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— Grâce à vous, je suis dans de jolis draps !

Elle frémit.

— J’ai peur, dit-elle bravement.

Je ne peux m’empêcher de rigoler, malgré la gravité de l’instant.

— Vous n’auriez pas pu aller au cinéma, si vous aimez les sensations fortes ?

Je touche l’épaule du chauffeur.

— Tourne à gauche, Toto.

Heureusement, je connais mon New York comme la poche des gars qui se serrent trop contre moi dans les meetings d’aviation.

Je sais que non loin de là se trouve Harlem. Et dans Harlem, il y a une ribambelle de petites rues où nous avons quelques chances d’échapper à la meute qui se constitue.

Malgré le coup de volant de notre taxi, nous ne pouvons espérer nous tirer de ce pétrin autrement que par la ruse, car avec toutes les bagnoles de police patrouillant dans la ville et qui manœuvrent déjà pour nous couper la retraite, tout coup de force serait téméraire et ne nous amènerait qu’au grand plongeon.

Je quitte ma veste et la tends sur les vitres qui nous séparent du chauffeur. Il s’aperçoit du truc dans le rétroviseur et semble ne rien comprendre à la chose.

— T’occupe pas, lui dis-je, fonce en zigzaguant dans les rues, un coup à gauche, un coup à droite. Vu ? Et fais pas le malin, ou le gouverneur te décorera demain à titre posthume !

J’attire la fille contre moi et je lui susurre à l’oreille :

— Nous n’avons qu’une seule chance de salut, c’est de sauter de la voiture en marche. Si nous sautons sur la droite, le chauffeur ne s’apercevra de rien à cause de ma veste qui masque cette partie de la bagnole. Nous avons suffisamment d’avance sur les matuches pour nous permettre cette tentative. Je vais sauter le premier et vous sauterez tout de suite après. J’essayerai d’amortir votre descente, car vous m’avez l’air plus manche qu’un manche de pioche. Vu ?

Elle fait un signe approbateur.

Le chauffeur vire une fois à gauche. Je laisse glaner et commence à ouvrir en douce la portière.

— Plus vite ! je gueule pour le stimuler.

Il amorce un virage à droite. C’est le moment de descendre dans l’arène. Je repousse la portière et me laisse aller. Ça n’est pas la première fois que je quitte une auto en marche, et je me reçois très bien. Je titube, puis cours en avant, et c’est tant mieux pour la môme brune, car cela me permet de lui donner le coup de reins qui l’empêche de se rompre le cou. Elle part en biais sur la chaussée. Je la rattrape une seconde fois. Elle s’en tire avec un petit ébranlement général qui lui calme les nerfs. Le taxi est déjà hors de vue. Par contre, la sirène est toute proche. Je tire la souris sur la droite et je la pousse dans la boutique d’un marchand de légumes nègre qui, sur le seuil de sa porte, a suivi notre petit numéro avec des yeux blancs.

La voiture des flics passe en trombe.

— Ça boume, fais-je à la fille.

Elle a un petit rire frileux. Le nègre louche sur mon pétard.

— Il est chouette, hein ? je fais au moricaud.

Je reviens sur le pas de la porte. La ruelle est vide. À part le commerçant, personne ne s’est aperçu de rien. Il faut dire que tout s’est déroulé en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire…

La poursuite ne doit pas continuer longtemps. Le taxi sera appréhendé. Ils constateront qu’il est vide. Le chauffeur se souviendra approximativement de l’endroit où j’ai tendu ma veste entre lui et nous, et tous les flics de New York entreprendront la plus gigantesque battue qu’on ait vue dans cette putain de ville depuis plusieurs générations.

Je pense à tout ça en continuant de tenir mon négro en respect.

— Écoute, Boule-de-neige, lui dis-je, tu vas être un petit chérubin, veux-tu ? Sors et ferme ton estanco.

— C’est pas l’heure, objecte ce candide.

— Mais si, c’est l’heure ! affirmai-je, et si tu joues au petit pompier, je peux te confier que ça va être ta dernière. Va, mon fils.

