Conclusion
Il fait à peine jour. Je suis au volant de la voiture de feu la môme Joan. Bessman, à mes côtés, tient la mallette de dollars que le père Kerrer a déposée à l’endroit convenu.
— Le compte y est, dit-il soudain.
— C’est bon, posez-la sur la banquette arrière, je deviens nerveux lorsque je vois tant de fric à la fois.
Il hésite, puis glisse la mallette à l’arrière de l’auto. Alors, j’appuie à fond sur le champignon.
— Hé là ! fait Bessman, vous êtes déjà à cent trente !
— Un peu de vitesse, c’est excitant, vous ne trouvez pas ?
Non, il ne trouve pas.
Il sort sa montre de son gousset, car il a un vieil ognon en or avec une chaîne grosse comme l’amarre du Queen Mary.
— Déjà six heures, fait-il. Alors, cette liste des boîtes, l’Ange ?
— Il n’y a pas de liste, je lui dis. Tout ça, c’était du bidon ; du reste j’ai horreur d’écrire, vous savez…
— Prenez garde ! grommelle-t-il.
— Je vous dis la vraie vérité du bon Dieu, Bessman.
Je le vois tirer un superbe colt de sa poche.
— Arrêtez, fait-il.
— Pourquoi ?
— Le coin me paraît propice à une mise au point — disons… définitive.
— Exactement ce que je pensais, fais-je en appuyant sur la quatrième pédale.
Ce coup du siège éjecteur, c’est la plus grosse surprise de sa vie. C’est aussi sa dernière. Je vous le recommande lorsque vous voulez vous marrer en société. Ça remplace avantageusement le poil à gratter ou la poudre à éternuer.
Je remets le siège en place et commence à siffler « It was a wonderful boy », en prenant le chemin de l’aéroport.
Y a un bout de temps que je n’ai pas vu le Mexique. C’est un patelin où les filles ne sont pas plus mal tortillées qu’ailleurs et où, avec une brique en poche, on peut passer de gentilles vacances.
DU PLOMB DANS LES TRIPES !
Le prochain épisode des « Confessions de l’Ange Noir » vous entraînera, aux côtés du dangereux bandit, dans les services de contre-espionnage des États-Unis.
DU PLOMB DANS LES TRIPES !
Vous apportera une nouvelle ration d’émotions fortes.
DU PLOMB DANS LES TRIPES !
Poursuit la sanglante série du redoutable gangster.
Conté avec la même fougue, le même langage pittoresque, le même dynamisme.
DU PLOMB DANS LES TRIPES ! Vous assurera une nouvelle nuit blanche.
DEUXIÈME ÉPISODE
LE VENTRE EN L’AIR !
À la mémoire d’Al Capone,
et d’un certain tordu de la 14e Rue.
Notes liminaires
Mon éditeur m’apprend que des locdus, des mous de la calbombe et du calbard ont émis des doutes sur l’authenticité des aventures que je relate dans mon premier grimoire : LE BOULEVARD DES ALLONGÉS. J’ai failli en manger ma cravate.
Ces gaziers-là n’ont qu’à venir me trouver. S’ils n’ont jamais vu un feu d’artifice, je comblerai cette lacune.
Lorsqu’un gnace a eu mon passé, et lorsque ce mec apprend qu’une bande de foies blancs, de pêcheurs de têtards, de nénuphars d’égouts, d’escaladeurs de plaines viennent lui baver sur les bonbons, forcément il voit rouge.
Tous les zigotos qui sont dépeints dans mes books, toutes les javas auxquelles ils sont mêlés, sont garantis vrais de vrais… … Les sceptiques n’ont qu’à échanger ce bouquin contre le Journal officiel.
Qu’on se le dise ! Si incrédule, s’abstenir.
Chapitre premier
Greenwich Village est vide comme l’estomac d’un fakir après douze années-lumière de jeûne, lorsque je quitte la station du subway.
Cette station noire et métallique est un peu moins gaie qu’une épidémie de fièvre aphteuse. Tout naturellement je mets le cap sur l’une des deux avenues qui s’enclenchent dans le carrefour. Les lumières m’attirent, tous les papillons sont comme ça !
J’avise une vitrine derrière laquelle on aperçoit des paumés déguisés en artistes peintres, qui somnolent derrière leur bouteille de Coca avec l’air de penser.
Je me dis qu’un coup de raide serait tout indiqué pour célébrer mon retour à New York.
Ça fait une paie que je n’ai pas ramené ma cerise dans le patelin. La dernière fois que j’ai vadrouillé dans Manhattan il faisait un vilain temps, les gars. Dites que c’est le petit doigt de votre cousine germaine qui vous le dit.
C’était tout de suite après la guerre ; pendant cette période d’euphorie collective où les petits dessalés de mon gabarit s’en mettaient plein les poches. Y avait tellement de macchabés dont on devait graver le nom dans le marbre qu’une douzaine en plus ou en moins passait royalement inaperçue. Ce que j’ai pu en dessouder, des mecs, à ce moment-là ! Fallait des bottes d’égoutier pour traverser les rues, because le raisiné.
Puis ça s’est tassé. Les Fédés sont devenus chinois comme point et je me suis fait la valise du côté de Chicago[13].
Pourtant, je gardais New York dans mon palpitant. C’est la ville la plus chouïa qui existe, car on s’y sent en sécurité. Y a tellement de pèlerins qui s’agitent les couennes à l’ombre des gratte-ciel ! C’est tellement grand… Tellement bath…
Pourtant, en ce petit matin, Greenwich Village qui est, comme vous le savez, le quartier des artistes et des locdus, paraît triste.
Le bar où je viens d’entrer renifle la bière aigre et le mégot froid. Il est plein de mecs qui attendent le jour, simplement parce qu’ils se croient déshonorés d’aller se mettre dans les torchons tant qu’un pouce de nuit flotte encore dans cette portion de planète.
Le barman est un type désenchanté qui ne doit pas avoir de plus gros poumons qu’un ver à soie. Ses cils sont farineux, ses joues mal rasées, et c’est d’une voix lamentable qu’il s’informe de mes aspirations.
— Un rye, p’tit gars…
Il verse dans un verre une rasade d’un truc à base de lotion capillaire et lance adroitement le glass sur le comptoir ciré. Je l’attrape et trempe mon nez dedans. Si ce machin-là est du whisky, moi je suis le roi Farouk… Mais je n’aime pas chicaner pour des misères. J’offre ma consommation à une plante verte qui croule sous la poussière dans un coin du bar, et je me fais servir un Cinzano Dry.
Tout en dégustant, je laisse flotter mon regard velouté sur l’assistance. J’ai dans le ciboulot des idées de gonzesse et de jambes en l’air… Dans le ciboulot et ailleurs. Voilà trois jours que je n’ai pas prouvé à une représentante du beau sexe qu’à côté de moi, le marquis de Sade n’était qu’un enfant de chœur…
12
Le titre finalement choisi, pour le deuxième volume de la série, sera :