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Je remets le gamin en selle et nous pédalons plus loin, en direction d’une autre petite rue où j’ai repéré une floppée de magasins populaires.

Du premier coup je trouve celui qu’il me faut : une quincaillerie. D’où je conclus que la chance a l’air de se mettre de mon côté.

— Attends-moi une minute, Peter.

J’entre et je demande des clous de tapissier. Le marchand me montre des échantillons. J’en choisis une série ayant la tête bien plate et la tige longue et très pointue.

— Mettez-m’en une demi-livre, patron.

Voilà le gars qui commence à préparer de quoi faire un paquet soigné.

— Laissez choir, je lui dis, c’est pas pour offrir, c’est pour manger tout de suite.

Et, sous ses yeux médusés, j’enfouis les clous dans la poche de mon trench-coat.

— Demi-tour, Peter…

La séance d’apprentissage continue. Avant de parvenir à la hauteur de la zone dangereuse, je dis à Peter :

— Tu commences à pouvoir te débrouiller tout seul, non ?

— Oh, oui, Dick !

— Montre un peu…

Je relâche l’étreinte de la ceinture et je lui donne du mou. Il continue à pédaler crânement…

— Parfait… On peut pratiquement dire que tu sais aller seul. Il ne nous reste plus qu’une chose à étudier, Peter…

— Quoi donc, Dick ?

— Les virages. Tu vois cette porte là-bas ?

Je lui désigne la porte cochère de la maison surveillée.

— Oui.

— Lorsque nous arriverons à sa hauteur, tu tourneras…

— Oui, Dick, c’est ça, je tournerai…

Il ajoute :

— Seulement, faudra me tenir, hein ?

Visiblement, il se souvient du valdingue qu’il vient de faire devant.

— Je te tiendrai, promets-je…

Je tire sur la ceinture pour le mettre en confiance. Il tire la langue comme un vrai coureur dans une côte et appuie sec sur ses pédales. Je suis obligé de trotter pour rester à sa hauteur. À ce régime-là, tout marchera bien…

Intérieurement je me cintre, en pensant à la gueule que doivent faire les hommes d’O’Massett chargés de me surveiller. S’ils entravent quelque chose à ce micmac, je veux être pendu. Enfin, lorsque je dis que je veux être pendu, c’est vraiment une façon de parler.

J’ai eu de la chance de tomber sur un chiard comme Peter. C’est un môme qui fera son chemin si les petits cochons ne le mangent pas.

Il s’avance au milieu des matuches avec une aisance qui force l’admiration, puis, résolument, il pique par l’ouverture de la porte. À cet instant, je fais semblant d’être surpris par sa manœuvre et je lâche la ceinture. Il ne s’en aperçoit pas et continue de foncer. Tout ça va très vite. Les bourdilles se marrent. J’attends qu’il ait traversé le porche et soit parvenu à hauteur des graviers parsemant la cour, et je feins de revenir de ma stupeur.

— Peter ! je crie…

C’est radical. Je vous recommande le truc ! Le pauvre gosse sursaute en réalisant qu’il est livré à lui-même, et il y va de son second plongeon. Je me précipite pour le relever. Un gars amorce un mouvement pour s’interposer, mais j’ai tellement l’air contrit qu’il me laisse passer tout en me regardant. Je cours à Peter et le relève. Je m’affaire autour de lui comme précédemment, et je vous prie de croire que je ne perds pas mon temps. Les clous de tapissier voltigent. Je les balance à poignées dans mon dos. Si les bagnoles, en sortant, n’en ramassent pas de quoi blinder leurs pneus, c’est à désespérer de tout.

Nous repartons, j’accompagne Peter au coin de la rue.

— Voilà, lui dis-je, je vais te lâcher, petit gars…

On se serre la paluche comme deux vieux potes.

— Merci, Dick, fait-il.

Je murmure entre mes dents :

— Y a pas de quoi, vieux lapin, c’est moi qui te remercie.

