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Le crépuscule descend majestueusement sur New York au moment où j’abandonne le drugstore. J’ai pris soin de vider le tiroir-caisse, histoire de grossir mon pécule. Mais la boîte du type devait être sur le bord avancé de la faillite, car elle contenait des clopinettes. Au fond, je crois que je lui ai évité bien des enchosements, au frangin.

Paisiblement, je me dirige vers l’East River.

Il faut que je fasse le point de la situation et que je tire les conclusions. Voyons : O’Massett me fait un grand coup de bluff pour que je démolisse le sénateur. Il s’adresse à moi car le boulot est si trapu qu’il n’y a pas dans tous les U.S.A. dix mecs capables de réussir un exploit de cet ordre.

Pour éviter de me donner l’éveil, il dit que sa requête est ultrasecrète et que même ses pieds-nickelés me feront la chasse. Ça, c’est sa suprême habileté.

Reste à savoir pour le compte de qui travaille O’Massett. Mon petit doigt — qui est un pote de bon conseil — me dit de ne pas lâcher l’affaire. Je peux encore, avec le vase qui me caractérise, rentrer dans mes débours pour peu que je pousse un peu loin mon esprit de suite. Je me marre soudain comme un fou. Vous ne trouvez pas cocasse, vous autres, que je passe brusquement de l’autre côté de la barrière, et qu’après avoir lessivé le sénateur Pall, je me mette à enquêter sur les véritables mobiles de son assassinat ?

J’interromps net mon hilarité car un bruit caractéristique retentit derrière ma pomme. Ce bruit, c’est celui d’une mitraillette Thomson. Les balles qui ricochent sur le trottoir me sont certainement destinées, car je suis seul sur le quai.

Chapitre V

La seule chose à faire, en pareille circonstance, c’est de se balancer les couennes par terre et d’attendre que ça se tasse en se racontant des histoires de voyageurs de commerce.

Ça crépite ferme autour de moi. Mais tout ça est très rapide, et j’ai immédiatement pigé que c’est un drôle de cave qui tient le manche de la sulfateuse, car toute la seringuée passe à cinquante centimètres de moi.

Un bruit de voiture démarrant. Je me mets sur un coude et je tire mon Luger. C’est certainement la toute dernière connerie à faire, car le petit bombardement qui vient d’avoir lieu est suffisant pour mettre en état d’alerte tout ce qui porte un uniforme dans l’État de New York et ses environs immédiats. Mais, quand on s’appelle l’Ange Noir (et même quand on s’appelle Duschnock), on est toujours tenté de sauter sur un pétard dans ces sortes d’aventures.

— Fumier ! je crie.

Et je lâche trois pets en direction de la guinde, qui n’a pas eu encore le temps de prendre de la vitesse.

J’appuie trois fois sur la gachouze, et quatre détonations retentissent. Le fait s’explique par l’éclatement d’un pneu qu’une de mes balles a transpercé. Décidément, je fais travailler les fabricants de chambres à air depuis quelques jours.

La bagnole fait une terrible embardée et grimpe sur le quai. Le gnace qui la pilote a autant de réflexes que mes fesses, et il ne réussit pas à prendre le contrôle de son carrosse. L’auto percute un arbre et stoppe enfin, par la force des choses.

Je me rue en direction de l’accident. Quelle n’est pas ma stupeur de constater que seule une souris se trouve à l’intérieur ! Je comprends pourquoi la rafale de mitraillette ne m’a pas atteint, et pourquoi l’éclatement d’un pneu arrière a amené cette voiture dans cette fâcheuse position.

Une femme ! C’était une femme qui jouait à la petite guerre, au lieu d’aller tricoter des layettes dans un ouvroir, en buvant des tasses de thé.

Le choc l’a un peu étourdie, pas trop pourtant. Elle produit de vains efforts pour sortir de son tank dont les portières sont bloquées. La tronche qu’elle fait vaut le déplacement.

