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Il obéit.

L’idée me vient de le farcir histoire de supprimer un témoin gênant, mais je pense à son collègue du second taxi. Celui-là donnera de toute manière mon signalement. Inutile donc de prendre des risques inutiles.

— C’est bon, je fais, voilà l’autre moitié de billet pour acheter un bouquet de violettes au cher sénateur.

D’un coup de crosse, je démolis l’installation téléphonique afin de gagner un peu de temps.

— Écoute, Petit Homme, tu as pu apprécier mon adresse au tir ?

Il approuve énergiquement.

— O.K. Alors tu vas me promettre de ne pas ouvrir ton bec avant d’avoir compté jusqu’à cent, bien lentement. Tu piges ?

— Oui.

— Si tu cherches à me doubler, ce soir, ta bonne femme sera en train de corriger les épreuves d’un faire-part. Compris ?

Il a compris. Faudrait être une enclume pour ne pas comprendre un langage aussi choisi.

Je lui refile un dernier regard qui flanquerait les flubes à une compagnie de fusiliers-marins et je m’engouffre dans le passage.

* * *

Jamais un gnace ne s’est fait autant tartir que moi durant les deux jours que je passe, claquemuré dans une chambre d’hôtel d’avant-dernier ordre. La prudence la plus élémentaire me commande de ne pas vadrouiller dans les rues de New York en ce moment. La ville est en plein berzingue. Le chauffeur de taxi a donné mon signalement et on sait maintenant en haut lieu que c’est l’Ange Noir qui a dérouillé le sénateur.

J’ai hâte de me faire la valise. Vivement vendredi soir qu’O’Massett me refile le passeport promis.

Ces deux jours, je les passe à bouquiner les magazines et à lichetrogner. Le patron de l’hôtel qui m’héberge est un homme de confiance. Il loue ses piaules le prix aux gars qui ont des ennuis, mais on est sûr de ne pas être empoisonné.

Le vendredi soir arrive. J’achète des lunettes et j’ai laissé pousser ma moustache. En deux jours, elle ne vaut pas celle d’un Gaulois, évidemment, mais elle ressemble tout de même davantage à une moustache qu’à un pied à coulisse. Ainsi attifé, je me pointe dans le drugstore où O’Massett et moi avons passé nos accords.

L’établissement est vide. Le barman ne me reconnaît pas tout de suite. Je passe ma commande et j’attends tout en surveillant le cadran de la pendule accrochée au mur.

Il indique huit plombes, puis les aiguilles continuent leur petit viron, et mon « employeur » ne ramène toujours pas sa tronche de tirelire cabossée. À la demie je commence à tiquer. M’est avis que cette ordure de flic m’a royalement laissé glaner. Je lui ai livré la marchandise et il oublie tout bonnement d’acquitter la facture…

Je fais un signe au garçon. Il s’approche et c’est à ce moment-là seulement qu’il fait abstraction de mes lunettes et de mon embryon de moustache.

— Je vois que les présentations sont superflues, je lui dis.

Il est un peu pâle et sa pomme d’Adam devient si proéminente qu’elle va sûrement crever son cou de poulet.

— Tu n’as pas vu le gros zig qui était là l’autre soir ?

Il secoue négativement la tête.

— Non plus que son copain, l’homme à la seringue, qui était planqué derrière ton rideau de perles ?

— Non, M’sieur.

— Tu le connaissais, ce type, avant ?

— Non, M’sieur.

— Comment s’est-il présenté ?

— Il est venu avec son ami. Il m’a dit qu’il était une légume dans la police et qu’il avait besoin d’avoir une conversation privée avec un type…

— Vas-y !

Le terme lui fait peur. Ses croquantes me font un petit récital de castagnettes au passage.

— Et puis ?

— Il m’a dit que je ne craignais rien. Il a embusqué son compagnon là où vous savez et m’a donné mille dollars.

— Et alors ?

— Il est sorti, puis longtemps après est revenu avec vous. Quand vous avez été partis, il a gagné aussi le large en me recommandant le silence, afin, a-t-il dit, de ne pas m’attirer d’ennuis. Mais j’ai rien fait, moi, M’sieur… Je suis pour rien dans tout ça.

— Et tu ne l’as pas revu ?

— Non.

— Aucune nouvelle ?

— Aucune.

— C’est bon. Où est le téléphone ?

Il me désigne une petite cage vitrée. Avant de pénétrer dans la cabine, je lui montre mon feu.

— Tiens-toi peinard derrière ton zinc. Si tu remues le petit doigt, je te fais une bouche d’aération dans l’œsophage !

Je potasse l’annuaire sans lâcher mon arme. Je trouve le numéro du département d’État, et je demande Washington.

Un type grogne « Allô » dans l’appareil.

— Je voudrais parler à O’Massett, dis-je d’un air entendu. C’est pour une communication de la plus haute importance.

— À qui ?

Je répète en détachant bien chaque syllabe :

— O’-Mas-sett.

— Connais pas… Qu’est-ce qu’il fait, ce type ?

— Il est quelque chose d’important et de volumineux dans votre flicaillerie.

— Jamais entendu parler. O’Massett, dites-vous ?

— Oui ! Je ne vais pas vous le répéter jusqu’à ce que nous ayons usé le fil téléphonique !

— Je ne crois pas que ce nom-là existe dans nos services, mais je vais vous mettre en communication avec la section spéciale.

Il y a une brève interruption, puis une autre voix masculine dit :

— C’est vous qui demandez un certain O’Massett ?

— Oui.

— Personne répondant à ce nom n’appartient à la maison.

— Vous êtes sûr ?

— Certain. C’est tout ce qu’il y a pour votre service ?

— C’est tout.

Je raccroche, les mâchoires serrées, l’œil mauvais — c’est la petite glace occupant le fond de la cabine qui m’indique ces détails.

Je viens de commettre un meurtre sensationnel, un meurtre politique pour ballepeau. À peine arrivé à New York, je me suis foutu la ville à dos pour rien. C’est la première fois que je suis victime d’un bluffeur.

O’Massett n’est pas un flic. O’Massett est le gars le plus culotté qu’une femme ait jamais enfanté. Il m’a eu au baratin, je lui tire mon chapeau. Il m’a fait commettre gratis le boulot qu’il rêvait d’accomplir. À cause de ses boniments, je suis dans des draps épouvantables. Je sors de la cabine, les poings fermés. Ma gueule doit être tellement expressive que le garçon manque de prendre une embolie.

Il regarde avec insistance ma main gauche crispée sur la crosse du Luger. Sa frousse me dicte ma conduite. Ce type-là est de trop dans ma vie.

— Viens par ici, lui dis-je, en désignant l’arrière-boutique.

— Vite !

Il ne bronche pas.

Cette fois, il se met en marche, d’un pas d’automate. Nous passons le rideau de perlouzes.

— Qu’est-ce que… qu’est-ce que vous me voulez ? bégaie-t-il. Je n’ai rien fait, moi, j’ai rien fait, moi, j’ai rien fait…

— Mais bien sûr que t’as rien fait, hé, endoffé ! Seulement, y a des mecs qui sont pas vergeots dans la vie, et tu dois être de ceux-là… Je ne peux pas me permettre de te laisser cuisiner par les flics. La seule chose qui me gêne, c’est que tu sois vivant, à part ça, j’aurais plutôt de la sympathie pour ta pomme…

Je lève mon revolver à la hauteur de sa tempe et, avant qu’il ait le temps de comprendre, je lui cloque une balle dans l’oreille.

Je dois avoir le sens du parallélisme car, au moment de filer, je m’aperçois que ladite balle est ressortie par l’autre manette.