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Et ils ne s’en privent pas, les vaches ! S’il ne faisait pas aussi sombre et si l’allure était moins rapide, je ne pourrais pas cavaler longtemps.

Le feu d’artifice devient vite intenable pour ma santé. Une porte à ma gauche ! Je m’y rue et je la repousse vivement.

Pendant que les matuches s’escriment à taper dessus, je prends connaissance des lieux. Je me trouve sur l’arrière d’un grand building commercial. Il y a l’ascenseur devant moi. Je m’y précipite et j’appuie sur le bouton du dernier étage, en souhaitant de toutes mes forces que la porte résiste tant que durera l’ascension, car autrement je me ferais bloquer dans cette cage comme un rat.

Mes vœux sont exaucés. Je mets le pied hors de l’appareil lorsque, des profondeurs, monte un craquement significatif.

Je laisse la porte de l’ascenseur ouverte et je la bloque au moyen d’une pièce de monnaie. Ainsi l’élévator est inutilisable pour les usagers des étages inférieurs.

N’en concluez pas que je sois hors de danger.

Je ne fais que reculer de quelques minutes l’échéance, car je me rends bien compte que je suis bon comme la romaine. C’est seulement dans les bouquins que les outlaws se barrent d’un immeuble cerné par les flics.

Autour de moi c’est le silence. Il y a des couloirs froids et des portes anonymes ; le tout étant éclairé par les ampoules bleues des veilleuses.

En vitesse je secoue les portes, toutes sont fermées. Je n’ai pas le temps de m’arranger avec leurs serrures. Et d’abord, à quoi cela me servirait-il de me barricader dans un burlingue ? Ça n’est pas avec les deux ou trois balles restant dans le feu de Dark-Eyes que je peux soutenir un siège !

Au fond d’un des couloirs il y a une porte de fer, très étroite, avec un mot écrit dessus : Secours.

Secours ! C’est un mot qui semble être fait pour ma pomme.

J’ouvre la porte sans difficulté. Un coup d’air froid se plaque sur ma frimousse. La porte donne sur le ciel, c’est-à-dire sur la terrasse surmontant le building. Ça sent bon la nuit de printemps, ici, et on a l’impression de se baguenauder dans les étoiles.

Je cours sur la terrasse, zigzaguant pour éviter les multiples cheminées. De l’autre côté, c’est un immense fossé lumineux. Je m’approche de l’étroit parapet. Tout en bas, il y a une avenue bien éclairée, avec une foule noire qui se coagule autour de l’immeuble.

Le bruit lamentable des sirènes de police retentit. Il en arrive de toutes parts. Une vraie mobilisation générale. Si les Martiens débarquaient, ça ne ferait pas un plus gros raffut. L’immeuble est cerné ; à moins qu’un hélicoptère ne vienne se poser sur la terrasse, ce qui est improbable, je ne puis espérer m’évader de ce sacré building. J’ai été vachement con de céder à l’impulsion qui me portait vers cette porte ouverte ! Et d’abord, pourquoi était-elle ouverte cette porte ? Hein ? Ordinairement on ne laisse pas les maisons de commerce accessibles à tout venant, la nuit surtout !

Je jette un dernier coup d’œil dans la rue, comme je vais m’éloigner du parapet, et j’ai un sursaut. À la fenêtre qui se trouve immédiatement sous moi, il y a un homme qui, lui aussi, regarde dans la rue. Ce doit être le gars qui a ouvert la lourde : un homme d’affaires quelconque, venu dans son burlingue étudier un dossier ou je sais pas quoi !

Il me vient alors une idée. Elle ne vaut pas un clou, mais je n’ai pas mieux dans le citron pour l’instant. Je quitte la terrasse par la porte de secours et je trotte dans le couloir jusqu’à ce que je voie un rai de lumière sous une porte. Avant d’ouvrir cette lourde je tends l’oreille : les condés font le bruit d’un troupeau d’éléphants en balade chez un marchand de porcelaine. Ils investissent le building minutieusement, étage par étage, ce qui me donne un peu de temps.