Je questionne :

— Y a-t-il une station de taxis, par là ?

— Oui, M’sieur… La quatrième rue sur la droite…

Je m’éloigne à grandes enjambées. Il ne s’agit pas de rater le coche, maintenant que la partie est commencée.

Plusieurs taxis stationnent effectivement à l’endroit indiqué par le gosse. Je m’approche des deux premiers. Ce sont des guimbardes dernier jus, avec tout le confort : télévision, téléphone à l’intérieur… Peut-être que si on cherchait bien, on y trouverait un cabinet de toilette et une salle de billard.

Je dis au premier :

— Je suis de la presse, j’ai besoin de deux voitures pour réussir un reportage meû-meû, y a-t-il moyen de s’entendre avec vous et votre pote qui est derrière ?

— On peut toujours s’entendre, lorsqu’il y a du dollar dans l’air, fait l’homme.

C’est un type renfrogné au regard cupide.

— Y en a, je dis, en faisant bruire les fafs dans ma poche. Y en a même tellement que si vous continuez à renifler, vous allez choper le rhume des foins…

— Alors j’en suis, approuve-t-il.

Il descend de son carrosse et s’approche du second taxi.

— Dis donc, Tribble, y a là un journaliste qui veut nous enrichir.

L’autre qui lisait le New York Herald lève le nez de son canard. Et ça doit lui demander un certain effort, car ce nez est gros comme une tomate. Il n’a pas dû attraper çà en suçant de la glace !

Il me regarde d’un air méprisant.

— Les journalistes, fait-il, ce qu’ils écrivent c’est du vent.

Ils commencent à me faire tartir, les deux charretiers.

— Écoutez-moi bien, je leur fais. Je ne suis pas venu ici pour vous interviewer. J’ai du boulot. Si vous m’aidez, y a cinq cents dollars pour chacun de vous…

Du coup, ils sont pétris de respect.

— Pour cinq cents dollars, affirme le premier, y a pas dix trucs que je ne puisse faire.

— O.K., ouvrez bien vos esgourdes. J’ai ordre d’arracher une interview au sénateur Pall. Seulement, ce mec-là, je ne sais pas si vous êtes au courant, joue les chevaliers mystères. Il ne reçoit personne et, lorsqu’il sort, prend deux voitures pour égarer les suiveurs éventuels. À vrai dire, il n’en prend qu’une, n’ayant pas le don d’ubiquité. Le hic, c’est qu’on ignore dans laquelle il se trouve. Alors voilà ce que j’ai décidé. Vous allez vous embusquer à proximité de chez lui. Lorsque les deux voitures sortiront, vous en prendrez chacune une en filature. Je vais monter avec l’un de vous. Si je suis dans la bonne bagnole, je téléphone à l’autre qu’il peut aller se faire voir. Si au contraire je me suis trompé, je téléphone tout de même à l’autre pour lui demander sa position et pour aller le rejoindre.

Je prends un billet de mille et le partage par le milieu.

— Prenez-en la moitié, dis-je au second chauffeur. Je garde l’autre. Si tout marche bien je la refilerai à votre copain avant de quitter son tank et vous vous démerderez par la suite, vu ?

— Vu, disent-ils.

— Alors on y va. Vous avez vos numéros de téléphone respectifs ?

Ils s’aperçoivent que non et les échangent.

On décarre sans plus attendre.

Tout se passe admirablement bien, comme dans un ballet dûment mis au point. Nous ne sommes pas en arrêt dans la rue du sénateur depuis une demi-heure que nous voyons sortir les deux bagnoles. Comme je l’avais prévu, la première tourne à gauche et la seconde à droite de la porte. J’ai si bien prévu la chose que j’ai fait stationner un taxi dans chaque sens, de la sorte y a pas de question : nous filons chacun l’auto qui part devant nous. C’est plein de mecs à l’intérieur.