contient beaucoup plus qu’une menace.

— D’une balle dans le ventre, oui, je lui fais.

Je fous un pet dans la brioche du jockey.

— Juste comme ça, Bessman, vous comprenez ?

Fesse-de-rat se tord en gémissant sur la moquette. Je lui ferme son bec d’un coup de talon.

L’Autrichien ne bronche pas. J’admire son calme, c’est quelqu’un que cet oiseau-là !

— Je ne comprends rien à votre attitude, déclare-t-il au bout d’un bref silence.

— Ouais ! Eh bien je vais vous affranchir, mon vieux. Figurez-vous que je n’aime pas les types qui me poussent par-dessus le mur d’un pénitencier.

— Expliquez-vous…

— Little Joly… Ça ne vous dit rien ? Vous avez peut-être déjà oublié ? Pas moi, Bessman. Depuis toujours vous avez l’œil de la police, c’est couru. Ou ne peut pas mener une affaire de l’envergure de la vôtre sans avoir un tas de flics et de grosses légumes dans sa manche. Ça coûte cher, mais c’est indispensable.

— Où voulez-vous en venir ?

— À ceci : c’est vous qui avez arrangé le guet-apens dans lequel je suis stupidement tombé chez la vieille fiote. Tout ça a été combiné de première, je le reconnais. C’est bien dans votre style.

Mon regard croise le sien. Pas un cil de ses paupières ne bouge. Il est aussi démonstratif qu’une statuette de plâtre.

— L’Ange, dit-il, vous raisonnez comme un tambour. Nous avons toujours entretenu des relations amicales, vous et moi. Pour quelles raisons vous aurais-je joué un tour de cochon pareil ?

— C’est ce que je viens vous demander.

— D’abord, pourquoi avez-vous décidé que j’étais l’instigateur de cette affaire ?

— Je ne l’ai pas décidé, dis-je, j’en ai eu la preuve. Et pour vous montrer que je ne bluffe pas, je peux même vous dire que c’est Dark-Eyes qui a liquidé le vieux. Dark-Eyes étant votre homme de main, on peut raisonnablement en conclure que c’est vous qui avez mijoté cette petite surprise-party, non ?

Il conserve son énigmatique sourire. Ses mains cultivées sont parfaitement immobiles sur le buvard rose de son sous-main, comme une paire de gants de chevreau dans une vitrine.

Son assurance commence à me taper sur le système.

— Écoutez, Bessman, je vous donne une minute pour m’expliquer la raison de votre coup bas. Au bout de ce temps, je vous abats comme j’ai abattu vos pieds nickelés, vu ?

Il hausse les épaules.

— Crânez bien, je lui fais, soixante secondes, c’est pas un avenir tellement copieux.

Je n’ai pas plus tôt achevé de parler qu’il se produit un truc absolument inouï. C’est l’ahurissement de toute ma personne ! Le plancher se dérobe sous moi ; d’un seul coup je croule dans un gouffre, j’éprouve un choc au cœur. Mon but heurte une surface dure. Un grand jaillissement d’étincelles se fait sous ma rotonde ! Puis une immense vague noire se gonfle et s’avance sur moi. Je perds les pédales et je fais un valdingue dans le cirage.

* * *

Une nouvelle vague, mais d’eau glacée cette fois.

Je suffoque. Je me sens trempé comme une algue…

Un formidable éternuement me secoue.

— Il revient à lui, dit une voix.

Je m’ébroue et me mets sur mon séant.

Devant moi se tiennent plusieurs personnages peu sympas. Au premier plan, Bessman, toujours très maître de lui, puis, à ses côtés, Dark-Eyes le boiteux. C’est cet enfant de salaud qui vient de me balanstiquer un seau de flotte dans le portrait. Il paraît satisfait de sa thérapeutique, le frangin.

— Alors, l’Ange ? me fait Bessman, trouvez-vous toujours que les aménagements de mon bureau ne sont pas judicieux ? Le parquet qui se dérobe est une gentille invention, non ? Déclenchement au pied et la moitié de la pièce s’effondre. Cela m’a déjà servi plusieurs fois…

— Un vrai Luna-Park ! dis-je.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demande Dark-Eyes. On le liquide ?

Silence.

Cette fois, la voix de l’Autrichien est redevenue un aboiement. Il s’approche de moi et me décoche un coup de savate dans les gencives.

— Petit dégourdi, hein ?

Je ne bronche pas. Je sais que c’est cuit pour ma tronche, mais je tiens à lui montrer que j’ai autant d’empire sur moi-même que lui.

Mon calme brise le sien. Je ne l’ai jamais vu ainsi, je suis certain que ce type est un sadique. Les bruits qui courent sur lui, concernant certaines sales histoires de mœurs ne doivent pas être dénués de fondement, comme disent ces tordus de la presse.

Il pique une crise de gamine vicelarde. À coups de pied, à coups de poing il me bille dessus, les yeux fous, les lèvres vidées de sang.

Ses zouaves le regardent avec respect et effroi. Les coups de rogne du boss, ça doit être un événement dans la bande. Y en a pas un qui oserait se gratter l’oreille. Ils sont tous là, médusés, comme s’ils voyaient pousser un palmier dans la main tendue d’un mendigot.

Je prends la crise de Bessman en pleine poire, sans broncher. Comme tous les rageurs, il est maladroit. Ses coups n’ont pas, Dieu merci, l’efficacité qu’il voudrait leur donner.

J’ai la tête pleine de bruits étranges et de lumières célestes lorsqu’il s’arrête, haletant. Le sang pisse de mon pauvre tarin. Mes pommettes enflent tellement que j’ai l’impression d’avoir un fromage de Hollande de chaque côté de la bouche.

Bessman s’essuie le front avec un mouchoir de soie blanche.

— Eh ben, mon vieux, qu’est-ce que vous lui avez collé comme vermifuge, patron, balbutie Dark-Eyes.

— Il m’a tué deux hommes, grommelle l’Autrichien, dont Stil.

— Ce qui fait au moins quatre, je lance joyeusement, j’ai jamais vu une pareille quantité de bidoche à la fois !

Je torche d’un revers de manche le sang qui ruisselle de mon pif.

— Je suppose que vous allez me cloquer aux flics, non ?

— Non, fait Bessman, décidément ils sont trop maladroits. Je préfère prendre votre exécution à ma charge, l’Ange.

— Ça se passe ici ?

— Ça se passera dans la rue. Et c’est Dark qui s’en chargera. Il y a une prime promise pour toute personne qui vous livrera à la police, mort ou vif.

— Vous ne voulez toujours pas me dire pourquoi vous m’avez balancé aux bourres alors que je ne vous ai jamais enchetibé ? Voyez-vous, Bessman, ça me casse les bonbons, l’idée que je vais lâcher la rampe sur un point d’interrogation.

Il me considère en souriant. On dirait qu’il va raconter une histoire pour noces et banquets.

— Vous êtes un idiot, l’Ange.

— O.K.

— Vous étiez sur quel coup, au moment de l’affaire Little Joly ?

— Les lingots de la Nationale de l’Illinois.

— Voilà.

— Et alors ?

— Quel est le principal actionnaire de la Nationale ?