Je pense que l’Autrichien a maquillé quelque chose de pas net à la Nationale (qu’il contrôle), et qu’il m’a fait arrêter tout simplement parce que j’aurais certainement fait éclater un joli scandale en « opérant » la banque en question, comme j’étais sur le point de le faire.
Si j’arrive à découvrir ce qui ne tourne pas rond, mon petit doigt me dit que j’aurai barre sur lui. Or, pour mener ma petite enquête, je dois profiter de cette trêve dans la chasse à courre qui est intervenue du fait de ma « mort » provisoire.
— Arrêtez ici ! fais-je.
Joan obéit.
— Les banques ne sont pas encore ouvertes, objecte-t-elle.
— Ça dépend pour qui, ma jolie.
— Qu’est-ce que je fais ?
— Vous me suivez.
Elle descend à ma suite.
Le jour se lève doucettement. Ce quartier est vide et silencieux. Il y a des gonzes qui croient que minuit est l’heure idéale pour boulonner ; ils s’introduisent l’index dans l’œil jusqu’au slip. Le bath moment, c’est le petit matin. Personne ne se méfie plus de rien, les gens ont tous l’impression qu’avec le retour de l’aube, ils sont parés.
Paisiblement, je vais sonner à la porte de service de la Nationale, là où il y a écrit en blanc sur noir : « Entrée du personnel ».
Un long moment s’écoule, le gardien de nuit doit en écraser sauvagement. Je resonne. Un judas s’ouvre. Je respire, c’est toujours le mec avec qui j’avais réussi à me mettre en cheville au moment de mon arrestation.
— Qui est là ? demande-t-il.
— Le cousin de la bicyclette à Jules, je lui réponds. Ouvre vite la parenthèse, Johnson, il fait courant d’air.
Il plaque son visage contre la minuscule ouverture.
— Seigneur ! s’exclame-t-il en me reconnaissant.
Il doit se demander s’il est au paradis ou bien si, au contraire, mon ectoplasme n’a pas pu rejoindre sa base.
— Oui, c’est moi, démerde-toi d’ouvrir.
Il hésite.
— Grouille, ou sinon il t’arrivera des ennuis.
Je dois avoir le ton qui convient pour parler aux hommes, car il se hâte d’ouvrir. Nous pénétrons dans la banque, Joan et moi.
— Vous… vous n’êtes donc pas mort ? demande-t-il.
— On ne peut rien te cacher, Sherlock !
J’ai en mémoire le plan qu’il m’avait dessiné.
— Arrive !
Je m’engage dans l’escalier de gauche qui, je le sais, conduit à la chambre forte.
Avant de descendre plus avant, je rafle la mitraillette qu’il tient à la main.
— Un accident est si vite arrivé ! je lui dis.
L’accès de la chambre forte est barré par une grille dont chaque barreau est épais comme mon poignet. Cette grille nous a donné un mal fou. Un contact électrique la parcourt, il est branché à une sirène d’alarme donnant sur la rue. Si on a le malheur de toucher à la grille, la sirène se met à gueuler comme trente-six paquebots sur le point d’appareiller. Le contact n’est coupé que pendant les heures d’ouverture de la banque. Il a fallu que j’envoie un ouvrier pour débrancher le contact. Le mec, qui n’était pas plus bidon qu’un autre, m’a demandé une fortune pour exécuter le boulot. Je me rappelle le tintouin que ça m’a donné. Pour justifier l’entrée en fonction d’un électricien, nous avons dû faire sauter tous les plombs en branchant une fourchette à gâteau dans les trous des prises électriques. L’électricien a mis un coupe contact secret. Tout était au petit poil et j’allais m’occuper des lingots, lorsque Bessman a monté le coup de chez Little Joly. Probablement lui avait-on signalé mes longues stations devant la banque, et en avait-il déduit que je préparais un coup.
— Tout est demeuré en état ? je demande à Johnson.
— Oui.
— Alors, actionne le coupe-circuit.
Il tourne un petit commutateur.
— Voilà.
— Tu as le matériel ?
— Ben…
— Oui ou merde ?
— Je vais vous le chercher.
— On y va ensemble.
Au premier existe une petite pièce réservée au gardien. Elle est meublée d’un lit de camp, d’une chaise et d’un minuscule placard.
L’homme ouvre le placard et en sort une pile de vieux magazines. Ils sont ficelés. Je les reconnais. C’est moi qui lui ai passé ce paquet d’imprimés. Je sais qu’à l’intérieur se trouve un petit chalumeau électrique.
Il me faut un bon quart d’heure pour avoir raison d’un des barreaux. Et, une fois dans la chambre forte, un autre quart d’heure pour venir à bout du coffre aux lingots.
Ils sont là, les mignons, rangés en pyramides comme des boîtes de sardines.
J’en prends un et le soupèse.
— Qu’est-ce que vous dites de ça ? je demande à Joan.
— C’est de l’or ? balbutie-t-elle.
— De l’or, oui, dit le gardien d’une voix noyée d’extase.
Je lui demande :
— Tu as un couteau ?
Il me tend un yatagan de poche qui possède toute une théorie de lames à usages plus ou moins obscurs. J’ouvre le poinçon, et je gratte le lingot d’or.
— C’est bien ce que je pensais, fais-je en glissant la brique de métal dans ma poche.
Je repousse la porte du coffre.
— Vous laissez tout ça ? questionne la pépée.
Elle et Johnson doivent se dire que mes avatars m’ont encrassé la pensarde.
— Oui, je dis. Remarquez que le cuivre a une certaine valeur, mais ce qui n’est pas pur gold ne m’intéresse pas.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? bégaie le gardien.
— Ça veut dire que Bessman a possédé les coactionnaires de la banque. Il s’est farci la réserve d’or et leur a foutu des briques de cuivre plaquées or.
Qu’est-ce que je vais dire, moi ! se lamente le pauvre type.
— Rien, assurai-je, rien du tout, mon trésor.
Je lève le canon de la mitraillette et lui place à la base du cerveau une petite crotte calibrée.
— Vous avez fait chou-blanc ? me demande Joan.
— Plus ou moins…
Nous regagnons la voiture.
— Et maintenant ? fait-elle.
— Maintenant, je lui dis, il faudrait tout de même s’occuper de mon argent de poche.
Le soleil commence à ramener sa fraise. Il y a du bleu de partout. Les crieurs de journaux cavalent en gueulant que je me suis buté. Jusqu’à présent, ça n’a pas l’air de trop mal fonctionner pour moi.
— Arrêtons-nous, dis-je à ma compagne en avisant un petit bar tranquille. J’ai quelques coups de fil à donner.
— Pour la rançon ? demande-t-elle.
— C’est bien possible.
— Vous ne croyez pas qu’il serait préférable que je me charge de téléphoner à Kerrer ? Les flics pensent sûrement que vous avez des complices. Ils s’attendent à ce que ceux-ci contactent la famille pour parler fric, et il doit y avoir une table d’écoute chez le banquier. Ils peuvent reconnaître votre voix. Tandis qu’une voix de femme…
Je réfléchis.
— O.K., vous babillerez vous-même.
Nous entrons, je prends deux jetons à la caisse et je suis ma « collaboratrice » jusqu’à la cabine téléphonique.
J’attrape le Bottin pour chercher le numéro des Kerrer.
— North 60–40, je dis à la poulette. Dites simplement au vieux qu’il réunisse un million de dollars en petites coupures. Toutes inférieures à vingt, et que les numéros ne se suivent pas, de préférence.