Je fracasse la vitre de gauche avec la crosse de mon feu et je lui tends les bras. Elle ne les refuse pas. L’extraction s’opère assez bien. Seules les fringues en souffrent, mais la toilette semble être le cadet de ses soucis. Lorsque je l’ai dégagée, je bigle autour de nous et je fais la grimace. C’est noir de trèfle dans le secteur. Les bons badauds, captivés par ce cinéma sont là, attendant la suite, un peu pâlichons dans l’ensemble, car des coups de feu produisent toujours leur petit effet.

Ils ne disent rien et nous regardent, la fille et moi, avec des airs modestes. Je fais sauter mon feu dans mes pognes, comme fait Bill Vengeance dans « La Fiancée du ranch maudit ». Puis j’attrape la souris accidentée par la paluchette et, le revolver en avant, je nous ouvre un chemin dans la foule. Les passants s’écartent respectueusement, glacés de frousse. Comme j’arrive au bout de la foule, je me trouve nez à nez avec un cop qui ramène son grand tarin de flic. Ce type-là regrettera toujours de n’avoir pas été de service au Metropolitan Opera à cet instant.

— Qu’est-ce qui se passe ? bavoche-t-il.

— Ça, je fais en lui tirant dans le buffet.

Il se met à tousser en se tenant la poitrine à deux mains.

— La fumée vous incommode ? je murmure, excusez-moi.

Et je me mets à galoper comme un dératé, traînant toujours la môme qui fait de son mieux pour tenir le rythme.

Je jette des regards éperdus tout autour de moi. La situation se gâte. Nous avons autant de chances d’échapper aux bourdilles que Bing Crosby en a d’être proclamé roi du Soudan.

Un taxi passe. Je gueule :

— Hep !

Il stoppe. Mais le conducteur aperçoit mon arsenal et veut se tailler.

— Attends-nous ou je tire !

Il obéit.

J’ouvre la portière arrière et je catapulte ma compagne à l’intérieur du véhicule. J’y prends place à mon tour.

— Fonce, dis-je sèchement au gars. Si on est pris, ma première dragée sera pour toi.

Cela l’incite à la vélocité, comme un bourrin auquel on glisse un cigare allumé dans le pétrousquin. On décolle à une allure terrible. Ce chauffeur, je lui rends hommage, c’est quelqu’un. On dirait qu’il espère crever le mur du son…

Je jette un regard par la vitre arrière ; personne ne paraît s’être lancé à notre poursuite. Je ne vois qu’un flot de mecs qui gesticulent loin, là-bas. Les badauds ont comme par miracle retrouvé leur présence d’esprit et leur courage, depuis que mon Luger n’évolue plus dans leur espace vital.

Je pousse un soupir d’aise et regarde enfin ma voisine. Le spectacle vaut le jus, croyez-moi ! Quand je pense qu’il y a des pauvres tordus qui s’en vont par paquets de mille en Europe pour se faire faire le truc d’Adam et Ève par des Parisiennes…

Cette poulette est belle comme le jour où j’ai réussi le coup de la Nationale de l’Illinois ! Elle a des châsses bleu azur, des cheveux bruns, un teint mat, une bouche dessinée par un peintre japonais, des roberts qui ne doivent pas se gonfler avec une paille et un petit je-ne-sais-quoi qui vous fait passer des grands frissons dans le corps, comme si vous vous étiez assis par mégarde sur un fil de ligne à haute tension.

— Alors, miss Manchot, je demande, vous êtes contente de votre petit rodéo ?

Elle s’accagnarde dans un coin du taxi, plus renfrognée qu’un ours auquel on vient d’arracher le pot de miel qu’il dégustait.

— Vous faites un drôle de branquignol quand vous jouez à la bataille de Cassino, poursuis-je. Vous maniez la mitraillette et le volant comme un rossignol manierait une locomotive !

Je sursaute en entendant la sirène caractéristique d’une voiture de police.