Je tourne le loquet de la porte. Celle-ci s’ouvre.

Le type qui est à la fenêtre se retourne. Je lui montre mon revolver et lui fais signe d’approcher. Il obéit. C’est un garçon un peu plus jeune que moi. Comme moi il est brun et nous devons être sensiblement de la même taille.

— Tu vas te désaper, dis-je, et manies-toi, car je suis drôlement pressé.

Lui a l’air de ne rien piger à rien. Je commence à quitter mes fringues. Cela lui fait réaliser mon ordre et il se déshabille aussi, toujours sans comprendre.

Je peux vous dire que ça n’est pas pratique de troquer ses vêtements avec un type que l’on est obligé de tenir en joue. Mais je commence à prendre l’habitude de ces petits numéros à transformation.

Il nous faut cinq minutes pour opérer le changement. Je m’approche de lui et je lui flanque un petit coup de crosse, très sec, sur le dessus du crâne. Il s’écroule.

Je vais donner un double tour à la porte, je traîne un bureau devant et je hisse des classeurs métalliques sur le bureau. Voilà qui va encore freiner l’avance des bignolons.

Par terre, à l’emplacement primitif du bureau, il y a un tapis. Je le retourne, je traîne mon bonhomme dessus et je me mets à lui écraser la figure à coups de pied. C’est pas un travail rigolo, mais pour la réalisation de mes plans il est nécessaire. Lorsque le mec est défiguré et que je suis certain que sa propre mère elle-même ne le reconnaîtrait pas, j’éteins l’électricité et je vais le porter devant la croisée. Puis je retourne encore le tapis de manière à ce que le sang résultant de l’opération ne soit pas apparent.

Il ne me reste plus qu’à attendre. Ça ne traîne pas. Les flics envahissent le couloir de mon étage. Je les entends ouvrir des portes et traîner leurs godasses un peu partout. Ils gueulent, ils s’exclament, ils jurent. Une vraie bande de pilleurs de ranchs, comme dans les westerns !

Enfin, ils arrivent à ma lourde. Le zig qui se charge des serrures fait jouer son passe. La serrure cède. Il pousse, mais le bureau et les classeurs bloquent la porte.

— Il est là ! gueule une voix.

C’est la ruée. J’entends des « han ! » Ils se mettent à plusieurs pour pousser la porte.

Alors je m’approche et je tire mes dernières balles à travers le bois. Ça gueule de plus belle.

— On le tient !

— Mes fesses ! je leur réponds…

— Laissez-moi lui parler, dit un gnace qui doit sûrement avoir des trucs dorés sur ses manches.

— Allô ! l’Ange ! crie-t-il.

— Et après ?

— Rendez-vous !

— T’as lu ça à la page humoristique de ton journal habituel, Toto !

— La lutte est inégale, reprend le gars.

— Et ta sœur ? Elle est inégale ?

— Nous allons appeler la brigade des Gaz si vous persistez, l’Ange. Et vous serez enfumé comme un bon vieux jambon de Francfort !

C’est le moment de leur jouer ma sérénade.

— Vous avez de la chance que je n’aie plus de munitions, dis-je, sans ça vous verriez un drôle de cirque, bande de fumelards ! En tout cas, vous ne m’aurez pas vivant !

Je me précipite à la croisée, je soulève le zig que j’ai pommadé et je le hisse par-dessus la barre d’appui.

— Adieu à tous, tas de bourriques, j’hurle. Et gare aux taches, là-dessous !

Je catapulte le mort, tête première.

Un immense cri s’élève de la foule, en bas. Des mecs voyant descendre un corps croient que je viens de me défenestrer et s’écartent afin de se garantir des taches !

Grâce à l’obscurité ils ne se rendent pas compte que le bolide qui tombe en chute libre est plus mort que le premier des Mohicans.