Je lui pique le gras du ventre avec le canon de mon appareil à déboucher les éviers.

Il sort mélancoliquement et tire le rideau de fer de sa boutique.

— O.K. On se sent tout de suite mieux, fais-je, lorsqu’il revient. Visitons les lieux, pour voir, j’adore partir à la découverte !

Après le magasin, il y a un petit entrepôt regorgeant de victuailles, puis, derrière, c’est l’appartement de l’épicier. Une grosse négresse est en train d’éplucher des pommes de terre. Notre arrivée la foudroie. Elle ouvre grande sa bouche, ce qui permet de l’inventorier jusqu’au slip.

— Bonjour, chère Madame, dis-je bien poliment. Ne vous dérangez pas pour nous.

Je me tourne vers l’épicier.

— Tu dois bien avoir un véhicule quelconque, pour faire tes livraisons ?

— Oui, dit-il, j’ai une camionnette.

— Montre un peu…

Il m’entraîne dans une cour malodorante qui chlingue le légume pourri, et au fond de laquelle s’ouvre une porte de remise.

Avant de sortir je dis à la fille :

— Surveillez-moi ce tas de gélatine…

Je désigne la grosse négresse.

— Si elle se lève, collez-lui un coup de tisonnier sur la noix, et si elle gueule, enfoncez-lui une patate dans le bec ! Compris ?

Puis, je suis l’homme jusqu’à la remise.

Dedans, il y a une jolie petite camionnette fermée.

— Admirable, dis-je. Tu es un homme de ressources. Je parie que tu as une blouse blanche à me prêter ?

De temps en temps, pour lui rappeler que nous ne jouons pas à la poupée, je lui mets mon soufflant sous le nez.

— Oui, j’ai…

— Chéri, va !

Retour à la cuisine où la négresse est toujours affalée sur une chaise, une pomme de terre dans une main, un couteau dans l’autre.

— Deux blouses ! dis-je au patron.

Il ouvre un placard. Nous trouvons les deux blouses. J’en revêts une et je tends l’autre à mon héroïne de romans noirs.

— Ça doit être trop grand pour vous, mais tâchez d’arranger ça avec des épingles.

Elle se débrouille pour que ça cadre sur sa géographie. Les filles sont étonnantes ! Vous leur donnez une pèlerine de facteur et elles s’en font une cape du soir. Elle est croquignolette tout plein, ma tueuse à la manque, ainsi attifée.

— Ça ira, admets-je après un bref coup d’œil.

J’enlève au nègre sa casquette de laine et je m’en coiffe.

— Comme ça, on est parés, dis-je.

Le moment de la séparation est arrivé. C’est un moment toujours délicat dans un cas pareil.

Je m’apprête à liquider le couple d’épicemards, mais il y a en eux une telle candeur que je m’offre pour trois ronds de sensiblerie.

— Tu dois avoir un grand frigo, ma vieille engelure, pour conserver toutes les saloperies que tu vends ?

— Oh, oui, missié.

— Allons le visiter. Debout ! ordonnai-je à la femme.

J’ouvre la large porte du frigo et je pousse le couple à l’intérieur.

— Je vous donne votre chance, mes petits noircicauds. Si vous ne voulez pas jouer à la banquise, dansez un chouette boogie-woogie… Ça te fera maigrir ton Himalaya de lard, j’ajoute avant de fermer la porte.

Chapitre VI

Il y a des moments où la vie est tellement marrante qu’on est obligé de lire le journal pour redevenir sérieux et ne pas se tirebouchonner dans la rue devant ses contemporains ébaubis.

Si vous ne prisez pas l’humour, prisez du tabac râpé, ou collez-vous de l’huile goménolée dans le fouinard, mais laissez-moi me cintrer un bon coup. Car prendre un glass de bon sang est ma préoccupation dominante du moment. Enfin, je vous fais juge : je commets un meurtre politique et, aussitôt après, je décide d’enquêter sur les mobiles de cet acte. À peine viens-je de prendre cette décision qu’une petite dessalée me souhaite la bonne année à coups de mitraillette, et mon premier soin est de lui sauver la mise…